Le regorafenib : une dernière option pour les patients porteurs d’un CCRm en échec thérapeutique
Regorafenib monotherapy for previously treated metastatic colorectal cancer (CORRECT): an international, multicentre, randomised, placebo-controlled, phase 3 trial.
Grothey A, Van Cutsem E, Sobrero A, et al.
Lancet. 2012 Nov 21. pii: S0140-6736(12)61900-X.
Evaluation of regorafenib in colorectal cancer and GIST.
Waddell T, Cunningham D et al.
Lancet. 2012 Nov 21. pii: S0140-6736(12)62006-6.
Le regorafenib est un inhibiteur de tyrosine kinase multicibles oral combinant une action anti-angiogénique (VEGFR1–3, TIE2), une action anti-oncogénique (KIT, RET, RAF1, BRAF) et une action sur le microenvironnement péritumoral (PDGFR et FGFR). L’étude randomisée internationale de phase III CORRECT a évalué la tolérance et l’efficacité de cette nouvelle molécule par rapport au placebo chez des patients présentant un cancer colorectal métastatique (CCRm) progressif après toutes les lignes thérapeutiques validées. Après avoir été présentée aux congrès de l’ASCO GI® puis de l’ASCO®, les résultats de cette étude viennent d’être publiés dans le Lancet, accompagnés d’un magnifique éditorial signé de David Cunningham.
Patients et méthodes
Cette étude a inclu des patients en bon état général (ECOG 0-1) provenant de 16 pays qui ont été randomisés en double aveugle selon un ratio 2/1 pour recevoir soit le regorafenib (160 mg/j, soit 4 comprimés en une prise orale quotidienne) 3 semaines sur 4 soit un placebo. Ces patients devaient avoir reçu précédemment une fluoropyrimidine, l’oxaliplatine, l’irinotecan, le bevacizumab et un anticorps anti-EGFR (cetuximab ou panitumumab) en cas de tumeur KRAS sauvage. L’objectif principal était la survie globale et aucun cross-over n’était accepté.
Résultats
Au total, 760 patients ont été inclus (505 dans le bras regorafenib et 255 dans le bras placebo). Ces patients étaient lourdement prétraités car près de 50% d’entre eux avaient reçu au moins 4 lignes de traitement antérieurement, tous avaient reçu du bevacizumab et 42% avaient reçu du cetuximab ou du panitumumab.
- La survie globale médiane était significativement allongée dans le bras regorafenib (6,4 mois versus 5 mois, HR = 0,77 ; IC95% : 0,64-0,94 ; p=0,0052), de même que la survie sans progression (1,9 vs 1,7 mois ; HR=0,49 ; IC95%: 0,42-0,58 ; p<0.000001) et le taux de contrôle de la maladie (41% vs 14,9% ; p<0,0001). Ce bénéfice en survie était observé dans pratiquement tous les sous-groupes analysés
- La toxicité était nettement majorée dans le bras regorafenib où 93% des patients ont présenté des effets secondaires jugés en rapport avec le traitement contre 61% dans le bras contrôle. Le profil de toxicité était similaire à celui d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase multicibles, avec comme effets secondaires principaux : la fatigue, le syndrome main-pied, la diarrhée, la mucite, le rash cutané et l’hypertension artérielle (tableau). Les toxicités de grade 3 ou 4 étaient en particulier beaucoup plus fréquentes dans le bras regorafenib (54% vs 14%) et 8 décès toxiques ont été observés (2%) contre 3 dans le bras placebo (1%). Ces effets secondaires ont conduit à une modification de dose chez 67% des patients du bras regorafenib contre 23% des patients du bras placebo.
- L’analyse de la qualité de vie (mesurée par 2 questionnaires : le EORTC QLQ-C30 et le EQ-5D) n’a pas montré d’altération significative de la qualité de vie chez les patients traités par regorafenib par rapport à ceux ayant reçu le placebo.
Commentaires
Au vue de ces résultats d’efficacité positifs, le regorafenib apparaît donc comme une nouvelle option thérapeutique en situation d’échec thérapeutique dans le CCRm. Il vient d’ailleurs d’être approuvé par la FDA aux Etats-Unis et la commission d’AMM en France a émis un avis favorable à la mise à disposition précoce de cette molécule dans le cadre d’une Autorisation temporaire d’Utilisation (ATU) de cohorte pour « le traitement des patients adultes atteints d’un CCRm, en échec de chimiothérapie à base de fluoropyrimidine, d’un traitement par anti-VEGF ou, par un anti-EGFR ou en cas de contre-indication à ces traitements ».
Cependant, après ces premières manifestations d’enthousiasme spontané, quelques réflexions s’imposent à nous. Bien que l’essai CORRECT montre un bénéfice significatif en faveur du regorafenib, force est de constater que celui-ci est modeste, avec une amélioration en médiane de 1,4 mois pour la survie globale et de seulement 0,2 mois pour la survie sans progression. Ceci au prix d’une toxicité relativement invalidante. Certes sans altération de la qualité de vie. Mais, malheureusement aussi, sans amélioration de la qualité de vie, ce que l’on est en droit d’attendre d’une molécule utilisée en situation d’échec thérapeutique associée à un bénéfice en survie si modeste. Reste à analyser le ratio bénéfice/coût dès que le prix du traitement sera connu…
Tableau – Etude CORRECT : principaux effets secondaires
Message à retenir
Chez les patients avec CCRm en échec thérapeutique le regorafenib permet d’augmenter la survie sans progression et la survie globale, quelque soit le sous-groupe de patients analysé, mais ce au prix d’une toxicité non négligeable.