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14 juin 2012
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Double blocage de l’EGFR par la combinaison cetuximab + erlotinib : deux thérapies ciblées valent mieux qu’une dans le CCRm !

L’ensemble de ces données plaide en faveur de l’intérêt d’un blocage simultané de plusieurs membres de la famille des récepteurs HER (Human Epidermal Growth Receptor) et ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques dans la prise en charge des patients avec  CCRm  KRAS sauvage.

Dual Targeting of the Epidermal Growth Factor Receptor Using the Combination of Cetuximab and Erlotinib: Preclinical Evaluation and Results of the Phase II DUX Study in Chemotherapy-Refractory, Advanced Colorectal Cancer.
Weickhardt AJ, Price TJ, Chong G, et al. J Clin Oncol. 2012 Mar 12. [Epub ahead of print]

 

Chez les patients présentant un cancer colorectal métastatique (CCRm) et chimiorésistant le cetuximab et le panitumumab ont clairement montré leur intérêt par rapport à des soins de confort en l’absence de mutation de KRAS. Les taux de réponse et de survie obtenus dans cette situation restent cependant modestes, ce qui incite à rechercher de nouvelles stratégies visant à améliorer l’activité anti-tumorale de ces anticorps anti-EGFR.

 

La présente étude visait à évaluer l’intérêt d’une double inhibition de l’EGFR par la combinaison de cetuximab et d’erlotinib dans les CCRm chimiorésistants. Bien que les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) anti-EGFR n’aient pas montré de résultats probants dans le CCRm, des études précliniques ont, en effet, montré que la combinaison d’un anticorps anti-EGFR et d’un ITK anti-EGFR pouvait être synergique dans un certain nombre de lignées cellulaires tumorales, tout comme en clinique avec l’association du trastuzumab (anticorps monoclonal anti-HER2) et du lapatinib (ITK anti-EGFR/HER2) dans le cancer du sein.

 

Patient et méthodes

 

Les auteurs ont tout d’abord  évaluer l’effet de la combinaison cetuximab + erlotinib sur la croissance de plusieurs lignées cellulaires tumorales colorectales in vitro (en comparaison avec chacune des 2 molécules utilisées en monothérapie) et sur l’inhibition des voies de signalisation intracellulaire en aval d’EGFR.

 

Compte-tenu de l’effet synergique anti-tumoral observé in vitro avec le traitement combiné, un essai de phase II, l’essai DUX (Dual Targeting of EGFR Using Cetuximab and Erlotinib in Chemotherapy-Refractory mCRC), a été conduit pour évaluer cette même combinaison chez des patients avec CCRm chimiorésistant.

 

Résultats

Étude préclinique in vitro

  • La combinaison de cetuximab et d’erlotinib était associée dans plusieurs lignées cellulaires de CCR à un effet anti-prolifératif synergique et supérieur à celui observé avec le cetuximab ou l’erlotinib en monothérapie.
  • Cet effet anti-prolifératif n’était observé qu’en l’absence de mutation de KRAS ou de BRAF.
  • De plus, des effecteurs de la voie de signalisation intracellulaire RAS/MAPK (EGFR et MAPK phosphorylés : pEGFR et pMAPK) ainsi que l’expression des gènes cibles de la voie des MAPK (FOS, JUN et EGR1) étaient inhibés de manière beaucoup plus importante par le traitement combiné que par chacune des deux molécules utilisée isolément, suggérant un blocage de la voie EGFR plus importante avec le double blocage d’EGFR qu’avec un simple blocage.
  • De façon plus globale, une analyse de l’expression de multiples phosphokinases a montré une inhibition renforcée de pAKT et de pSTAT3 (reflets respectifs de l’activation des voies de signalisation intracellulaire PI3K/AKT et de STAT).
  • Enfin, aucune modification de l’expression d’EGFR à la surface cellulaire n’était observée avec la combinaison par rapport au cetuximab seul.

 

Étude de phase II DUX

 

Entre octobre 2008 et septembre 2009, 50 patients ont été inclus dans 4 centres australiens, dont 48 étaient évaluables pour la réponse. Au total, 11 avaient une mutation de KRAS et 8 autres une mutation de BRAF. Les résultats sont résumés dans le tableau ci-dessous :

 

Tous les patients

(n=48)

Patients KRAS sauvage

(n=37)

Patients KRAS muté

(n=11)

Patients KRAS/BRAF sauvage

(n=29)

Taux de réponse (%)

31

41

0

52

SSP médiane (mois)

4,6

5,6

2,7

5,6

SG médiane (mois)

12,1

12,9

7,3

13,2

 

 

En terme de faisabilité et de tolérance, une dose-intensité > 80 % a été reçu chez 70 % des patients pour le cetuximab et 60% pour l’erlotinib, avec une durée médiane d’interruption de 2 semaines pour les 2 molécules et une réduction de doses nécessaires chez 10 patients pour le cetuximab et 18 patients pour l’erlotnib  (en majorité due à la toxicité cutanée). Des effets indésirables sévères de grade 3 ou 4 ont été observés chez 68 % des patients. Les plus fréquents étaient le rash (48 %), l’hypomagnésémie (18 %), la fatigue (10 %) et la diarrhée (6 %).

 

Commentaires

 

Ces données à la fois pré-cliniques et cliniques suggèrent que la double inhibition EGFR par la combinaison d’un ITK et d’un anticorps monoclonal est une stratégie prometteuse dans les CCRm chimiorésistants KRAS sauvage, qui  pourrait permettre d’obtenir des taux de réponse et de survie paraissant supérieurs à ceux obtenus avec un anticorps anti-EGFR en monothérapie (1,2). Ces résultats encourageants semblent être liés à un blocage vertical de la voie de signalisation EGFR/MAPK plus important qu’avec le cetuximab seul (se traduisant par une toxicité cutanée et une hypomagnésiémie également plus importante), mais également à une inhibition d’autres voies de signalisation intracellulaire en aval de l’EGFR, en particulier de la voie STAT3.

 

L’effet synergique obtenu en ajoutant l’erlotinib au cetuximab pourrait être lié à son effet spécifique sur HER2 lui permettant notamment d’inhiber la formation des hétérodimères HER2/HER3, en complément de celle des homodimères EGFR et des hétérodimères EGFR/HER2 obtenu avec le cetuximab. Cette hypothèse, développée dans l’éditorial rédigé par l’équipe de Pierre Laurent-Puig qui accompagne cet article (3), est renforcée par la constatation dans l’étude in vitro d’une régulation négative de STAT3, cette voie de signalisation étant la cible préférentielle des hétérodimères HER2/HER3. Enfin, toujours via son action sur les hétérodimères HER2/HER3, l’erlotinib pourrait permettre de reverser la résistance au cetuximab liée à l’activation de HER2 (par amplification de HER2 ou surexpression de l’heréguline, un ligand de HER3).

 

Références

 

1- Karapetis CS, Khambata-Ford S., Jonker DJ et al. K-ras mutations and benefit from cetuximab in advanced colorectal cancer. N Engl J Med 2008 ; 359 : 1757-65

 

2- Amado RG, Wolf M, Peeters M, et al. Wild-type KRAS is required for panitumumab efficacy in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2008 ; 26 : 1626-34

 

3- Laurent-Puig P, Manceau G, Zucman-Rossi J, Blons H. Dual Blockade of Epidermal Growth Factor Receptor-Induced Pathways: A New Avenue to Treat Metastatic Colorectal Cancer. J Clin Oncol. 2012 Mar 12. [Epub ahead of print]