Réponse pathologique complète après radiochimiothérapie pour cancer du rectum : un avantage significatif !
La réponse histologique complète à la radiochimiothérapie néoadjuvante est un facteur de bon pronostic des cancers du rectum, indépendant du staging pré-thérapeutique (stades T et N), associé à une augmentation significative du taux de contrôle local, de la survie sans récidive et de la survie globale.
La radiochimiothérapie concomitante suivie d’une chirurgie avec exérèse totale du mésorectum correspond au standard actuel de prise en charge des cancers du 1/3 inférieur ou du 1/3 moyen du rectum de stade T2N+ ou T3N0/+. Les différentes études disponibles rapportent un taux de réponse histologique complète (RHC) au traitement néoadjuvant variant de 15 % à 27 % et la majorité d’entre elles suggèrent qu’une telle réponse (ypT0N0) aurait un impact favorable sur la survie sans récidive et sur la survie globale. Les objectifs de la méta-analyse de Maas et al. que nous rapportons ici étaient d’évaluer l’impact de la RHC sur la survie sans récidive à 5 ans (objectif principal), le contrôle local, la survie sans métastase à distance et la survie globale (objectifs secondaires) ainsi que d’identifier les paramètres susceptibles d’interférer avec l’impact de la RHC sur ces différents paramètres.
Méthodes et patients
À l’issue d’une recherche bibliographique exhaustive caractérisée par interrogation systématique des bases PubMed, Medline et Embase au moyen d’équations de recherche appropriées, 27 études correspondant à 17 bases de données ont été identifiées. Les auteurs de 14 de ces 17 bases ont accepté de participer à ce travail collaboratif et de communiquer les données individuelles des patients inclus, ainsi que, dans certains cas, de patients supplémentaires non inclus dans les publications.
Au total, le travail a porté sur 3105 patients. L’âge moyen au diagnostic était de 61 ans et il existait une prédominance masculine (64% de l’effectif). Le bilan pré-thérapeutique était basé au minimum sur le scanner et/ou l’échoendoscopie. L’IRM était réalisée dans 3 études incluses. La radiochimiothérapie permettait de délivrer une dose totale de 45 à 50,4 Grays en 25 à 28 fractions de 1,8 Gray en association avec une chimiothérapie à base de 5fluorouracile. La chirurgie était généralement réalisée 6 à 8 semaines après la fin du traitement néoadjuvant. Le suivi médian était de 46 mois pour les patients avec RHC et de 48 mois pour les patients avec reliquat tumoral.
Résultats
- Au total, une RHC (ypT0N0) était observée chez 484 patients, soit 15,6 % de l’effectif.
- 5% des patients classés ypT0 (26/509) avaient une atteinte ganglionnaire résiduelle.
- La proportion de patients classés initialement T1 ou T2 était significativement plus élevée chez les malades avec RHC que chez les malades avec reliquat tumoral (10,38 % versus 4,7 % ; p < 0,0001) alors que la proportion de patients classés initialement N+ était identique et égale à 59 % dans les deux groupes.
- Une résection antérieure du rectum était réalisée respectivement chez 69% et 63 % des patients avec RHC et reliquat tumoral pour lesquels l’information était disponible.
- Enfin, une chimiothérapie adjuvante était moins fréquemment administrée chez les patients avec RHC que chez les patients avec reliquat tumoral (39 % versus 55 % respectivement des patients pour lesquels l’information était disponible).
- L’analyse des données non ajustées indique que la RHC est associée à une amélioration significative de la survie sans récidive, du contrôle local, de la survie sans récidive métastatique et de la survie globale (Tableau 1). Ainsi, la survie sans récidive à 5 ans était de 83,8 % (IC 95 % : 78,8-87,0) chez les patients avec RHC et de 65,6 %(IC 95 % : 63,6-68,0) chez les patients avec reliquat tumoral, soit une réduction de 36% du risque de récidive à 5 ans (HR : 0,44 ; IC 95 % : 0,34-0,57 ; p < 0,0001).
- Après ajustement pour les variables d’intérêt (analyse multivariée prenant en compte les paramètres âge ; sexe ; stades T et N pré-thérapeutiques ; distance par rapport à la marge anale ; type de chirurgie ; chimiothérapie adjuvante), la RHC était associée à une amélioration significative de la survie sans récidive (HR=0,54 ; IC 95 % : 0,40-0,73), du contrôle local (HR = 0,41 ; IC 95 % : 0,21-0,81), de la survie sans récidive métastatique (HR = 0,49 ; IC 95 % : 0,34-0,71) et de la survie globale (HR=0,65 ; IC 95 % : 0,47-0,89).
- En analyse multivariée, les stades pré-thérapeutiques T4 et N+ étaient associés à une augmentation significative du risque de récidive et de décès ; l’administration d’une chimiothérapie adjuvante n’avait pas d’impact sur la survie sans récidive mais était associée à une amélioration significative de la survie globale (HR : 0,68 ; IC95 % :0,54-0,86).
- Enfin, une analyse par sous-groupe permettait de conclure que l’impact favorable de la RHC sur la survie sans récidive était observé quels que soient les paramètres évalués : stade pré-thérapeutique T3 versus T4 ; stade pré-thérapeutique N+ versus N– ; distance par rapport à la marge anale (≤ 5 versus > 5 cm) ; type de chirurgie (résection antérieure versus amputation abdominopérinéale) ; chimiothérapie adjuvante ou non (Tableau 2).
Au total, la réponse histologique complète au traitement néoadjuvant est un facteur de bon pronostic des cancers du rectum, indépendant du staging pré-thérapeutique (stades T et N), associé à une augmentation significative du contrôle local, de la survie sans récidive et de la survie globale.
Tableau 1. Impact de la réponse histologique complète (RHC ; ypT0N0) sur la survie sans récidive, les récidives locorégionales, la survie sans récidive métastatique et la survie globale | |||
Groupe avec RHC (ypT0N0) |
Groupe avec reliquat tumoral |
HR (IC 95 %) p |
|
Survie sans récidive à 5 ans (IC 95 %) | 83,3 % (78,8-87,0) | 65,6 % (63,6-68,0) | 0,44 (0,34-0,57) p < 0,0001 |
Récidive locorégionale à 5 ans (IC 95 %) | 2,8 % (1,6-5,1) | 9,7 % (8,4-11,2) | 0,33 (0,19-0,60) p < 0,0001 |
Survie sans récidive métastatique à 5 ans (IC 95 %) | 88,8 % (84,8-91,8) | 74,9 % (72,9-77,0) | 0,40 (0,29-0,55) p < 0,0001 |
Survie globale à 5 ans (IC 95 %) | 87,6 % (83,6-90,7) | 76,4 % (74,4-78,3) | 0,51 (0,38-0,67) p < 0,0001 |
Tableau 2. Impact de la réponse histologique complète (RHC ; ypT0N0) sur la survie sans récidive à 5 ans en fonction de paramètres d’intérêt | |||
Groupe avec RHC (ypT0N0) |
Groupe avec reliquat tumoral |
HR (IC 95 %) | |
Stade T préthérapeutique – T3 – T4 |
82,6 % (77,4-86,7) 70,0 % (50,6-83,4) |
68,2 % (65,7-70,6) 49,8 % (42,6-56,7) |
0,55 (0,39-0,76) 0,62 (0,29-1,32) |
Stade N préthérapeutique – N– – N+ |
81,5 % (74,2-87,0) 84,0 % (77,7-88,6) |
66,9 % (63,5-70,2) 64,5 % (61,6-67,7) |
0,62 (0,41-0,95) 0,44 (0,29-0,66) |
Distance par rapport à la marge anale – ≤ 5 cm – >5cm |
81,9 % (75,1-87,2) 83,1 % (75,5-88,4) |
66,2 % (62,8-69,5) 66,5 % (63,1-69,8) |
0,54 (0,37-0,81) 0,48 (0,31-0 ,75) |
Chirurgie – Résection antérieure – Amputation abdomino-périnéale |
88,5 % (83,5-92,0) 69,4 % (57,8-78,6) |
69,8 % (67,2-72,6) 59,5 % (55,2-63,8) |
0,39 (0,25-0,58) 0,71 (0,45-1,11) |
Chimiothérapie adjuvante – Non – Oui |
84,1 % (76,2-89,6) 82,0 % (75,4-87,2) |
66,4 % (63,2-69,3) 63,5 % (59,8-67,2) |
0,50 (0,31-0,79) 0,53 (0,36-0,78) |
Ceci justifie l’évaluation de nouvelles modalités thérapeutiques (augmentation de la dose de radiothérapie ; surdosage ; nouvelles modalités de chimiothérapie ; association aux biothérapies…) pour tenter d’augmenter le taux de réponses histologiques complètes qui reste actuellement inférieur à 20%.
L’indication d’une chimiothérapie adjuvante après radiochimiothérapie néoadjuvante et la sélection éventuelle des patients candidats à cette approche reste débattue [2]. Les résultats d’une analyse en sous-groupes de l’essai de l’EORTC suggèrent que seuls, les patients classés ypT02 à la suite d’une réduction tumorale sous traitement néoadjuvant tireraient profit d’une telle approche [3].
Les données de la présente méta-analyse indiquent que la chimiothérapie adjuvante pourrait être bénéfique puisqu’elle est associée à une amélioration de la survie globale sans impact sur la survie sans récidive. Son administration chez les patients en RHC pose cependant le problème du « surtraitement » d’un nombre important de patients compte tenu d’un pronostic particulièrement favorable. Ce pronostic favorable pose également la question des modalités de la chirurgie (possibilité d’excision locale ?), voire de l’indication même de la chirurgie, chez les patients en réponse clinique complète. La sécurité et la faisabilité de telles approches sont en cours d’évaluation. L’identification de techniques d’imagerie ou d’endoscopie permettant de prédire la réponse histologique complète chez les patients en réponse clinique complète est également souhaitable.
Références
[1] Mass M, Nelemans PJ, Valentini, et al. Long-term outcome in patients with a pathological complete response after chemoradiation for rectal cancer: a pooled analysis of individual patient data. Lancet Oncol 2010;11:835-43.
[2] Bujko K, Glynne-Jones R, Bijko M. Does adjuvant fluoropyrimidine-based chemotherapy provide a benefit for patients with resected rectal cancer who have already received neoadjuvant radiochemotherapy? A systematic review of randomized trials. Ann Oncol 2010; 21:1743-50.
[3] Collette L, Bosset JF, den Dulk M, et al. Patients with curative resection of cT3-4 rectal cancer after preoperativeradiotherapy or radiochemotherapy: does anybody benefit from adjuvant 5-fluorouracil-based chemotherapy? A trial from the European Organisation for Research and Treatment of Cancer Radiation Oncology Group. J Clin Oncol 2007;25:4379-46.