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26 avril 2011
Digestif
Boris GUIU

Surveillance post-thérapeutique du carcinome hépatocellulaire : un pas vers la standardisation

Post-therapeutic Surveillance of Hepatocellular Carcinoma: a step towards standardization

Boris GUIU
INSERM U866, CHU Dijon, Département de Radiologie et d’Imagerie Diagnostique et Thérapeutique, 2, boulevard Maréchal de Lattre de Tassigny, BP 77908, F-21079 Dijon – Boris.guiu@chu-dijon.fr

 

Résumé

La surveillance post-thérapeutique du carcinome hépatocellulaire ne fait l’objet d’aucune recommandation, ni d’aucun consensus à l’échelle internationale actuellement. Après traitement d’un CHC, le risque d’en développer un nouveau est probablement plus important que sur un foie « naïf » de tumeur. Par ailleurs, le risque de métastase hépatique ou extrahépatique vient se surajouter. Les modalités de surveillance (type d’examen d’imagerie, critères d’évaluation, rythme de surveillance) restent à déterminer par des études spécifiques. La présentation de la récidive est différente selon la thérapeutique appliquée (transplantation, résection, destruction percutanée, chimioembolisation ou thérapie ciblée). Ceci nécessite probablement une adaptation de cette surveillance pour optimiser la prise en charge de la récidive lorsqu’elle survient. Des recommandations ont été proposées dans la dernière version du Thésaurus National de Cancérologie Digestive (TNCD), et constituent un premier pas vers la standardisation de la surveillance. Des essais devraient rapidement voir le jour pour en démontrer le bénéfice en termes de survie.

Mots-clés : IRM, Scanner, Échographie, Transplantation hépatique, Résection, Radiofréquence, Chimioembolisation, Critères RECIST-modifiés


Abstract

No consensus or guidelines are currently available for the post therapeutic surveillance of hepatocellular carcinoma (HCC). After the treatment of HCC, the risk for developing a new HCC nodule is probably higher than that observed on a “simple” cirrhotic liver.
Moreover, the risk for metastasis must be also taken into account.
Surveillance modalities (type of imaging modality, evaluation criteria, rhythm for surveillance) have to be determined by specific studies. The presentation of recurrence is very different according the treatment applied (transplantation, resection, percutaneous ablation, chemoembolization or targeted therapy). This probably necessitates to adapt surveillance in order to optimize the treatment for recurrence when it happens. Recommendations have been proposed in the Thésaurus National de Cancérologie Digestive and represent a first step towards standardization of post-therapeutic surveillance. Trials are in preparation to definitively demonstrate the benefit in survival.

Keywords:MRI, CT-scan, Ultrasonography, Liver transplantation, Eesection, Radiofrequency ablation, Chemoembolization, Modified-RECIS criteria

 

Introduction

La surveillance des patients à risque de carcinome hépatocellulaire (CHC), en particulier des patients porteurs d’hépatopathies chroniques, a longtemps fait débat. Même si le niveau de preuve reste faible, il est recommandé de surveiller régulièrement les patients à risque [1] sous l’argument que cette surveillance permettrait de diminuer la mortalité liée au CHC.

Seule une étude randomisée chinoise a fait la preuve d’une telle diminution de la mortalité (–37 %) dans un groupe de patients surveillés par échographie et dosage de l’alphafoetoprotéine (AFP) [2]. La surveillance des patients à risque, une meilleure prise en charge des complications des hépatopathies chroniques et l’arrivée de nouvelles thérapeutiques ont permis, depuis 30 ans, d’augmenter la proportion de patients pouvant bénéficier d’un traitement curatif ou palliatif et donc d’améliorer nettement la survie [3].

Assez curieusement, la surveillance des patients traités ne fait l’objet d’aucun consensus ni d’aucune recommandation dans la littérature, pourtant assez riche dans le domaine du CHC.

Même si son bénéfice reste théoriquement à démontrer, la surveillance post-thérapeutique est la règle en cancérologie.

Afin de tenter une rationalisation de cette surveillance, des recommandations dites « d’experts » ont été proposées dans la dernière version du Thésaurus National de Cancérologie Digestive (www.tncd.org).

Il est probable, mais pas formellement démontré, que le risque de cancer soit plus élevé chez les patients ayant déjà eu un CHC que chez les patients « naïfs » de tumeur. Les patients ayant une cirrhose ont un risque de carcinogenèse multifocale de novo, auquel peut s’ajouter le risque de métastase hépatique d’un CHC traité antérieurement. Seule l’analyse génétique permettrait de différencier ces 2 entités, mais certaines études ont démontré que les récidives précoces (dans les 2 premières années) correspondaient plutôt à des métastases intrahépatiques du 1er CHC, alors que les récidives tardives (après 2 ans) étaient plutôt le fait d’une carcinogenèse de novo [4]. Ces éléments incitent à intensifier la surveillance en post-thérapeutique, notamment dans les 2 premières années.

 

Quel examen d’imagerie ?

Le suivi radiologique est fondamental et repose sur l’échographie semestrielle chez les patients à risque de CHC mais naïfs de tumeur. Les techniques d’imagerie en coupes (scanner et IRM) ont probablement une place centrale pour la surveillance post thérapeutique, étant donné leurs performances diagnostiques supérieures à l’échographie [5]. L’IRM est réputée plus sensible que le scanner (68 % vs 81 %) [5] et n’est pas irradiante, ce qui en fait la modalité de choix. Pour autant, la faible différence de performance diagnostique et les évolutions technologiques récentes des scanners (augmentation du nombre de détecteurs, double-énergie, etc.) autorisent à proposer des surveillances par scanner d’autant que la disponibilité des machines est bien supérieure.

 

Quels critères ?

Classiquement en cancérologie, il n’existe que 4 possibilités pour définir la réponse au traitement : réponse complète, réponse partielle, stabilité ou progression. Cette terminologie fait référence aux critères RECIST (Response Evaluation Criteria in Solid Tumors) basés sur les modifications de taille (unidimensionnelle) de la tumeur après traitement. Si ces critères doivent s’appliquer à toutes les tumeurs solides (dont le CHC), il a été proposé, dès la conférence de Barcelone en 2000, d’utiliser des critères basés sur la taille non pas de la tumeur mais de sa partie « viable », c’est-à-dire celle prenant le contraste après injection (de produit de contraste iodé en scanner ou de chélate de gadolinium en IRM). Ce concept de viabilité (i.e. prise de contraste) est apparu évident à l’époque après chimioembolisation puisqu’on pouvait observer une dévascularisation en l’absence de diminution de la taille tumorale. Ces critères dits « EASL » (European Association for the Study of the Liver) correspondaient à une surface (mesure bidimensionnelle) pour certains calculés en multipliant les 2 plus grands diamètres orthogonaux de la partie viable de la tumeur, pour d’autres en calculant directement la surface de la partie viable sur les consoles scanner/IRM. La définition relativement floue des critères EASL et leur mise en oeuvre peu pratique a beaucoup limité leur utilisation. L’arrivée des thérapies ciblées, en particulier des antiangiogéniques, a rendu caduc le concept de réponse basée sur la taille globale de la tumeur (2 % de réponse objective après sorafenib dans le CHC [essai SHARP] [6] malgré une augmentation significative de la survie globale). C’est dans ce contexte que sont apparus récemment les critères RECIST modifiés [7,8] qui reprennent le principe des critères EASL (mesure de la tumeur « viable ») mais sous une forme simplifiée, en utilisant une mesure unidimensionnelle (le plus grand diamètre), d’utilisation pratique beaucoup plus simple (Fig. 1).

 

Figure 1 : Nodule de CHC du dôme hépatique avant et après chimioembolisation.
Évaluation 
post-thérapeutique en fonction des critères choisis (RECIST, EASL, RECISTmodifiés)

 

Les critères RECIST-modifiés font maintenant référence et s’appliquent à la partie de la tumeur prenant le contraste à la phase artérielle (considérée comme tumeur « viable »). On parle de :

  • réponse complète si disparition des lésions cibles ;
  • réponse partielle si diminution d’au moins 30 % de la somme des diamètres des tumeurs « viables » ;
  • progression si apparition d’une nouvelle lésion « viable » ou augmentation d’au moins 20 % de la somme des diamètres des tumeurs « viables », en prenant comme référence la plus petite somme de ces diamètres depuis le début du traitement ;
  • stabilisation dans tous les autres cas.

 

Ces critères seront probablement amenés à évoluer dans le futur.
Nul doute que l’imagerie fonctionnelle (perfusion, diffusion, spectroscopie, etc.) devrait prendre une part fondamentale dans l’évaluation post-thérapeutique.

La problématique de la surveillance thérapeutique est complexe en raison de la diversité des possibilités thérapeutiques (transplantation, résection, CHE, RF, sorafenib, etc.) et de leurs associations ou combinaisons. Elle doit être adaptée à chaque type de traitement car les récidives ne se présentent pas de la même façon :

 

1) Après Transplantation Hépatique (TH)

Il y a un risque de récidive après TH de 11 % à 23 % selon les études [9-11]. Cette récidive détermine nettement la survie des patients [12]. Les récidives sont précoces : 75 % à 2 ans [13] et sont majoritairement extrahépatiques (38,5-53 %) (poumon++, os+). Elles sont hépatiques exclusives dans 0-23 % des cas et extra et intrahépatiques dans 31-38,5 % des cas [14,15].

Les critères de Milan (nodule unique > 5 cm, ou plus 3 nodules > 3 cm) constituent le facteur de risque de récidive majeur le plus classique dans les études. Lorsque la transplantation est réalisée selon les critères de Milan, le taux de récidive est de 8 %, alors qu’il est de 50 % lorsque les patients sont hors critères de Milan [16]. L’envahissement vasculaire et la différenciation cellulaire sont également des facteurs de risque de récidive retrouvés dans la majorité des études. En raison de ces éléments, la surveillance post-transplantation est recommandée, doit être étroite durant les 2 premières années, avec une surveillance attentive du poumon (par scanner thoracique), éventuellement personnalisée en fonction des facteurs de risque obtenus à partir de l’analyse histologique du foie explanté.

 

2) Après résection chirurgicale

Le risque de récidive est important et varie selon les études entre 50 et 100 % à 5 ans. Les facteurs de risque de récidive sont : le nombre de nodules, leur taille, l’envahissement vasculaire, la présence d’une cirrhose et son stade [17,18]. En effet, le taux annuel de récidive chez les patients cirrhotiques est élevé (environ 20 % an) [18]. Chez les patients noncirrhotiques, ce taux est plus faible (environ 15 %/an les 2 premières années) et diminue nettement à partir de la 3e année [18]. La récidive, lorsqu’elle survient, se fait fréquemment sous la forme d’un nodule hépatique unique (48 %-69 % des cas) ou de nodules multiples, mais restant dans les critères de Milan [18].

La surveillance post-thérapeutique a donc un intérêt certain puisque ces patients sont assez souvent accessibles à un nouveau traitement curatif. Elle sera étroite en particulier au niveau hépatique (peu de récidives extrahépatiques exclusives) durant les 2 premières années et pourra éventuellement être allégée ensuite.

 

3) Après destruction percutanée

Les mêmes principes que ceux évoqués précédemment pour la résection restent valables, auxquels s’ajoutent certaines spécificités liées à la technique :

La taille de la tumeur traitée est l’élément déterminant du taux de récidive locale. Pour les techniques monopolaires, un seuil à 3 cm est classiquement rapporté dans les études [19-21]. En dessous de ce seuil, le taux de récidive locale est inférieur à 10 % alors qu’il augmente considérablement au-delà de 3 cm. En cas de contact entre la tumeur traitée et un vaisseau de diamètre supérieur à 4 mm, le taux de récidive locale devient très élevé (> 50 % versus 10 %) [22,23] en raison du « Heat Sink Effect » ou effet de dissipation de la chaleur en raison du flux sanguin.

En fonction de ces facteurs, la surveillance post-thérapeutique peut être adaptée au risque individuel du patient.

 

4) Après chimioembolisation

Il paraît licite de proposer une évaluation 1 mois après chaque session de chimioembolisation. Cette évaluation sera clinique, biologique (bilan hépatique, alphafoetoprotéine) et radiologique.

L’hétérogénéité des pratiques (nombre du cures, espace intercure, stratégie de traitement systématique ou « à la demande ») rend pratiquement impossible l’établissement de recommandations pour le suivi ultérieur, mais celui-ci doit être réalisé pour ne pas poursuivre un traitement éventuellement inefficace dont la morbi-mortalité n’est pas négligeable.

Concernant le suivi radiologique, l’IRM est encore l’examen de choix, mais le scanner a l’avantage de pouvoir évaluer la fixation lipiodolée (qui est un facteur prédictif d’efficacité) lorsqu’une chimioembolisation à base de lipiodol a été réalisée.

Le concept récent de « primary index lesion » a été publié dans JAMA en 2010 [24]. Le principe est d’étudier la réponse à la chimioembolisation de la tumeur la plus volumineuse (et seulement celle-ci) traitée lors de la première curede chimioembolisation.

La réponse est prédictive du temps jusqu’à progression et de la survie des patients. Même si ces résultats demandent à être confirmés, ce concept de « primary index lesion » pourrait considérablement simplifier la surveillance radiologique post chimioembolisation

 

5) Après sorafenib

Le design de l’essai de phase III SHARP [6] qui a démontré le bénéfice en survie globale du sorafenib, n’a pas prévu d’arrêt du traitement en cas de progression radiologique. Toutefois, la surveillance post-thérapeutique est la règle en cancérologie et doit donc s’appliquer aussi au sorafenib. On s’attachera donc à rechercher une progression tumorale qui pourra justifier l’arrêt du traitement ou l’inclusion du patient dans un essai thérapeutique.

Au total, il n’existe actuellement aucun niveau de preuve solide pour justifier la surveillance post-thérapeutique du CHC, ses modalités, son rythme, ou ses critères. Les recommandations proposées dans le Thésaurus jettent la première pierre pour tenter de rationaliser cette surveillance à partir des données actuellement très limitées de la littérature. Au vu de l’amélioration du pronostic des patients porteurs d’un CHC, la surveillance post thérapeutique deviendra fondamentale pour optimiser le traitement de la récidive, et donc probablement pour augmenter la survie. Des essais cliniques devraient rapidement voir le jour dans ce sens. Beaucoup de travail nous attend car tout reste à faire !