Facteurs pronostiques histologiques et biomoléculaires des cancers coliques de stades II et III
Integrated Analysis of Molecular and Clinical Prognostic Factors in Stage II/III Colon Cancer.
Roth AD, Delorenzi M, Tejpar S, et al.
J Natl Cancer Inst. 2012 Nov 7;104(21):1635-46.
L’identification de facteurs clinico-biologiques pronostiques chez les patients opérés à visée curative d’un cancer colique est essentielle. Elle permettrait de moduler les indications de chimiothérapie adjuvante basées actuellement quasi exclusivement sur l’existence ou non de métastases ganglionnaires.
L’objectif de l’étude de Roth et al. récemment publiée dans le Journal of National Cancer Institute (1) était d’évaluer la signification pronostique de différents paramètres chez 1404 des 3278 patients inclus dans l’essai de traitement adjuvant PETACC3 (comparaison de 2 modalités de chimiothérapie : LV5FU2 versus FOLFIRI) pour lesquels du matériel tumoral était disponible pour l’analyse biologique : mutation de KRAS, mutation de BRAF, instabilité des microsatellites (phénotype MSI, MicroSatellite Instability) ; perte d’hétérozygotie au niveau du bras long de chromosome 18 (18qLOH, Loss Of Heterozygosity) ; défaut d’expression de la protéine SMAD4 au niveau tumoral (évaluée par immunohstochimie). La prévalence des différents paramètres biologiques étudiés est rapportée dans le tableau 1.
Tableau 1: Prévalence des différents paramètres biologiques évalués pour l’ensemble de la population de l’étude (n=1404) et en fonction du statut ganglionnaire (stades II versus stades III)
MSI=MicroSatellite Instability ; 18qLOH=18q Loss of Heterozygosity 1- Evaluation par immunohistochimie par 2 praticiens indépendants. La perte d’expression de la protéine au niveau de quelques foyers tumoraux était considérée comme une perte quelque soit le pourcentage de la tumeur présentant un défaut d’expression. 2 – Recherche systématique des 7 mutations récurrentes de l’exon 2 (G12V, G12D, G13D, G12C, G12A, G12S, G12R) et de la mutation récurrente de l’exon 3(G13D) du gène KRAS. 3- Recherche de la mutation récurrente V600E du gène BRAF.
Les chiffres sont cohérents avec ceux rapportés antérieurement dans la littérature. Le phénotype MSI était significativement plus fréquent pour les cancers de stade II que pour les cancers de stade III ; les pertes d’hétérozygotie en 18q et le défaut d’expression de la protéine SMAD4 significativement plus fréquents dans les cancers de stades III que dans les cancers de stades II. Il n’y avait pas de différence entre les stades II et III pour la prévalence des mutations de KRAS et de BRAF.
En analyse univariée, le stade T (T1/2 versus T3 ; T3 versus T4), le stade N (N0 versus N1 ; N0 versus N2), le nombre de ganglions examinés (élevé versus faible, par « tranches » de 10), l’âge (jeune versus plus avancé, par décennies) ; le grade histologique (G1/2 versus G3/4) ; le statut des microsatellites (phénotype MSI versus phénotype MSS) et l’expression de la protéine SMAD4 (conservée versus défaut d’expression, quelle qu’en soit l’importance) étaient associés à une amélioration significative de la survie sans récidive (relapse-free survival ; durée entre la randomisation et le diagnostic d’une récidive locorégionale ou à distance, d’un second cancer du côlon ou le décès) et de la survie globale.
La mutation de BRAF était associée à une augmentation du risque de décès (HR=1,63 ; IC95% : 1,63 ; IC95% : 1,13-2,35 ; p=009) mais n’avait pas d’impact sur la survie sans récidive. Les résultats de l’analyse multivariée étaient superposables à ceux de l’analyse univariée avec conservation d’un impact des différents paramètres identifiés (stade T ; stade N ; nombre de ganglions examinés ; âge ; statut des microsatellites ; expression de la protéine SMAD4), à l’exception du grade histologique à la fois sur la survie sans récidive et sur la survie globale. Là encore, la mutation de BRAF avait un impact défavorable sur la survie globale mais pas sur la survie sans récidive.
Il n’existait pas d’interaction entre le stade tumoral et l’impact sur la survie sans récidive des mutations de KRAS et de BRAF ni du défaut d’expression de la protéine SMAD4. Une interaction à la limite de la significativité était en revanche observée entre le stade et les pertes d’hétérozygoties en 18q (LOH18q) d’une part, le phénotype MSI d’autre part. Ainsi, l’impact pronostique favorable du phénotype MSI tendait à être plus marqué pour les stades II que pour les stades III, et l’« information pronostique » fournie par le phénotype MSI (versus MSS) pour les cancers de stade II (HR pour la survie sans récidive = 0,26 ; p<0,001 ; HR pour la survie globale = 0,16 ; p<0,001 SG) était au moins aussi importante que celle fournie par le stade tumoral (pT3 versus pT4). Pour les cancers coliques de stade III de type T3N1, l’impact pronostique du phénotype MSI était indépendant de celui de l’expression de la protéine SMAD4. Ainsi, le pronostic des cancers de stade pT3N1 de phénotype MSI et avec conservation de l’expression de la protéine SMAD4 état particulièrement favorable et alors que celui des cancers de stade pT3N1 de phénotype MSS associés à un défaut plus ou moins marqué de l’expression de la protéine SMAD4 était franchement plus défavorable. Les valeurs de survie sans récidive et de survie globale pour les différents types tumoraux sont indiquées dans le tableau 2.
Tableau 2: Pronostic des cancers coliques en fonction des caractéristiques tumorales (stade tumoral et des paramètres biologiques)
MSI=MicroSatellite Instability ; MSS=MicroSatellite Stability
Au total, cette étude confirme la signification pronostique forte des stades pT et pN des cancers coliques opérés et souligne l’hétérogénéité du pronostic au sein des différentes classes définies par la version 2010 (7éme version) de la classification de l’American Joint Committee on Cancer AJCC (2). Le phénotype MSI est associé un pronostic plus favorable avec un impact probablement plus marqué pour les cancers de stades II que pour les cancers de stade III. Pour les cancers de stade III de type pT3N1, la prise en compte conjointe de ce phénotype et de l’expression de la protéine SMAD4 permet de définir plusieurs classes de pronostics différents.
Il faut cependant noter un certain nombre de limites de cette étude :
- i) effectifs relativement faibles pour les différents groupes définis sur la base des critères histologiques et biologiques ;
- ii) fiabilité incertaine de l’évaluation immunohistochimique de l’expression de la protéine SMAD4 au niveau tumoral (absence d’évaluation semi-quantitative ; reproductibilité de l’analyse et concordance inter-observateur ; pertinence du seuil choisi) ;
- iii) administration dans tous les cas d’un traitement adjuvant par 5-FU ± irinotécan, susceptible d’interférer avec l’évaluation de la signification pronostique des marqueurs testés ; iv) surtout, prise en compte et choix arbitraire d’un nombre restreint de marqueurs alors que l’avenir est probablement à la définition de différentes classes pronostiques à travers la caractérisation des différents profils d’altérations génétiques somatiques au moyen de techniques d’analyse à haut débit telles que celles décrites dans l’étude de récemment publiée par le Cancer Genome Atlas Network (3).
Message à retenir
L’étude ancillaire associée à l’étude PETACC3 souligne à la fois l’intérêt et les limites de l’« information pronostique » donnée par la nouvelle classification AJCC des cancers colorectaux opérés (7ème édition ; version 2010). La prise en compte du statut des microsatellites (phénotype MSI versus phénotype MSS) est essentielle, ce qui permet une meilleure évaluation du pronostic des cancers de stade pT3N1 et surtout des cancers de stade II. Un défaut d’expression de la protéine SMAD4 au niveau tumoral serait associé à un pronostic plus péjoratif et sa signification serait indépendante de celle du statut des microsatellites dans les cancers de stade pT3N1. L’avenir est cependant à une caractérisation plus globale du profil d’altérations génétiques associées aux tumeurs au moyen de techniques d’analyse à haut débit actuellement en cours de développement.
Références
1 – Roth AD, Delorenzi M, Tejpar S, et al. Integrated analysis of molecular and clinical prognostic factors in stage II/III colon cancer. J Natl Cancer Instit 2012; 104: 1635-1646.
2 – Edge S. AJCC Cancer Staging Handbook. 7th ed. From the AJCC Cancer Staging Manual. Chigaco : Springer ; 2010.
3 – The Cancer Genome Atlas Network. Comprehensive molecular characterization of human colon and rectal cancer. Nature 2012; 487: 330-337.