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11 juillet 2012
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Syndrome de Peutz-Jeghers : nouvelle évaluation des risques tumoraux à partir des données d’une cohorte hollandaise de 133 patients

Le syndrome de Peutz-Jeghers est associé à une augmentation importante du risque de cancers de différents types, en particulier digestifs (tube digestif, mais également pancréas), mammaires et gynécologiques, et à une augmentation de la mortalité par rapport à la population générale. Les risques cumulés et relatifs de cancers sont significativement plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Des recommandations de dépistage ont été élaborées par différents groupes. Elles sont basées sur des avis d’experts et il est important d’évaluer leur pertinence et leur efficacité dans le cadre d’études prospectives.

 

 

Risque de cancer et surmortalité en cas de Syndrome de Peutz-Jeghers

High cancer risk and increased mortality in patients with Peutz-Jeghers syndrome
Van Lier MGF, Westerman AM, Wagner A, et al. Gut 2011; 60: 141-147.

 

Le syndrome de Peutz-Jeghers est une polypose hamartomateuse digestive rare à transmission autosomique dominante, liée à une mutation constitutionnelle du gène STK11/LKB1.

Il est caractérisé par une localisation grêlique préférentielle rendant compte des circonstances du diagnostic (douleurs abdominales, syndrome occlusif à répétition, diarrhée, syndrome de malabsorption) qui est généralement porté au cours de la deuxième décennie. La lentiginose péri-orificielle est une manifestation phénotypique fréquente qui a une bonne valeur d’orientation diagnostique. L’affection est associée à une augmentation importante du risque de cancers de différents types et de tumeurs gonadiques bénignes ou à faible potentiel de malignité (tumeurs testiculaires à cellules de Sertoli et tumeurs ovariennes des cordons sexuels à tubules annelés – Sex Cord Tumors with Annular Tubules ou SCTAT). La rareté du syndrome de Peutz-Jeghers rend compte de la difficulté d’évaluer de façon fiable les risques tumoraux et la variabilité des données disponibles dans la littérature (1).

 

L’objectif du travail de Van Lier et al. que nous rapportons (2) était d’évaluer les risques tumoraux associés au syndrome de Peutz-Jeghers à partir de l’étude d’une cohorte de 133 patients (issus de 54 familles différentes) avec syndrome de Peutz-Jeghers (64 hommes ; 69 femmes) pris en charge dans 2 hôpitaux universitaires hollandais. La mutation causale du gène STK11 était identifiée chez 77 des 80 patients ayant bénéficié d’une étude génétique moléculaire (96% des cas). Le diagnostic de syndrome de Peutz-Jeghers reposait sur la validation des critères cliniques de l’OMS pour les autres patients de cette cohorte. Il s’agissait de formes familiales dans 100 cas (soit 75% de l’effectif) et de formes sporadiques dans 23 cas (soit 17% de l’effectif). Il n’existait pas d’information fiable sur les caractéristiques de l’histoire familiale pour 10 patients inclus. Les données relatives au diagnostic de cancers étaient colligées prospectivement pour la période 1995 à 2009 et de façon rétrospective avant 1995. La durée globale de suivi était de 5004 personnes.années ; elle était de 1400 personnes.années pour le suivi prospectif. Au moment de l’analyse, seulement 2 individus étaient perdus de vue ; 89 patients (soit 67% de l’effectif) étaient vivants (âge médian : 34 ans ; extrêmes: 4-75 ans) ; 42 patients (32% de l’effectif) étaient décédés (âge médian au décès : 45 ans ; extrêmes : 3 – 76 ans).

 

Au total, 49 cancers ont été diagnostiqués chez 42 individus de cette cohorte (2 cancers chez 7 patients inclus) dont les types sont indiqués dans le tableau 1. L’âge médian au diagnostic du premier cancer était de 45 ans (extrêmes : 15-76).

 

Tableau 1 : cancers diagnostiqués dans la population de l’étude

 

Cancers   « digestifs » : n=25 ▪   Colon Rectum : n=7▪   Intestin grêle: n=6  (jéjunum : n=3 ;   adénocarcinome ampullaire : n=3)▪   Estomac : n=4▪   Pancréas : n=3(dont 1 adénocarcinome à cellules acineuses)▪   Voies biliaires : n=2

▪   Adénocarcinome digestif (sans plus de précision) : n=3

Cancers du sein : n=6  
Cancers gynécologiques : n=6  ▪   Col utérin : n=3(adenoma malignum : n=2 ; carcinome   du col utérin sansplus de précision : n=1)▪   Ovaire : n=3(tumeurs malignes à cellules de   Sertoli : n=2 : carcinomeà petites cellules : n=1)
Autres cancers : n=12 ▪   Poumon : n=4(adénocarcinomes :n=2 ;   carcinomes bronchiolo-alvéolaires : n=2)▪   Adénocarcinome de primitif inconnu : n=2▪   Testicule : n=1 (séminome)▪   Mélanome cutané : n=2▪   Lymphome malin non Hodgkinien : n=1

▪ Liposarcome: n=1

▪   Carcinome épidermoïde d’un sinus: n=1

 

 

Les risques cumulés de cancers en fonction de l’âge sont rapportés dans le tableau 2. Le risque cumulé à 70 ans était de 76% +/- 8% pour l’ensemble de la cohorte, soit un risque relatif de cancer par rapport à la population générale de 8,96 (Hazard Ratio ; IC95% : 6,46-12,42 ; p<0,001). Le risque tumoral était significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes : HR pour le risque cumulé de cancer = 5,14 (IC95% : 1,63-16,2 ; p=0,005); risque relatif de cancer par rapport à la population générale de 20,40 (IC95% : 13,43-30,99) chez les femmes  versus 4,76  (IC : 2,82-8,04) chez les hommes (p<0,001). Cette différence est à mettre sur le compte de l’augmentation du risque de cancers gynécologiques et mammaires puisqu’il n’existait pas de différence significative entre les 2 sexes pour le risque cumulé de cancers digestifs. Il n’y avait en revanche pas de différence significative pour le risque de cancer en fonction du type de présentation (familiale versus sporadique) ou de l’identification ou non d’une mutation constitutionnelle du gène STK11.

 

Tableau 2 : risques cumulés de cancers (Kaplan-Meier)

à 40 ans▪ tout cancer▪ cancers digestifs  ▪ 20% ± 5%▪ 12% ± 4%
à 50 ans▪ tout cancer▪ cancers digestifs ▪ 36% ± 6%▪   21% ± 5%
à 60 ans▪ tout cancer▪ cancers digestifs  ▪ 58% ± 7%▪   35% ± 8%
à 70 ans▪ tout cancer▪ cancers digestifs  ▪ 76% ± 8%▪   51% ± 10%

 

La mortalité était significativement plus élevée dans cette cohorte que dans la population générale. La cause du décès des 42 patients inclus correspondait à un cancer dans 28 cas (67% des causes de décès) et à une occlusion intestinale dans 8 cas (19% des causes de décès). Trois décès étaient liés à une autre cause et 3 à une cause non précisée. Les 7 décès survenus le plus précocement (entre 3 et 20 ans) étaient à mettre sur le compte d’une occlusion intestinale et tous les décès rapportés à cette cause sont survenus avant 1970.  Le plus jeune décès par cancer est survenu à l’âge de 30 ans.

 

Les données relatives aux risques tumoraux issues de cette étude hollandaise sont parfaitement cohérentes avec celles de l’étude multicentrique internationale (Europe, Australie et Etats-Unis) portant sur 419 patients récemment publiée par Hearle et al. (3), alors que les risques calculés dans la vaste méta-analyse/compilation de Van Lier et al. (1644 patients inclus) étaient légèrement supérieurs (1).

 

Les recommandations de dépistage élaborées par le groupe d’experts hollandais sur la base des risques tumoraux sont rapportées dans le tableau 3. Elles sont globalement cohérentes avec celles d’un groupe d’experts internationaux (4) et avec celles du NCCN (http://www.nccn.org).

 

Tableau 3 : recommandations de suivi des patients atteints d’un syndrome de Peutz-Jeghers 

Examen

Age de début

Périodicité

▪ Examen clinique (avec palpation testiculaire)▪ Hémoglobinémie▪ Vidéo-capsule endoscopique et/ou entéro-IRM1▪ Fibroscopie œso-gastro-duodénale

▪ Coloscopie

▪ Pancréato-IRM et échoendoscopie

▪ IRM mammaire

▪ Mammographie

▪ Examen pelvien + frottis cervical +

  échographie   endovaginale + dosage CA125

▪ 10 ans▪ 10 ans▪ 10 ans▪ 20 ans

▪ 25-30 ans

▪ 30 ans

▪ 25 ans

▪ 30 ans

▪ 25-30 ans

▪ Tous les ans▪ Tous les ans▪ Tous les 2 à 3 ans▪ Tous les 2 à 5 ans2

▪ Tous les 2 à 5 ans2

▪ Tous les ans3

▪ Tous les ans4

▪ Tous les ans4

▪ Tous les ans

1 – En cas d’identification de polype(s) de l’intestin grêle à la vidéo-capsule, il est recommandé de réaliser une entéro-IRM pour préciser leur localisation et leur taille. Les polypes de taille > 1cm doivent faire l’objet d’une polypectomie à l’occasion d’une entéroscopie à double ballon.

2 – Périodicité conditionnée par les constatations endoscopiques

3 – Examens réalisés dans le cadre d’un essai prospectif

4 – Les IRM mammaires sont réalisées tous les ans à partir de l’âge de 25 ans ; en alternance (tous les 6 mois) avec les mammographies à partir de l’âge de 30 ans. Ces 2 examens sont associés à une surveillance mammaire clinique annuelle dès l’âge de 25 ans.

 

En cas d’indication chirurgicale, l’abord laparoscopique doit être privilégié. Lorsqu’il existe une indication de laparotomie, il est recommandé de réaliser systématiquement une entéroscopie per-opératoire avec polypectomie(s) afin d’éviter au maximum des « re-laparotomies ».

 

Les principaux aspects du dépistage sont les suivants :

  • i)    surveillance endoscopique périodique colorectale et du tube digestif supérieur ;
  • ii)     surveillance morphologique périodique de l’intestin grêle, en privilégiant la vidéocapsule endoscopique ;
  • iii)    surveillance morphologique périodique du pancréas par pancréato-IRM et/ou échoendoscopie ;
  • iv)    surveillance clinico-radiologique mammaire intégrant l’IRM ;
  • v)    surveillance gynécologique clinique avec frottis cervico-vaginaux et échographie pelvienne.

 

Il est important de souligner que l’efficacité de ce dépistage n’a pas été validée dans le cadre d’une étude prospective.

 

L’indication d’un dépistage systématique du cancer du pancréas chez les patients atteints d’un syndrome de Peutz-Jeghers, indépendamment de l’histoire tumorale familiale, a été retenue par les experts du 4ème symposium international sur les maladies héréditaires du pancréas (Fourth International Symposium of Inherited Diseases of the Pancreas, Chicago, 2003), au même titre que chez les sujets porteurs d’une mutation constitutionnelle du gène BRCA1, BRCA2 ou CDKN2A/p16 en cas d’antécédent de cancer du pancréas chez au moins 1 apparenté au 1er ou au 2nd degré, chez les sujets atteints d’une pancréatite chronique héréditaire et chez les sujets issus d’une famille avec agrégation familiale non syndromique (cancers du pancréas chez  ≥ 3 apparentés au 1er, 2nd ou 3ème degré dans la même branche d’hérédité) (5). Les experts hollandais suggèrent que ce dépistage soit réalisé dans le cadre d’une étude prospective (1,2). Une telle étude est actuellement en cours de mise en place en France sous l’égide du Club Francophone d’Echoendoscopie (CFE) et de la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED).

 

Références

 

1 – Van Lier MGF, Wagner A, Mathus-Vliegen EMH, et al. High cancer risk in Peutz-Jeghers syndrome: a systematic review and surveillance recommendations. Am J Gastroenterol 2010; 105: 1258-1264.

 

2 – Van Lier MGF, Westerman AM, Wagner A, et al. High cancer risk and increased mortality in patients with Peutz-Jeghers syndrome. Gut 2011; 60: 141-147.

 

3 – Hearle N, Schumacher V, Menko FH, et al. Frequency and spectrum of cancers in the Peutz-Jeghers syndrome. Clin Cancer Res 2006; 12: 3209-3215.

 

4 – Giardiello FM, Trimbath JD. Peutz-Jeghers syndrome and management recommendations. Clin Gastroenterol Hepatol 2006; 4: 408-415.

 

5 – Brand RE, Lerch MM, Rubinstein WS, et al. Advances in counselling and surveillance of patients at risk for pancreatic cancer. Gut 2007 ; 56 : 1460-1469.