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7 octobre 2011
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Mutation du gène de l’E-Cadhérine en cas de cancer gastrique « diffus » du sujet jeune : une recherche rarement justifiée en pratique en l’absence d’agrégation familiale

En l’absence d’agrégation familiale de cancers gastriques, la recherche d’une mutation constitutionnelle du gène CDH1 chez les sujets atteints d’un cancer gastrique de type diffus ou mixte n’est probablement justifiée que lorsque l’âge au diagnostic est particulièrement jeune (moins de 35 ans). L’interprétation de la signification d’une modification de type « faux-sens » est délicate et son caractère délétère ne peut être retenu qu’à l’issue d’une analyse minutieuse et précise.

Les formes héréditaires des cancers correspondent à des affections rares à transmission généralement autosomique dominante. Elles doivent être évoquées en cas d’agrégation familiale de cancers (avec atteinte éventuelle de plusieurs générations successives) et/ou d’âge inhabituellement jeune au diagnostic.
En 1999, l’International Gastric Cancer Linkage Consortium (IGCLC) a établi, de façon arbitraire, des critères cliniques de définition des formes héréditaires de cancer gastrique de type diffus (Hereditary Diffuse Gastric Cancer = HDGC), à savoir :

  • au moins 2 cas de cancers gastriques de type diffus diagnostiqués chez des apparentés au premier ou au second degré dont un à un âge inférieur à 50ans ;
  • ou au moins 3 cas de cancers gastriques de type diffus chez des apparentés au premier ou au second degré quels que soient les âges lors des diagnostics [1].

Une mutation germinale du gène CDH1 qui code pour l’E-Cadhérine, protéine transmembranaire impliquée dans les phénomènes d’adhésion intercellulaire et le contrôle du trafic intracellulaire et de la prolifération cellulaire, rendrait compte de 25 à 30% des formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus répondant aux critères diagnostiques de l’IGCLC [2]. Des mutations de ce gène ont également été rapportées en dehors de toute agrégation familiale chez des individus atteints à un âge jeune.

La prévalence des mutations constitutionnelles du gène CDH1 chez les patients atteints d’un cancer gastrique de type diffus (à cellules indépendantes) ou mixte diagnostiqué à un âge inférieur ou égal à 50 ans et de présentation apparemment sporadique n’était pas connue à ce jour [3]. L’objectif du travail de Corso et al. que nous rapportons ici était de la préciser.

Patients et méthodes

Vingt et un (21) individus, 12 hommes et 8 femmes, répondant aux critères d’éligibilité définis ci-dessus ont été identifiés à partir de l’analyse des registres du département de Pathologie de l’Université de Sienne et inclus dans cette étude. L’âge au diagnostic était inférieur à 45 ans dans 10 cas (inférieur à 35 ans dans 4 cas dont 2 cas diagnostiqués à 30 ans ; 1 cas à 31 ans et 1 cas à 33 ans) et compris entre 45 et 50 ans dans 11 cas. L’histologie était de type « diffus » dans 19 cas ; mixte dans 2 cas. La localisation était cardiale dans 2 cas, gastrique dans 15 cas. Une atteinte gastrique diffuse réalisant un aspect de « linite plastique » était observée dans 5 cas. Pour tous les cas, l’absence d’agrégation familiale de cancer gastrique était vérifiée par l’élaboration d’un arbre généalogique. L’étude constitutionnelle était réalisée par séquençage de l’ensemble des exons (séquence codante) et des régions introniques adjacentes du gène CDH1 à partir de l’ADN leucocytaire.

Au total, une modification de type « faux-sens » (substitution d’un seul nucléotide, responsable de la modification d’un seul acide aminé au niveau protéique) était identifiée chez 2 individus : c.670C>T/p.Arg224Cys (modification 1) et c.-63C>A (modification 2) (Fig. 1).

  • La modification 1 (c.670C>T/p.Arg-224Cys) est localisée au niveau de l’exon 5 du gène CDH1 (codon 224) et induit une substitution de l’arginine en position 224 par une cystéine. Elle a été identifiée chez une femme atteinte d’un cancer gastrique de type diffus à l’âge de 46 ans de cette série et chez un seul individu de la population témoin (224 donneurs de sang indemnes de cancer). La signification de cette modification a été étudiée au moyen d’une étude de transcrits à la recherche d’un impact de l’épissage et de tests fonctionnels in vitro (après transfection de cellules de hamster chinois par un vecteur lentiviral comportant l’ADN complémentaire du gène CDH1 incluant la mutation c.670C>T obtenue par mutagenèse dirigée). Le résultat de l’ensemble de ces études n’apparaît pas en faveur du caractère délétère de cette modification : absence d’impact sur l’épissage (pas de modification de la taille des transcrits) ; absence d’impact sur la fonctionnalité de la protéine codée par le gène transduit évaluée par les tests d’adhésion et d’invasion cellulaire in vitro. Par ailleurs, il n’existait pas d’altération somatique du gène CDH1 identifiable au niveau tumoral : pas de mutation ponctuelle de la séquence codante ni du promoteur ; absence d’hyperméthylation du promoteur.
  • La modification 2 (c.-63C>A) est localisée en amont de la séquence codante du gène CDH1 (en position -63 par rapport au codon d’initiation de la traduction ATG). La substitution intéresse un nucléotide faiblement conservé au cours de l’évolution des espèces, ce qui plaide en faveur du caractère non pathogène de cette modification. Il n’y a pas eu d’étude fonctionnelle, faute de matériel biologique disponible.

Figure 1. Modifications nucléotidiques du gène CDH1 identifiées dans la population de l’étude

Modification A : c.670C > T /p.ARg224Cys (exon 5 ; codon 224)
Modification B : – 63C > A
Au total, les 2 modifications nucléotidiques identifiées ne sont probablement pas délétères. Elles ne doivent pas être considérées comme des mutations mais comme des variants rares. L’absence d’identification de mutations délétères du gène CDH1 dans cette série de 21 cas est à rapprocher des données publiées. La compilation de ces données indique qu’une variation de séquence du gène CDH1 a finalement été identifiée chez 19 des 264 individus avec cancer gastrique de type diffus ou mixte de présentation sporadique diagnostiqué à un âge ≤ 51 ans, soit 7,2% des cas. Cependant, seules 6 de ces 19 variations peuvent être considérées comme pathogènes sans ambiguïté, soit une prévalence des mutations délétères du gène CDH1 dans ce contexte de 2,3 %. De façon intéressante, les 6 individus porteurs d’une mutation délétère du gène CDH1 étaient âgés de moins de 35 ans au diagnostic [27 ans (n = 2) ; 29 ans (n = 1) ; 30 ans (n = 2) ; 31 ans (n = 1)].

La principale conclusion de ce travail est qu’en l’absence d’agrégation familiale, l’identification d’une mutation constitutionnelle du gène CDH1 est très improbable lorsque l’âge au diagnostic du cancer gastrique de type diffus ou mixte est supérieur à 35 ans. L’étude de ce gène doit donc probablement être réservée aux individus atteints à un âge inférieur à 35 ans, ce qui est conforme aux recommandations récemment revues et publiées par Fitzgerald et al. [4] Ce travail souligne également que l’évaluation de la signification des modifications de type « faux-sens » du gène CDH1 (qui, par définition et à la différence des mutations non-sens et des délétions ou insertion d’un ou d’un petit nombre de nucléotides responsables d’un décalage du cadre de lecture, ne sont pas « tronquantes ») est délicate. Elle doit comporter différentes approches (prédictions bioinformatiques ; étude des transcrits ; évaluation de la conservation du nucléotide ou de l’acide aminé substitué au cours de l’évolution des espèces ; évaluation de l’écart physicochimique entre l’acide aminé natif et l’acide aminé substitué ; prévalence dans la population générale ; tests fonctionnels in vitro…) et fondamentale afin de ne pas considérer comme délétère et causale une altération correspondant à un simple variant.

Références

[1] Caldas C, Carneiro F, Lynch HT, et al. Familial gastric cancer: overview and guidelines for management. J Med Genet 1999;36:873-880.
[2] Carneiro F, Oliveira C, Suriano G, et al. Molecular pathology of familial gastric cancer, with an emphasis on hereditary diffuse gastric cancer. J Clin Pathol 2008;61:25-30.
[3] Corso G, Pedrazzani C, Pinheiro H, et al. E-cadherin genetic screening and clinicopathologic characteristics of early onset gastric cancer . Eur J Cancer 2011;47:631-9.
[4] Fitzgerald RC, Hardwick R, Huntsman D, et al. Hereditary diffuse gastric cancer: updated consensus guidelines for clinical management.J Med Genet 2010;47:436-44.