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13 décembre 2012
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Faible méthylation du rétrotransposon LINE-1 : une voie de recherche pour les agrégations familiales non Lynch de cancers colorectaux

Prospective Study of Family History and Colorectal Cancer Risk by Tumor LINE-1 Methylation Level.
Ogino S, Nishihara R, Lochhead P, et al.
J Natl Cancer Inst. 2012 Nov 21.

 

LINE-1 Long Interspersed Nucleotide Element 1, appartient à la grande famille des éléments transposables et plus particulièrement à la famille des rétrotransposons qui correspondent à des séquences d’ADN endogènes capables de se déplacer et de se multiplier dans le génome. Il constitue une part importante du génome humain, évaluée à 17%.

 

Il a été montré que certains cancers colorectaux sont associés à une hypométhylation de LINE-1. Cette hypométhylation pourrait être le reflet d’une hypométhylation globale du génome. Elle pourrait être directement carcinogène par le biais d’une instabilité génétique et d’un impact sur la transcription génique. Ce phénotype serait associé à un pronostic plus péjoratif, à une plus grande précocité du diagnostic et pourrait rendre compte de certaines agrégations familiales de cancers colorectaux.

 

Description de l’étude : objectif et méthode

 

Le travail de Ogino et al. que nous rapportons visait à évaluer le risque de cancer colorectal associé aux antécédents familiaux (nombre d’apparentés au 1er degré atteints : 0, 1, ≥ 2), pour différents phénotypes moléculaires : niveau de méthylation de LINE-1 : faible (LINE-1 LML, Low Methylation Level), versus intermédiaire (LINE-1 IML, Intermediate Methylation Level), versus élevé (LINE-1 HML, High Methylation Level) ; statut des microsatellites : MSI versus MSS ; et méthylation des promoteurs : CIMP-high versus CIMP-low/negative (1).

 

Il s’agit d’une étude prospective portant sur 86172 femmes et 47907 hommes issus de 2 cohortes américaines, la Nurses’ Health Study et la Health Professionals Follow up Study respectivement. Les individus inclus dans cette étude étaient interrogés au moyen de questionnaires envoyés périodiquement entre 1996 et 2004 sur l’existence de cancers colorectaux incidents chez eux même ou chez leurs apparentés au premier degré. L’interrogation des données d’un registre national de décès permettait de rechercher un éventuel décès et d’en préciser la cause pour les patients non répondeurs.

 

Pour les cancers incidents diagnostiqués chez les individus inclus dans l’une des 2 cohortes de cette étude, du matériel tumoral était obtenu en vue d’une relecture histologique et de la caractérisation du phénotype moléculaire au moyen de techniques d’analyse « validées » :

 

  • i) statut de méthylation de LINE-1 : faible (<55% ; LINE-1 LML), intermédiaire (55% à 64,9% ; LINE-1 IML) ou élevé (≥ 65% ; LINE-1 HML) ;
  • ii) statut des microsatellites : MSI (profil instable pour ≥ 3 des 10 marqueurs microsatellites testés ; Microsatellite Instability) ou MSS (profil instable pour < 3 des 10 marqueurs microsatellites testés ; Microsatellite Stable) ;
  • iii : statut de méthylation des promoteurs CIMP (CpG Island Methylator Phenotype) : élevé (≥ 6/8 promoteurs hyperméthylés ; CIMP-high ) ou faible/négatif (0 à 5 des 8 promoteurs analysés CIMP-low/negative ).

 

Résultats

 

A l’issue d’un suivi de 3.184.415 personnes.années, le nombre de cancers colorectaux incidents chez les sujets inclus dans cette étude était de 1224.

La fréquence des différents phénotypes moléculaires est rapportée dans le tableau 1.

 

Tableau 1: Phénotype moléculaire des 1224 cancers colorectaux incidents

Le risque relatif de cancer colorectal (pour chaque type moléculaire) en fonction des caractéristiques de l’histoire familiale sont rapportés dans le tableau 2.

 

Tableau 2 : Risque relatif (Hazard Ratio1 ; IC95%) des différents types moléculaires de cancer colorectal en fonction de l’histoire familiale (prise en compte de l’ensemble des cancers incidents)

* Classe de référence HR=1

1 – Ajustement pour les paramètres suivants : Index de masse corporelle ; activité physique ; consommation d’alcool, de folate, de méthinonine, de calcium, de viande rouge, tabagisme ; prise régulière de complexes multi-vitaminiques et d’aspirine®.

 

Les principales conclusions de ce travail sont les suivantes :

  • L’existence d’antécédents familiaux de cancers colorectaux est associée à une augmentation du risque de cancer colorectal (tous phénotypes moléculaires confondus).
  • L’augmentation du risque associée aux antécédents familiaux est significativement plus élevée pour les cancers de type MSI que pour les cancers de type MSS.
  • L’augmentation du risque du risque associée aux antécédents familiaux tend à être plus élevée pour les cancers de type LINE-1 LML que pour les cancers de type LINE-1 IML et que pour les cancers de type LINE-1 HML.
  • L’augmentation du risque associée aux antécédents familiaux n’est pas significativement différente en fonction de statut CIMP (CIMP-low/negative versus CIMP-high).

Afin d’exclure le syndrome de Lynch qui pourrait rendre compte de certaines agrégations familiales et constituer un facteur de confusion, le risque de cancers colorectaux de phénotypes LINE-1 LML, LINE-1 IML et LINE-1 HML en fonction du nombre d’apparentés atteints a été évalué dans un second temps en ne prenant en compte que les cancers incidents de phénotype MSS (Tableau 3).

 

Tableau 3 : Risque relatif (Hazard Ratio1 ; IC95%) de cancer colorectal de type MSS en fonction de l’histoire familiale et du niveau de méthylation de LINE-1

* Classe de référence HR=1

1 – Ajustement pour les paramètres suivants : Index de masse corporelle ; activité physique ; consommation d’alcool, de folate, de méthinonine, de calcium, de viande rouge, tabagisme ; prise régulière de complexes multi-vitaminiques et d’aspirine®.

 

Un antécédent de cancer colorectal chez 1 ou ≥ 2 apparentés était associé à une augmentation significative du risque relatif de cancer colorectal de type MSS LINE-1 LML (HR=1,68 et 3,48 respectivement) et dans une moindre mesure du risque relatif de cancer colorectal de type MSS LINE-1 IML (HR=1,50 et 1,42 respectivement). Il n’existait en revanche pas d’augmentation du risque relatif de cancer MSS LINE-1 HML chez les sujets ayant 1 ou ≥ 2 apparentés atteints.

 

Commentaires et perspectives

 

Les données de cette étude sont cohérentes avec celles de données publiées antérieurement, en particulier avec la constatation dans le travail de Goel et al. d’une association significative entre les syndromes X (agrégations familiales validant les critères d’Amsterdam mais ne correspondant pas à des syndromes de Lynch, c’est-à-dire non associées à une altération du système MMR) et le phénotype LINE-1 LML (2).

 

Elles suggèrent que le risque de cancer colorectal chez les apparentés de sujets avec CCR de type MSS LINE-1 LML pourrait être plus élevé que chez les apparentés de sujets avec CCR d’un autre phénotype moléculaire, en particulier MSS LINE-1 HML et que ces individus pourraient bénéficier de stratégies de dépistage spécifiques mais ceci mérite d’être évalué. Elles indiquent par ailleurs qu’une altération constitutionnelle d’un (de) gène(s) impliqué(s) dans la régulation de la méthylation de l’ADN pourrait être associée à une susceptibilité particulière aux cancers colorectaux et rendre compte de certaines formes de syndrome X (syndromes HNPCC non Lynch).

 

Message à retenir

 

Les antécédents familiaux de cancers colorectaux seraient associés à une augmentation particulière du risque de cancers colorectaux d’un phénotype particulier caractérisé par l’absence d’instabilité des microsatellites (MSS) et un faible degré de méthylation du rétrotransposon LINE-1 (LINE-1 LML). Cette vaste étude prospective suggère i) que l’évaluation du risque de cancer colorectal et l’établissement de recommandations de dépistage chez les apparentés de sujets atteints pourraient prendre en compte à l’avenir le phénotype moléculaire des cancers et ii) que les altérations constitutionnelles de gènes impliqués dans le contrôle de la méthylation de l’ADN pourraient rendre compte de certaines formes familiales/héréditaires ce qui offre de nouvelles perspectives de recherche.

 

Références 

 

1 – Ogino S, Nishihara R, Lochhead P, et al. Prospective study of family history and colorectal cancer risk by tumour LINE-1 methylation level. J Natl Cancer Instit 2012;  Nov

 

2 – Goel A, Xicola RM, Nguyen TP, et al. Aberrant DNA methylation in hereditary nonpolyposis colorectal cancer without mismatch repair deficiency. Gastroenterology 2010; 138: 1854-1862.