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11 juillet 2012
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L’élastographie : un outil intéressant pour le diagnostic de malignité des adénopathies suspectes identifiées en échoendoscopie digestive ?

L’élastographie est une technique non invasive, facilement mise en œuvre au cours de l’échoendoscopie digestive, qui permet d’évaluer l’élasticité et donc la consistance des tissus. Les données de la méta-analyse/compilation que nous rapportons indiquent qu’elle pourrait aider au diagnostic de malignité des adénopathies suspectes. L’intérêt principal pourrait être de guider les ponctions échoguidées afin d’augmenter leur rentabilité lorsque l’existence de métastases ganglionnaires est de nature à modifier la stratégie thérapeutique. Il est cependant important de standardiser les modalités de la procédure et surtout de l’analyse des résultats (méthode qualitative ou quantitative, seuil discriminant …)

 

 

Adénopathies benignes ou malignes ? Intérêt de l’élastographie ultrasonore.

 

EUS elastography for the differentiation of benign and malignant lymph nodes : a meta-analysis.
Xu W, Shi J, Zeng X, et al. Gastrointestinal Endoscopy 2011. 74 : 5 : 1001-1009

 

La recherche de métastases ganglionnaires en échoendoscopie est un élément important du bilan d’extension locorégionale des cancers primitifs du tube digestif qui est susceptible de conditionner la stratégie thérapeutique. L’échoendoscopiste est également parfois sollicité pour la caractérisation d’adénopathies de nature indéterminée, en particulier au niveau du médiastin postérieur (adénopathies inflammatoires ? sarcoïdose ? tuberculose ? adénopathies tumorales ?).

 

Les critères morphologiques classiques indicateurs de malignité en échoendoscopie sont les suivants : taille ≥ 10 mm, caractère sphérique, limites nettes, hypoéchogénicité franche. La performance  de ces critères pour le diagnostic de malignité est cependant médiocre (sauf s’ils sont tous présents pour une lésion donnée, ce qui est relativement rare), en particulier pour les localisations ganglionnaires autres que péri-œsophagiennes. La ponction écho-guidée permet d’améliorer la performance diagnostique. Il s’agit d’une technique sûre mais cependant invasive et parfois délicate : choix du/des ganglion(s) suspect(s) à biopsier en cas d’adénopathies multiples ? risque de faux positif en cas de contamination du matériel de ponction par la tumeur primitive pour les adénopathies juxta-tumorales … Par ailleurs, si la spécificité d’une ponction est de 100% en cas d’identification de cellules malignes au sein de ganglion, il existe des faux négatifs et la sensibilité est bonne mais imparfaite.

 

L’élastographie par ultrasons (imagerie élastographique) est une technique qui permet d’évaluer en temps réel la consistance ou l’élasticité des tissus par étude de leur compressibilité, c’est-à-dire de la déformation subie sous l’action d’une contrainte externe. La différence de consistance entre les tumeurs malignes (qui sont très généralement plus dures et donc moins compressibles) d’une part et les lésions bénignes et les tissus normaux d’autre part rend compte de l’intérêt de cette technique et de son développement dans différents champs de la pathologie cancéreuse en association à l’échographie transpariétale (caractérisation de nodules en pathologie mammaire et thyroïdienne notamment; caractérisation d’adénopathies superficielles  – cervicales, axillaires …). Elle est également explorée en association à l’échographie tansrectale pour la caractérisation de nodules prostatiques et pour guider la réalisation des biopsies et augmenter leur rentabilité (1).

 

Elle est plus récemment réalisable au cours de l’échoendoscopie digestive, sous réserve de disposer d’un module et d’un logiciel spécifique. Les modalités d’analyse des résultats ne sont pas standardisées : analyse qualitative sous la forme d’une « carte d’élastrographie » établie au moyen d’une échelle de couleur allant du bleu pour les tissus les plus durs, caractérisés par un déplacement induit minimal, au rouge pour les tissus les plus souples, caractérisés par un déplacement maximal, en passant par le vert et par le jaune ; analyse quantitative, basée sur le calcul de différents scores « élastographiques » et le choix (arbitraire) de seuils de discrimination entre les tissus cancéreux et les tissus bénins.

 

L’objectif de la méta-analyse conduite par Xu et al. était d’évaluer la performance de l’élastographie pour déterminer la nature bénigne ou maligne des adénopathies/adénomégalies identifiées en échoendoscopie (2).  Les études éligibles correspondaient à des études cliniques prospectives tentant de répondre à cette question par comparaison des données de l’élastographie à une technique de référence (cytoponction sous échoendoscopie, examen histologique sur pièce opératoire ou ; à défaut, données évolutives sur une période minimale de 3 mois) et dont les résultats publiés permettaient de calculer les taux de vrais positifs (sensibilité), vrais négatifs (spécificité), faux positifs et faux négatifs.  Au total,  7 études répondant à ces critères ont été sélectionnées par interrogation des bases de données Medline, Pubmed, Web of Science et Cochrane Central Trials. Cinq d’entre elles étaient publiées in extenso entre 2006 et 2009 ; 2 l’étaient uniquement sous forme d’abstracts en 2009 et en 2010.

 

La méta-analyse portait au total sur 368 patients et 431 ganglions de taille comprise entre 17,3 et 26,2 mm et de localisation variable : médiastinale, abdominale, cervicales péri-œsophagiennes. Les résultats de l’élastographie étaient exprimés, soit de façon purement qualitative (cartographie avec évaluation de la couleur obtenue pour la structure étudiée : homogène monochrome bleue +/- hétérogène à prédominance de bleu et de vert versus autre couleur; 4 études), soit de façon quantitative (3 études). La méthode de référence pour l’évaluation de la nature bénigne ou maligne des adénopathies correspondait à la cytoponction échoguidée exclusivement pour 2 études ; à la ponction échoguidée, à l’analyse histologique de pièces opératoires ou aux données évolutives pour les 5 autres études. Les adénopathies malignes correspondaient, soit à une localisation ganglionnaire d’un lymphome, soit à des métastases d’adénocarcinomes , de carcinomes épidermoïdes, de tumeurs endocrines ou de mélanomes.

 

Les résultats correspondant à l’évaluation de la performance de l’élastographie pour le diagnostic de la nature maligne des adénopathies à partir des données issues des 7 études incluses dans cette méta-analyse sont indiqués dans le tableau 1.

 

 Tableau 1 : performance de l’élastographie pour la détermination de la nature maligne d’adénopathies

 

Prise en compte des   7 études incluses

Exclusion des 2 études   sources d’hétérogénéité

Sensibilité   %   (IC95)

88% (83-92)

88.5% (79-90)

Spécificité   %   (IC95)

85% (79-89)

91% (85-95)

Coefficient de Probabilité pour un test positif1 [Positive Likelihood Ratio] (IC95)

5,68 (2,86-11,28)

7,99 (4,55-14,02)

Coefficient de Probabilité   pour un test négatif2 [Negative Likelihood Ratio] (IC95)

0,15 (0,10-0,21)

0,18 (0,13-0,25)

1 – Le Coefficient de Probabilité pour un test positif ou Positive Likelihood Ratio (Positive LR) correspond au rapport de la probabilité que le test soit positif lorsque le ganglion examiné est malin sur la probabilité que le test soit positif lorsqu’il ne l’est pas [Sensibilité / (1 – Spécificité) = Taux de Vrais Positifs / Taux de Faux Positifs]. Il indique combien de fois il est plus probable qu’un résultat positif d’élastographie soit obtenu lorsque le ganglion étudié est malin que lorsqu’il ne l’est pas. Lorsque le test est positif, la probabilité que le ganglion étudié soit malin est d’autant plus élevée que le coefficient de probabilité est plus élevé.
 
2 – Le Coefficient de Probabilité pour un test négatif ou Negative Likelihood Ratio (Negative LR) correspond au rapport de la probabilité que le test soit négatif lorsque le ganglion examiné est malin sur la probabilité que le test soit négatif lorsqu’il ne l’est pas. [(1 – Sensibilité) / Spécificité = Taux de Faux Négatifs / Taux de Vrais Négatifs]. Il indique combien de fois il est plus probable qu’un résultat négatif d’élastographie soit obtenu lorsque le ganglion étudié est malin que lorsqu’il ne l’est pas. Lorsque le test est négatif, la probabilité que le ganglion étudié soit bénin est d’autant plus élevée que le coefficient de probabilité est plus faible.

 

Il existait une hétérogénéité entre les études pour les paramètres « sensibilité » (p=0,0071 ; I2=66%), « spécificité » (p=0,0010 ; I2=73,3%), et « coefficient de probabilité pour un test positif » (CP+ = Positive Likelihood Ratio) (p=0,0002 ; I2=77,2%). Cette hétérogénéité n’était à mettre sur le compte d’aucun des paramètres explicatifs testés : type de publication (publication in extenso versus abstract) ; modalité d’analyse des résultats de l’élastographie (cartographie versus calcul d’un score d’élastographie) ; examen de référence (ponction à l’aiguille versus ponction à l’aiguille ou examen histologique de la pièce opératoire ou données évolutives) ; localisation et nombre (≥ 50 versus < 50) des ganglions étudiés.

 

Deux des 7 études incluses rendaient compte de l’hétérogénéité observée puisque leur exclusion de l’analyse permettait de la faire disparaitre. Les données d’une analyse de « sous-groupe », réalisée après exclusion des 2 études sources d’hétérogénéité, sont également rapportés dans le tableau 1. L’intérêt de l’élastographie couplée à l’échoendoscopie pour le diagnostic de malignité des adénopathies est résumé par une valeur de l’aire sous la courbe SROC (Summary Receiver Operating Characteristic) de 0,9421.

 

Au total, l’élastographie couplée à l’échoendoscopie digestive est une technique simple et non invasive qui semble prometteuse pour la caractérisation des adénopathies suspectes. Elle ne permet pas, à l’heure actuelle, de se substituer à la ponction échoguidée lorsque celle-ci est techniquement réalisable et que la démonstration de la nature métastatique d’une adénopathie est de nature à modifier la stratégie thérapeutique proposée. Elle pourrait avoir comme principal intérêt de guider la/les ponctions en cas d’adénopathies suspectes multiples afin d’en augmenter la rentabilité. Sa facilité de mise en œuvre constitue un avantage évident par rapport à l’échoendoscopie couplée à l’injection d’un produit de contraste échographique (on parle d’échoendoscopie de contraste harmonique) dans cette indication. Il est cependant important de souligner la nécessité de standardiser à la fois la procédure et l’analyse des résultats de l’élastographie (type de cartographie pertinent pour le diagnostic de malignité ; choix des scores et des seuils élastrographiques discriminants). A ce titre, les résultats de l’étude de Larino et al. sélectionnée dans ce travail mais source d’hétérogénéité et finalement exclue de l’analyse de sous-groupe sont éloquents (3). En effet, la prise en compte d’une cartographie hétérogène à prédominance de bleu et de vert au même titre qu’une cartographie bleue homogène était associée dans ce travail à une sensibilité de 100% pour le diagnostic de malignité au prix d’une spécificité médiocre et inacceptable.

 

Références

 

1 – Athanasiou A, Tardivon A. Elastographie par ultrasons en imagerie cancérologique. Oncologie 2010 ; 12 : 208-212.

 

2 – Xu W, Shi J, Zeng X, et al. EUS elastography  for the differentiation of benign and malignant lymph nodes: a meta-analysis. Gastrointestinal endoscopy 2011. 74 : 5 : 1001-1009.

 

3 – Larino J, Iglesias-Garcia J, Alvarez-Castro A, et al. Usefulness of endoscopic ultrasound (EUS) elastography for the detection of malignant infiltration of mediastinal and abdominal lymph nodes. Gastroenterology 2009; AB231 [abstract].