Aller au contenu
Articles
13 décembre 2012
-

Résistance acquise aux anticorps anti-EGFR : encore une histoire de KRAS !

Emergence of KRAS mutations and acquired resistance to anti-EGFR therapy in colorectal cancer.
Misale S,et al.
Nature. 2012 Jun 28;486(7404):532-6.

 

The molecular evolution of acquired resistance to targeted EGFR blockade in colorectal cancers.
Diaz LA Jr,et al.
Nature. 2012 Jun 28;486(7404):537-40.

 

Les anticorps anti-EGFR ont montré leur efficacité chez les patients présentant un cancer colorectal métastatique (CCRm) KRAS sauvage. Cependant après une réponse initiale à ces thérapies ciblées,  l’apparition d’une résistance secondaire est observée de façon inéluctable au bout de quelques mois. Les mécanismes moléculaires à l’origine de cette résistance secondaire sont largement méconnus. Deux articles venant d’être publiés conjointement dans le même numéro de la revue Nature ont exploré ces mécanismes de résistance acquise aux anticorps anti-EGFR.

 

1. Dans le premier article de Misale et al, les auteurs ont généré deux variants résistants au cetuximab de deux modèles cellulaires normalement très sensibles que sont les lignées DiFi et Lim1215 et  ont réalisé une analyse moléculaire comparative de ces  lignées résistantes (DiFi-R et Lim1215-R) et des lignées parentales dont elles sont issues.

 

  • Cette analyse a permis de montrer l’apparition d’une amplification de KRAS dans la lignée DiFi-R, ainsi que l’apparition de mutations de KRAS (G13D et G12R) dans la lignée Lim1215-R, ces 2 altérations  moléculaires conduisant à une activation de KRAS pouvant expliquer la résistance acquise au cetuximab de ces 2 lignées cellulaires.
  • Les auteurs ont ensuite montré, grâce à l’utilisation de méthodes de séquençage très sensibles, que la mutation G13D de KRAS était déjà présente dans la lignée parentale Lim1215 sensible au cetuximab au niveau d’une sous-population cellulaire, mais pas la mutation G12R. L’amplification de KRAS était également déjà présente dans la lignée parentale DiFi. Ces premières données suggèrent que la résistance acquise au cetuximab peut provenir à la fois de la sélection d’un clone cellulaire KRAS muté ou amplifié préexistant ou de l’apparition de mutations de KRAS de novo. Cette seconde hypothèse de mutagenèse continue a été confirmée par des expériences montrant l’apparition d’une nouvelle mutation activatrice de KRAS (A146T) au sein de la lignée Lim1215 KRAS sauvage devenue résistante au cetuximab après avoir été exposée à de fortes doses de cet anti-EGFR.
  • Ces résultats ont conduit les auteurs à émettre l’hypothèse thérapeutique selon laquelle l’activation de KRAS secondaires aux altérations moléculaires pré-citées pourrait être prévenue ou reversée par l’inhibition conjointe de voies de signalisation intracellulaire en aval de l’EGFR. Ils ont donc traité les 2 lignées résistantes par une combinaison de cetuximab et d’un inhibiteur sélectif de MEK ou de PI3K. Alors que la combinaison cetuximab-inhibiteur de PI3K s’est révélée inefficace, il a été constaté une forte sensibilité de DiFi-R et Lim1215-R à la combinaison cetuximab-inhibiteur de MEK. L’inhibiteur de MEK pourrait ainsi réverser la résistance au cetuximab.
  • Les auteurs ont voulu ensuite confirmer chez des patients l’hypothèse suggérée par les données expérimentales selon laquelle l’apparition d’une mutation ou d’une amplification de KRAS constituerait un mécanisme de résistance acquise important aux anticorps anti-EGFR. Pour cela, ils ont analysé les biopsies post-thérapeutiques de 10 patients ayant développé une résistance secondaire au cetuximab ou au panitumumab. Une amplification de KRAS et une mutation de KRAS (Q61H) ont été retrouvées respectivement chez deux patients par FISH et séquençage classique. Un séquençage par une méthode plus sensible a permis de montrer la présence d’une mutation G13D de KRAS chez 5 autres patients (dont un avec double mutation G13D et G12D). Au total, 7 des 10 patients avaient donc soit une mutation (cas le plus fréquent), soit une amplification de KRAS qui n’était pas présente sur les biopsies réalisées avant traitement par anticorps anti-EGFR. En parallèle, ils ont fait la même analyse moléculaire chez 8 patients « contrôles » traités uniquement par chimiothérapie mais n’ayant jamais reçu d’anticorps anti-EGFR et n’ont retrouvé aucune altération génétique de KRAS, ce qui vient conforter l’idée que l’acquisition de ces altérations de KRAS est associée spécifiquement à l’exposition aux anticorps anti-EGFR.
  • Enfin, une recherche des mutations de KRAS a été effectuée au niveau du plasma prélevé de façon répétée chez ces 10 patients et a permis de montrer, d’une part, que toutes les mutations mises en évidence au niveau tumoral après traitement pouvaient être détectées au niveau plasmatique et, d’autre part, que la détection de ces mutations secondaires de KRAS au niveau plasmatique précédait la progression radiologique de 10 mois environ.

 

2. Le deuxième article de l’équipe de Bert Vogelstein à Baltimore vient confirmer une partie de ces données. Les auteurs ont analysé de façon rétrospective 169 prélèvements sériques successifs de 28 patients ayant un CCRm chimiorésistant et traités par panitumumab (dont 4 patients non répondeurs KRAS muté et 24 patients répondeurs KRAS sauvage).

 

  • Au total, la présence d’au moins une mutation de KRAS (supposée être nouvellement apparue) a été détectée au niveau sérique chez 9 des 24 (38%) patients KRAS sauvage et chez aucun des patients initialement KRAS muté. Ces mutations, qui apparaissaient en moyenne entre 5 et 6 mois de traitement par panitumumab, étaient mises en évidence avant la progression radiologique chez 3 de ces patients (en moyenne 21 semaines avant)
  • Grâce à une modélisation mathématique sophistiquée, il a pu être déterminé que ces mutations « secondaires » de KRAS détectées au niveau sérique, étaient en fait présentes dans la tumeur au sein de sous-clones cellulaires minoritaires avant l’initiation du traitement par panitumumab.

 

Message à retenir 

  • Les mutations (et à un moindre degré l’amplification) de KRAS, qu’elles soient préexistantes au traitement dans un clone cellulaire minoritaire ou d’apparition secondaire,  sont un marqueur fréquemment responsable d’une résistance acquise au cetuximab
  • Les mutations de KRAS peuvent être détectées de façon non invasive au niveau plasmatique plusieurs mois avant la progression radiologique
  • Un traitement par inhibiteur de MEK initié précocement pourrait permettre de reverser ou retarder la résistance au cetuximab