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13 octobre 2011
Digestif
Emmanuelle Samalin, Marc Ychou, Philippe Rougier

Adénocarcinomes de l’estomac et de la jonction oesogastrique – Approches néoadjuvantes et adjuvantes : le point en 2011

Gastroesophageal adenocarcinomas – Neoadjuvant and adjuvant treatments in 2011: A review

Emmanuelle Samalin1, Marc Ychou1, Philippe Rougier2
1. CRLC Val d’Aurelle, Service d’Oncologie digestive, 208, rue des Apothicaires, F-34298 Montpellier Cedex 5
2. Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP), Service Oncologie Digestive, 20, rue Leblanc, F-75015 Paris
esamalin@valdorel.fnclcc.fr

 

Résumé

Les adénocarcinomes oesogastriques (AOG) représentent une des premières causes de décès par cancer dans le monde. Alors que l’incidence de l’adénocarcinome (ADK) gastrique diminue, celle de l’ADK de la jonction oesogastrique augmente dans les pays occidentaux.

Le traitement chirurgical étant le seul traitement curatif et le taux de survie à 5 ans dépendant du stade pTNM, la prise en charge thérapeutique est un véritable challenge pour les oncologues. Plusieurs modalités de traitement dont la chimiothérapie systémique ont été évaluées afin de diminuer les récidives et d’augmenter la survie globale. Cet article fait la mise au point en 2011 des traitements adjuvants et néoadjuvants des AOG. Aux États-Unis, la radiochimiothérapie postopératoire est préférée chez les patients en bon état général ayant un AOG réséqué (> stade Ia) mais n’est applicable que chez moins de la moitié des patients. Plus récemment, les FNCLCCFFCD et la UK MAGIC ont clairement démontré que la chimiothérapie périopératoire avait un bénéfice sur la survie globale des patients opérables pour leur AOG ; ce traitement est un standard et il est couramment réalisé en Europe. De nouvelles stratégies comme la chimiothérapie d’induction suivie d’une radiochimiothérapie, l’addition de thérapies ciblées à la chimiothérapie périopératoire ou l’utilisation de nouveaux schémas de chimiothérapie sont en cours d’évaluation afin d’augmenter le bénéfice des traitements standard actuels.

Mots-clés

Adénocarcinome gastrique, Adénocarcinome de la jonction oesogastrique, Traitement adjuvant, Traitement néo adjuvant

Abstract

Gastric and oesophageal adenocarcinomas (GEA) are among the leading causes of cancer-related death worldwide. Despite a decline in the incidence of gastric adenocarcinomas, incidence of oesophagogastric junction adenocarcinoma is rising rapidly in occidental countries. Surgical resection being the only curative treatment and the 5-year survival rate depending on pTNM stage, treatment approach remains challenging for oncologists. Several treatment modalities including systemic chemotherapy have been evaluated to prevent recurrences and improve overall survival. This article provides an update for 2011 on neoadjuvant and adjuvant treatment modalities for GEA. Postoperative chemoradiation (CRT) is preferentially proposed in the USA for good performance status patients with resected high-risk gastric or gastroesophageal junction carcinoma (more stage IA) but is feasible in less than half of patients. More recently, the U.K-MAGIC and FNCLCC-FFCD trials showed survival benefit with perioperative chemotherapy in operable gastric and lower esophageal cancers, and those results had impact on clinical practice in Europe. Novel strategies such as the induction chemotherapy followed by preop-CRT, targeted therapies added to perioperative chemotherapy or the use of new cytotoxic regimens are being assessed to improve current standards and facilitate the delivery of more tailored therapeutic interventions.

Keywords

Gastric adenocarcinoma, Gastroesophageal junction carcinoma, Neoadjuvant treatment, Adjuvant treatment

 

Introduction

Le cancer de l’estomac représente, après le cancer du poumon, une des premières causes de décès par cancer dans le monde.
Même si son incidence est plus faible que celle du cancer du sein ou du cancer colorectal, le cancer gastrique est associé à un taux élevé de mortalité. Une analyse mondiale de l’incidence et de la mortalité a rapporté que, sur l’année 2002, 934 000 nouveaux cas de cancers gastriques et 700 000 décès avaient été objectivés [1]. Dans les pays occidentaux, l’incidence est plutôt en diminution constante depuis ces vingt dernières années. En 2009, 6 500 nouveaux cas par an et 4 700 décès étaient objectivés en France avec une prépondérance masculine (ratio H/F de 2,8) et plus de la moitié des cas observés après 75 ans, représentant respectivement 3,4%de la mortalité par cancer chez l’homme et 2,7 % chez la femme [2]. Alors que les localisations distales sont en diminution, les localisations proximales et de la jonction oesogastrique sont en incidence croissante [3]. Le traitement chirurgical de la tumeur primaire est le seul traitement curatif de ces cancers. Le taux de survie à 5 ans dépend du stade pTNM, et le principal facteur pronostique est l’envahissement ganglionnaire [4-6]. Dans nos pays où le dépistage des stades précoces fait défaut, seuls 25 à 30 % des patients présentent des maladies résécables. Ce groupe de patients est à haut risque de récidive après résection chirurgicale et différentes stratégies thérapeutiques adjuvantes et néoadjuvantes se sont développées afin de diminuer ce risque et d’augmenter la survie globale des patients en prenant en compte les problèmes nutritionnels fréquemment rencontrés en postopératoire dans cette pathologie.

 

Les résultats des traitements adjuvants

La chimiothérapie adjuvante

La chimiothérapie adjuvante a été évaluée à l’image de son efficacité prouvée dans d’autres localisations digestives comme celle des cancers colorectaux. Les données issues de quatre métaanalyses réalisées entre 1994 et 2002 suggéraient un intérêt limité de la chimiothérapie adjuvante par rapport à la chirurgie seule en termes de survie globale avec une réduction du risque relatif de décès de 12 à 18 % [7-10]. Compte tenu de l’hétérogénéité des méthodologies utilisées, des protocoles de chimiothérapie différents et des effectifs réduits de patients rapportés dans ces méta-analyses, il était difficile de conclure à des recommandations standardisées. En France, une étude de la Fédération Française de Cancérologie Digestive (FFCD) comparant une chimiothérapie par 5FU-Cisplatine à l’absence de traitement postopératoire n’avait pas mis en évidence de bénéfice lié au traitement [11]. Au Japon, la chimiothérapie adjuvante par fluoropyrimidine S-1 est un standard après résection des adénocarcinomes de l’estomac de stades II et III avec une survie à 5 ans de 71,7 % dans le bras S1 vs 61,1 % dans le bras contrôle, soit une réduction relative du risque de décès de 32 % (HR = 0,68 [IC 95 %, 0,52-0,87], p = 0,003) et la survie sans récidive (HR = 0,62 [IC 95 %, 0,50-0,77], p < 0,001) par rapport à la chirurgie seule [12]. Récemment, une métaanalyse menée par le Global Advanced/Adjuvant Stomach Tumor Research International Collaboration (GASTRIC) Group, faite à partir des données individuelles de 3 838 patients issues de 17 essais, a montré un bénéfice sur la survie globale de la chimiothérapie adjuvante à base de 5FU par rapport à la chirurgie seule. Avec un suivi médian de plus de 7 ans, l’analyse a montré un taux de survie globale à 5 ans en faveur des patients traités par chimiothérapie adjuvante à base de 5FU : 55,3 % versus 49,6%pour les patients traités par chirurgie seule (HR = 0,82 [IC 95 % : 0,76-0,90] p < 0,001) maintenu à 10 ans avec un taux de 48 % vs 40 % [13]. Suite à ces résultats, la chimiothérapie adjuvante à base de 5FU est considérée comme une option thérapeutique en France chez les patients avec un ADK de l’estomac ou de la jonction oesogastrique réséquée qui n’ont pas bénéficié de traitement préopératoire, et apparaîtra dans la prochaine mise à jour du Thésaurus National de Cancérologie Digestive (TNCD) (www.snfge.asso.fr).

 

La radiochimiothérapie adjuvante

L’efficacité de la radiochimiothérapie adjuvante après résection chirurgicale de cancer gastrique de type R0 a été évaluée dans une étude de phase III (SWOG 9008/INT 0116) [14,15]. Six cent trois (603) patients réséqués pour leur ADK du cardia ou de l’estomac de (stades Ib à IV M0 R0) ont été inclus et randomisés en 2 bras de traitement : chirurgie seule ou chirurgie + radiochimiothérapie.

Les caractéristiques des patients étaient homogènes dans les 2 groupes : 65 % étaient de stade pT3/T4, 85 % avaient un envahissement ganglionnaire (N+). Le traitement débutait entre le 27e et le 48e jour postopératoire et associait une radiothérapie de 45 Gys en 25 fractions sur le lit tumoral et les adénopathies régionales à une chimiothérapie de type FUFOL Mayo Clinic (1 cycle de 5 jours avant la radiothérapie, un cycle de 4 jours au début de la radiothérapie et un cycle de 3 jours à la fin ; enfin, 2 cycles de 5 jours après la radiothérapie). Soixante-quatre pour cent (64 %) des patients ont achevé leur traitement. Les toxicités de grade ¾ hématologique et digestive étaient respectivement de 54 % et 33 %. Avec un suivi médian de 10 ans, la survie globale et la survie sans maladie étaient significativement améliorées dans le bras radiochimiothérapie : la survie à 5 ans était de 40 % dans le bras radiochimiothérapie vs 26 % dans le bras contrôle (HR = 1,31 ; [IC 95 % : 1,09-1,39] ; p = 0,005), la médiane de survie globale de 35 mois versus 27 mois dans le bras chirurgie seule et la médiane de survie sans maladie de 27 versus 19 mois (HR = 1,52 ; [IC 95 % : 1,25-1,53] ; p < 0,0001). Ce bénéfice de la survie correspond à une réduction relative du risque de décès de 31 % et de 52 % du risque de rechute (Tableau 1). Cette étude a été très critiquée en Europe car la chirurgie était non optimale et la tolérance assez mauvaise (toxicité grade 3 : 41 % et grade 4 : 32 %) ; seuls 10 % des patients avaient bénéficié d’un curage ganglionnaire de type D2 (36 % avaient eu un curage de type D1, et 54 % un curage inférieur à D1). Au total, alors que le traitement par radiochimiothérapie postopératoire est un traitement de référence aux États-Unis, il est considéré en France comme une alternative thérapeutique pour les patients opérés d’un ADK oesogastrique à haut risque de récidive (pT3/T4 et/ou N+) et/ou en cas de curage ganglionnaire insuffisant.

Tableau 1. Deux options thérapeutiques possibles dans le traitement des ADK oesogastriques résécables [14,15,21]
Survie Chimiothérapie périopératoire RT-CT postopératoire
MAGIC [22]
n = 503
FNCLCC 94012-FFCD 9703 [26]
n = 224
MRC [28,29]
n = 802
INT 116 [14,15]
n = 556
ECF
n = 250
CHIR
n = 253
5FU-CDDP
n = 113
CHIR
n = 111
5FU-CDDP
n = 400
CHIR
n = 402
RT-CT
n = 282
CHIR
n = 277
Taux à 2 ans (%) 50 41 43 34 58 50
Taux à 5 ans (%) 36 23 38 24 23 17 40 26
Médiane (mois) 24 20 35 27
HR [IC95 %] 0,75 [0,60-0,93]
p = 0,009
0,69 [0,50-0,95]
p = 0,02
0,84 [0,72-0,98]
p = 0,03
1,31 [1,09-1,39]
p = 0,005

Dans tous les cas, le problème de l’état nutritionnel des patients doit être pris en compte en postopératoire où environ 50 % des patients ne sont pas en état de recevoir un traitement adjuvant à 6 semaines en raison d’apports quotidiens insuffisants [16].

 

Les traitements néoadjuvants

Les avantages potentiels à utiliser un traitement préopératoire ou périopératoire pour les ADK oesogastriques résécables sont : le meilleur état des patients autorisant l’administration des traitements dans la grande majorité des cas, la réduction de la masse tumorale (downstaging/downsizing) susceptible de favoriser l’exérèse complète de la tumeur primaire (R0), de détruire précocement d’éventuelles micrométastases avant la chirurgie et d’évaluer la chimiosensibilité en préopératoire en vue du traitement postopératoire. Les inconvénients potentiels sont, en revanche, un risque de progression de la maladie sous chimiothérapie avant la chirurgie, une augmentation de la morbidité de la chirurgie secondaire à la toxicité de la chimiothérapie, la difficulté de déterminer le stade d’extension précis de la tumeur avant et après traitement préopératoire et la difficulté d’évaluation des marges chirurgicales.

 

La chimiothérapie néoadjuvante

Plusieurs essais de phase II ont confirmé la faisabilité de cette approche thérapeutique avec une toxicité acceptable et l’absence d’augmentation de mortalité et de morbidité de la chirurgie. Les taux de résection de type R0, objectivés chez des patients traités par chimiothérapie préopératoire plus ou moins suivie d’une chimiothérapie intrapéritonéale, étaient de 61 à 77 % [17-19].

Dans tous les essais, les ADK gastriques ont été mélangés à des ADK du cardia et, dans beaucoup d’études, à ceux du basoesophage.

Dans notre revue, nous exposerons donc les résultats afférents à ces trois localisations et, pour les tumeurs de l’oesophage, nous évoquerons les résultats observés avec les associations de radiochimiothérapie.

Le premier essai randomisé a été interrompu précocement et n’a pas été concluant ; il s’agissait du Dutch Gastric Cancer Group dans lequel les patients étaient traités par chirurgie seule (n = 30) ou chirurgie précédée d’une chimiothérapie [4 cycles de 5FU, Méthotrexate et Doxorubicine (FAMTX) (n = 29)] [20,21]. Il a été fermé précocement à cause du faible recrutement des patients (59 au total) ; le taux de résection de type R0 observé était de 62 % dans le bras chirurgie seule contre 56 % dans le bras chimiothérapie préopératoire. Cet essai confirmait la faible efficacité du schéma FAMTX dans le traitement des AOG résécables.

L’étude qui a le mieux illustré l’intérêt d’un traitement périopératoire a été celle du Medical Research Council MAGIC (MRC Adjuvant Gastric Infusional Chemotherapy) qui a démontré le bénéfice d’une chimiothérapie périopératoire par rapport à la chirurgie seule [22] ; il s’agissait d’une étude de phase III ayant inclus 503 patients ayant un ADK gastrique, du cardia ou du bas-oesophage ; la chimiothérapie périopératoire consistait en 3 cycles d’une association Epirubicine-Cisplatine-5-FU (ECF : Epirubicine 50 mg/m² IV J1, Cisplatine 60 mg/m² IV J1 et 5FU 200 mg/m²/j IVSE de J1 à J21, toutes les 3 semaines) administrée en pré et postopératoire. La chirurgie était réalisée dans les 6 semaines après la randomisation pour le groupe chirurgie seule et 3 à 6 semaines après le 3e cycle de chimiothérapie pour le groupe chimiothérapie périopératoire. La technique chirurgicale employée était réalisée selon les habitudes du chirurgien mais avec un curage ganglionnaire D1 ou D2. La chimiothérapie postopératoire était débutée 6 à 12 semaines après la chirurgie. Dans l’essai MAGIC, 253 patients ont été traités par chirurgie seule et 250 patients ont reçu un traitement pré et postopératoire par ECF. Les caractéristiques des patients étaient comparables dans les 2 groupes. Vingt-six pour cent (26 %) des patients avaient une tumeur localisée au niveau du cardia ou du bas-oesophage. Dans le bras chimiothérapie, 86 % des patients ont reçu un traitement complet néoadjuvant, 88 % ont été opérés de leur ADK oesogastrique contre 95 % dans le bras chirurgie seule. L’analyse anatomopathologique des pièces opératoires a objectivé une diminution de la taille des tumeurs (3 cm versus 5 cm, p < 0,001), une amélioration du stade T (p = 0,009) et du stade N (p = 0,01) dans le groupe de patients traités par chimiothérapie par rapport au bras chirurgie seule, suggérant un effet sur le downsizing et le downstaging. Le taux de résection de type R0 était significativement supérieur dans le bras chimiothérapie (79 % versus 70 %, p = 0,03). Cinquantecinq pour cent (55 %) des patients ont débuté leur chimiothérapie postopératoire et 42 % ont eu un traitement complet. Les toxicités hématologiques de grade ¾ des chimiothérapies pré et postopératoires étaient semblables avec, respectivement, 24 % et 28 % de neutropénie. Avec un suivi médian de 3 ans, la survie médiane globale des patients traités par chimiothérapie était de 24 mois versus 20 mois dans le bras chirurgie seule (HR = 0,75 ; IC 95 % [0,60-0,93] ; p = 0,009) et les taux de survie à 5 ans étaient respectivement de 36 % versus 23 % (Tableau 1). La survie sans progression était significativement améliorée dans le bras chimiothérapie (HR = 0,66 ; [IC 95 % : 0,53-0,81] ; p = 0,0001). Les résultats selon les différents paramètres montraient que l’effet thérapeutique ne dépendait pas du site de la tumeur primaire. Dans cet essai, le choix de la chimiothérapie par ECF a été basé sur des résultats d’études de phase III de patients traités pour des AOG localement avancés ou métastatiques.

Le schéma ECF a montré une efficacité supérieure au schéma FAMTX chez 274 patients traités avec des taux de réponse de 45 % versus 21 % (p < 0,001), une survie médiane globale de 8,7 mois versus 6,1 mois (p = 0,005) en faveur du bras ECF et une toxicité hématologique (neutropénie grade 3/4) acceptable (36 % versus 58 % dans le bras FAMTX) [23].

Récemment, une méta-analyse a mis en évidence que le fait d’ajouter une anthracycline à un schéma par 5FU et Cisplatine avait un bénéfice sur la survie de ces patients [24] mais cet avantage n’existait pas dans la méta-analyse extensive, présentée au JFHOD par O. Bouché, qui repose sur l’analyse des données individuelles de 3 226 patients à partir de l’étude GASTRIC [13].On peut donc continuer à douter du réel intérêt des anthracyclines dans cette indication.

Un essai français de phase III, présenté à l’ASCO 2007 et actuellement sous presse, mené par la FNCLCC et la FFCD (FNCLCC 94012-FFCD 9703) a évalué l’efficacité d’un autre schéma thérapeutique à base de 5FU (IVSE à 800 mg/m² de J1 à J4) et Cisplatine (IV en 1 heure au J1 ou au J2 à 100 mg/m²) à 2 jours d’intervalle [25]. Deux cent vingt-quatre (224) patients étaient randomisés entre un traitement par chirurgie seule (n = 111) et un traitement par chimiothérapie périopératoire (n = 113) (2 à 3 cycles en préopératoire et 4 cycles en postopératoire).

La chirurgie était réalisée 4 à 6 semaines après la chimiothérapie préopératoire, et la chimiothérapie postopératoire débutait 4 à 6 semaines après la chirurgie. Les caractéristiques des patients étaient comparables dans les 2 groupes. L’originalité de cet essai était la prédominance des ADK du cardia et du basoesophage (75 %). Le staging préopératoire était effectué par scanner et échoendoscopie. Dans le bras chimiothérapie, 77 % des patients ont reçu un traitement complet préopératoire avec une toxicité hématologique (neutropénie grade ¾) de 20 %, 87 % ont été opérés de leur ADK contre 97 % dans le bras chirurgie seule. L’analyse anatomopathologique des pièces opératoires n’a pas mis en évidence de downstaging significatif en faveur du bras chimiothérapie niveau du stade pT et pN. Le taux de résection de type R0 était supérieur dans le bras chimiothérapie par rapport au bras chirurgie seule : 84 % versus 73 % (p = 0,04). La survie sans maladie était significativement améliorée chez les patients traités par chimiothérapie pré et postopératoire par rapport à ceux traités par chirurgie seule avec un taux de survie sans maladie à 3 ans de 40 % [IC 95%, 31-49] versus 25 % [IC 95 %, 18-34] et un taux de survie sans maladie à 5 ans de 34 % [IC 95 %, 25-43] versus 17 % [IC 95 %, 10-26] (HR = 0,63 [IC 95 %, 0,46-0,86], p = 0,0018). Le taux de survie globale à 5 ans était respectivement de 38 % [IC 95 %, 28-47 %] versus 24 % [IC 95 %, 31-49 %] (HR = 0,69 [IC 95 %, 0,50-0,95]) (Fig. 1).

 

Figure 1. Essai FNCLCC 94012-FFCD 9703. Résultats de la survie globale [26]

Plus récemment, les résultats d’une étude de l’EORTC ont été publiés ; cette étude a évalué l’intérêt d’une chimiothérapie néoadjuvante (2 cycles de CDDP 50 mg/m² IV J1, J15 et J29 puis acide folinique 500 mg/m² IV 2H et 5FU 2000 mg/m² IVSE 24H J1, J8, J15, J22, J29 et J36, J1 = J48) par rapport à la chirurgie seule chez des patients ayant un ADK du cardia (52,8 %) ou de l’estomac après un bilan extensif et, en particulier, une échoendoscopie systématique et une coelioscopie diagnostique [26].

Cette étude manquait de puissance statistique pour conclure du fait d’une insuffisance de recrutement (144 patients soit 72 par bras, alors que 180 patients par bras étaient jugés nécessaires) ; cependant, elle a démontré que cette chimiothérapie améliorait le taux des résections R0 qui ont été de 81,9 % dans le groupe de patients recevant la chimiothérapie versus 66,7 % chez les patients traités par chirurgie seule (p = 0,036). Après un suivi médian de 4,4 ans, la médiane de survie globale n’a pas été atteinte et la différence de survie n’était pas significative probablement à la fois par manque de puissance et par manque de recul (HR = 0,84 [IC 95 %, 0,52-1,35] ; p = 0,466).

Ces études ayant inclus nombre de cancers du cardia et du basoesophage, il est intéressant de rapprocher leurs résultats de ceux de l’essai du Medical Research Council (MRC OE02) réalisé chez les patients ayant un cancer de l’oesophage résécable, incluant 802 patients traités, soit par chirurgie seule (402 patients), soit par 2 cycles de chimiothérapie préopératoire (5FU IVSE 1 000 mg/m² sur 4 jours et CDDP 80 mg/m² IV en 4 heures au J1, J1 = J21) [27]. Soixante six pour cent (66 %) des patients avaient un ADK du cardia ou du bas-oesophage. La survie globale était améliorée de façon significative dans ce groupe de patients (HR = 0,84 ; [IC 95 %, 0,72-0,98] ; p = 0,03) respectivement, avec un taux de survie globale à 5 ans de 23 % versus 17 % dans le bras chirurgie seule, selon les résultats actualisés [28]. Le taux de réduction relative de mortalité relativement faible dans cet essai (16 % à comparer à 31 %) étant probablement lié, en partie, au terrain et à la mortalité opératoire. Au total, les essais européens MAGIC et FNCLCC 94012-FFCD 9703 ont été les premiers à démontrer le bénéfice en termes de survie d’une chimiothérapie périopératoire dans le traitement des adénocarcinomes oesogastriques résécables et ont été confirmés par la métaanalyse publiée par Li et al. [29]. La chimiothérapie périopératoire (en fait surtout préopératoire) est donc maintenant considérée comme le traitement de référence en France et en UK.

 

La radiochimiothérapie néoadjuvante

Compte tenu du nombre de cancers du cardia et du basoesophage, il est important de voir les résultats des autres options thérapeutiques et, en particulier, ceux ayant évalué une radiochimiothérapie préopératoire à la chirurgie seule dans le traitement des adénocarcinomes du cardia et du bas-oesophage. Plusieurs essais de phase III ont été menés.

L’essai mené par Urba et al. et l’essai australien de Burmeister et al. évaluant la radiochimiothérapie préopératoire par rapport à la chirurgie seule n’ont pas démontré de bénéfice sur la survie globale avec, respectivement, un taux de survie à 3 ans de 30 % vs 16 % (p = 0,15) et une survie médiane globale de 21,7 vs 18,5 mois (p = 0,38) dans une population de patients où 2/3 étaient des ADK du cardia ou du bas-oesophage [30,31].

Le seul essai randomisé de phase III positif était celui rapporté par Walsh et al. en 1996 évaluant 113 patients, tous porteurs d’un ADK du cardia ou du bas-oesophage [32]. Le traitement préopératoire associait une radiothérapie de 40 Gys sur 3 semaines à 2 cycles de chimiothérapie par 5FU (15 mg/kg/j sur 16 heures de J1 à J5) et Cisplatine (75 mg/m² sur 8 heures à J7) à 6 semaines d’intervalle. Avec un suivi médian de 10 mois, la survie globale médiane et le taux de survie à 3 ans étaient significativement améliorés dans le bras de traitement combiné par rapport au bras de traitement par chirurgie seule : 16 versus 11 mois (p = 0,01), 32 % versus 6 % respectivement.

Cette étude a reçu un certain nombre de critiques en rapport avec la toxicité de l’association radiochimiothérapie et la méthodologie de l’essai : essai monocentrique, fermeture prématurée après une analyse intermédiaire et un inhabituel faible taux de survie des patients traités par chirurgie seule (6 % à 3 ans). La métaanalyse de Gebski et al. a rapporté un bénéfice de la radiochimiothérapie préopératoire par rapport à la chirurgie seule à partir de l’identification de 10 essais randomisés, soit 1 209 patients avec un gain de survie globale à 2 ans de 13 % quel que soit le type histologique : HR = 0,81 (IC 95 % ; 0,70-0,93 ; p = 0,002) avec HR = 0,75 (0,59-0,95, p = 0,05) pour les adénocarcinomes [33]. Plus récemment, le CALGB Group a rapporté un bénéfice de la radiochimiothérapie par 5FU-CDDP par rapport à la chirurgie seule sur 56 patients dont 42 (75 %) avaient un ADK de la jonction oesogastrique [34]. Avec un suivi de 6 ans, le taux de survie à 5 ans était en faveur du traitement néoadjuvant : 39 % vs 16 %, p < 0,008 avec un taux de réponse pathologique complète de 40 %. Ces résultats sont très controversés du fait du faible effectif de patients alors que 500 patients étaient nécessaires pour démontrer une différence statistiquement significative. Enfin, l’essai CROSS, publié sous la forme d’un abstract, a mis en évidence un bénéfice de la radiochimiothérapie préopératoire sur la chirurgie seule avec une survie globale médiane de 49 mois versus 29 mois, respectivement (p = 0,011) chez 363 patients dont 75 % avaient un ADK de la JOG [35].

L’intérêt des traitements par radiochimiothérapie préopératoire est, en particulier, d’augmenter le taux de résection de type R0 et le taux de réponse complète pathologique ; ils améliorent le contrôle locorégional de la maladie mais sont cependant insuffisants pour diminuer les récidives à distance (métastases). Cette limite a été à l’origine de la stratégie en trois étapes proposée par Ajani et al. avec une induction du traitement par chimiothérapie suivi d’un traitement par radiochimiothérapie puis un traitement par chirurgie [36,37] ; dans une étude de phase II, la réponse pathologique complète chez 33 patients ayant un ADK gastrique résécable était de 30 %.

Cette stratégie comportait 2 cycles de chimiothérapie par 5FU (200 mg/m² IVSE de J1 à J21), acide folinique (20 mg/m² IV bolus à J1, J8 et J15) et Cisplatine (20 mg/m² de J1 à J5), administrés à 28 jours d’intervalle suivis 28 jours après par une radiothérapie 45 Gys en 25 fractions, pendant 5 semaines potentialisée par un traitement par 5FU IVSE 300 mg/m² 5 jours par semaine administrée de façon concomitante. Les patients étaient ensuite opérés de leur tumeur primaire. Le taux de résection R0 a été de 70 %, le taux de réponse histologique de 54 % avec 30 % de réponse pathologique complète ; la médiane de survie globale observée après un suivi médian de 5 ans était de 34 mois [36]. Les mêmes auteurs ont évalué, dans un autre essai de phase II, ce même principe de traitement en associant au 5FU IVSE 300 mg/m² administré pendant la radiothérapie, du paclitaxel à 45 mg/m² IV une fois par semaine pendant 5 semaines [37] ; chez 49 patients, les taux de résection de type R0 et de réponse pathologique complète ont été respectivement de 77 % et de 26 % et avec un suivi médian de 22 mois, la médiane de survie globale était de 23 mois.

Enfin, chez des patients ayant des tumeurs de l’oesophage étendues (T3/4), une étude récente a mis en évidence le bénéfice d’un traitement préopératoire par une chimiothérapie de 2 à 3 cycles de 5FU acide folinique et CDDP suivie d’une association radiochimiothérapie (30 Gys, CDDP + Etoposide) chez 119 patients ayant un ADK du bas-oesophage et du cardia ; les taux de réponse pathologique complète et la DFS à 3 ans, par rapport à un traitement préopératoire par chimiothérapie seule, ont été respectivement de 15,6 % vs 2 % et 47,7 % vs 27,7 % (p = 0,07 ; HR 0,67 [IC 95 % : 0,41-1,07]) [38].

 

Conclusions et perspectives

Deux stratégies thérapeutiques sont possibles dans la prise en charge des AOG résécables : la chimiothérapie adjuvante ou la radiochimiothérapie postopératoire selon Macdonald et al., et la chimiothérapie pré et postopératoire par ECF ou 5FU-Cisplatine selon Cunningham et al. et Ychou et al. (Tableau 1). La comparaison de ces deux approches est difficile compte tenu de la différence de profil des patients. Cependant, on peut souligner que la faisabilité d’un traitement, au moins préopératoire, est plus grande que celle d’un traitement postopératoire et peut être plus efficace. Ainsi, dans un essai concernant uniquement les cancers épidermoïdes de l’oesophage, la survie était meilleure après chimiothérapie préopératoire comparée à une chimiothérapie identique postopératoire (survie 60,1 % vs 38,4 % à 5 ans) [39].

Les critères de choix entre traitement pré ou postopératoires sont différents :

  • en cas de traitement postopératoire, le choix du traitement postopératoire se fait au vu du compte rendu anatomopathologique de résection gastrique pour des patients ayant des tumeurs de stade pT3/T4 ou N+ en bon état général et nutritionnel. La radiochimiothérapie postopératoire est un traitement de référence aux États-Unis mais non en France et, depuis la publication de l’étude du GASTRIC Group, la chimiothérapie adjuvante à base de 5-FU est recommandée en France chez les patients n’ayant pas bénéficié de traitement préopératoire (mise à jour du TNCD) ;
  •  en cas de traitement préopératoire, le diagnostic et la prise en charge sont décidés avec le compte rendu d’endoscopie et de biopsies en faveur d’un ADK et nécessitent un bilan d’extension précis (exemple : clinique, endoscopie + TDM spiralée avec contraste IV et eau dans l’estomac et, si besoin, échoendoscopie et/ou coelioscopie) ; la chimiothérapie périopératoire est actuellement le traitement de référence en France ;
  • les inconvénients sont : d’un côté, de surtraiter certains patients ayant un bon pronostic en adoptant la stratégie préopératoire et, de l’autre, de sous-traiter des patients en mauvais état nutritionnel et à haut risque de récidive par une approche postopératoire. La participation aux réunions multidisciplinaires est indispensable à la décision stratégique et, cela, avant la chirurgie de la tumeur primaire, et la participation aux essais cliniques doit être encouragée.

 

L’efficacité de l’irinotecan en situation métastatique ayant été démontrée, un essai mené par la FFCD (TRACE) est en cours d’analyse et évalue, en pré ou en postopératoire, une chimiothérapie par FOLFIRI suivie d’une radiochimiothérapie par 5-FU dans le traitement des AOG résécables.

Aux États-Unis, un essai intergroupe (CALGB-80101) est en cours, évaluant une chimiothérapie par ECF avant et après une radiochimiothérapie postopératoire avec du 5-FU/leucovorine par rapport à une chimiothérapie par 5-FU/leucovorine avant et après la même radiochimiothérapie (540 patients prévus pour détecter une augmentation de la survie médiane globale de 30 %) (Fig. 2).

Figure 2. ECF suivi d’une radiochimiothérapie dans les adénocarcinomes oesogastriques : un nouvel essai de l’Intergroup study (CALGB-80101)

 

Le Dutch colorectal cancer group évalue l’intérêt d’une chimiothérapie périopératoire par ECC avec de la capécitabine à la place du 5FU par rapport à une chimiothérapie préopératoire par ECC et une radiochimiothérapie postopératoire par capécitabine CDDP (CRITICS Study) (Fig. 3).

Figure 3. ECC préopératoire et radiochimiothérapie postopératoire : un essai du Dutch Colorectal Cancer Group (CRITICS STUDY)

 

Le groupe MAGIC évalue actuellement l’ajout d’un antiangiogénique (bevacizumab) au schéma ECF (où le 5-FU est remplacé par de la capécitabine orale) (Fig. 4). Un essai thérapeutique de la FFCD coordonné par Ch. Mariette va ouvrir pour évaluer l’intérêt du cetuximab en association avec le LV5FU simplifié-CDDP en périopératoire.

Figure 4. ECX et thérapies ciblées dans les ADK oesogastriques résécables : un nouvel essai du groupe MAGIC