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7 janvier 2011
Digestif

Place des antiangiogéniques dans la prise en charge des cancers colorectaux métastatiques

Anti-angiogenic agents in treatment of metastatic colo-rectal cancers

Gérard Lledo1, Aimery de Gramont
1. Hôpital privé Jean Mermoz, Service Hépatogastroentérologie-Cancérologie digestive,
55, avenue Jean Mermoz, F-69008 Lyon – 2. Hôpital Saint-Antoine, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, GERCOR, 22, rue Mahler, F-75004 Paris – Tirés à part : Gérard Lledo, Hôpital privé Jean Mermoz, 55, avenue Jean Mermoz, F-69008 Lyon – Tél. : 08 26 30 69 69 – Fax : 04 78 74 07 92 – gerard.lledo@orange.fr

 

Résumé

Dirigées contre des facteurs de croissance ou leurs récepteurs, et directement issues d’une meilleure connaissance de la biologie tumorale, les biothérapies ou thérapies ciblées sont devenues incontournables dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique. En particulier, le blocage de l’angiogenèse tumorale est devenu l’une des pierres angulaires de la prise en charge de ces patients. À ce jour, le seul antiangiogénique ayant clairement démontré son importance clinique dans cette pathologie est le bevacizumab qui cible exclusivement le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et qui, associé à l’éventail des chimiothérapies de 1re et de 2e lignes déjà existantes, a ici permis une amélioration en survie. Se posent cependant des questions sur la durée optimale du traitement par bevacizumab, son utilisation en traitement d’entretien seul ou en association au 5FU, son administration chez le sujet âgé ou chez les patients présentant des métastases hépatiques résécables. L’ensemble de ces points ainsi que la place de bevacizumab dans la stratégie thérapeutique du CCRm sont abordés ici.

Mots-clés : Cancer colorectal, Antiangiogénique, Bevacizumab, Stratégie thérapeutique

 

Abstract

The benefit of using targeted therapies directed against growth factors or their receptors, issued from a better knowledge of the tumor biology, in the treatment of patients with a metastatic colorectal cancer is undeniable. In particular, the inhibition of tumor angiogenesis has become a cornerstone in the treatment management of these patients. At present, the only antiangiogenic with demonstrated clinical importance in this pathology is bevacizumab, which exclusively targets the VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) and, when combined to a large range of existing first line and second line chemotherapies, has indeed allowed an improvement in survival. Questions remain on the optimal treatment duration with bevacizumab, its use as a maintenance treatment of monotherapy or in combination with 5FU, its administration in elderly patients or in patients with resectable liver metastases. All these points as well as the role of bevacizumab in a therapeutic strategy in mCRC are discussed here.

Keywords:Colorectal cancer, Anti-angiogenic, Bevacizumab, Treatment strategy

 

Introduction

En France comme dans la majorité des pays occidentaux, en dépit de progrès de prévention et de dépistage, le cancer colorectal occupe la 3e place en termes d’incidence après les cancers de la prostate et du sein. Environ 40000 nouveaux cas de cancer colorectal sont diagnostiqués par an et près de 17000 sujets en décèdent [1].

L’arsenal thérapeutique dont disposent les cliniciens pour le traitement du cancer colorectal métastatique (CCRm) s’est considérablement enrichi ces 3 dernières décades. Il est passé d’une monothérapie par 5-FU sensibilisée par l’acide folinique [2,3] aux diverses bithérapies associant le 5-FU à un cytotoxique, essentiellement l’irinotécan ou l’oxaliplatine [4-6] sans écarter la capécitabine [7,8] ou le raltitrexed [9] et enfin aux trithérapies grâce au développement récent des thérapies ciblées [10-12]. Ces dernières, issues d’une meilleure connaissance de la biologie tumorale, sont dirigées contre des facteurs de croissance ou des récepteurs de ceux-ci.

Finalement, l’association chimiothérapie et thérapies ciblées, la collaboration médicochirurgicale ainsi que l’optimisation de la stratégie globale faisant intervenir les traitements d’entretien et, dans certains cas, les pauses thérapeutiques ont permis d’améliorer la qualité de vie des patients et d’accroître considérablement la survie globale médiane qui est passée de moins de 12 mois au début des années 90 à plus de 24 mois actuellement.

Dans le cancer colorectal métastatique, les inhibitions des voies de signalisation ayant montré un intérêt thérapeutique sont celles du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor). Parmi les trois thérapies ciblées actuellement indiquées dans le cancer colorectal (bevacizumab, cetuximab, panitumumab), le bevacizumab est le seul à cibler exclusivement le VEGF, ce qui lui confère une action antiangiogénique spécifique.

Si son intérêt en termes de survie a largement été démontré en première et deuxième lignes thérapeutiques, en association au 5FU-Oxaliplatine ou au 5FU-Irinotécan, différentes questions restent non-résolues telles que la durée optimale du traitement par bevacizumab, son utilisation en traitement d’entretien seul ou en association au 5FU, son administration chez le sujet âgé ou chez les patients présentant des métastases hépatiques résécables.

Nous nous proposons ici d’aborder l’ensemble de ces points ainsi que la place de bevacizumab dans la stratégie thérapeutique du CCRm à la lumière des données publiées ou présentées en congrès à ce jour.

 

Mécanisme d’action du bevacizumab

Le VEGF

Le VEGF intervient très précocement dans le développement tumoral et ce, pour la plupart des néoplasies solides ou des hémopathies, et représente le plus puissant et le plus spécifique des différents facteurs angiogéniques identifiés à ce jour [13,14]. Le VEGF est un régulateur-clé de l’angiogenèse normale et pathologique. Il s’agit d’une glycoprotéine produite par les cellules normales et de façon dérégulée par les cellules tumorales. En s’y fixant, il active trois récepteurs : VEGFR1, VEGFR2 et VEGFR3 [15,16]. Il est alors responsable de plusieurs effets biologiques tels que la migration, la survie et la prolifération des cellules endothéliales à l’origine d’une néo-vascularisation tumorale. Par ailleurs, son action sur l’induction de protéinases conduit à un remodelage de la matrice extracellulaire, une augmentation de la perméabilité vasculaire et un maintien des vaisseaux néoformés. Dans les cancers colorectaux, une expression élevée du VEGF est corrélée à l’invasion cellulaire, la densité vasculaire, le développement de métastases et le pronostic [14,17-22].

 

Le bevacizumab

Le bevacizumab est un anticorps humanisé de type IgG1, dirigé contre le VEGF [23]. Il se lie au VEGF, inhibant ainsi la liaison à ses récepteurs situés à la surface des cellules endothéliales. Bloquer la fixation du VEGF sur ses récepteurs permet une involution des néo-vaisseaux tumoraux, d’où une réduction de la perfusion tumorale et de la croissance tumorale. L’administration de bevacizumab dans des modèles de transplantation de cancers humains chez les souris nudes montre une réduction de la croissance des micro-vaisseaux et une inhibition de la progression des métastases [24-26]. Les résultats du bevacizumab en monothérapie sont modestes, alors qu’en association à une chimiothérapie ils se révèlent significativement supérieurs à ceux de la chimiothérapie seule [27-33].

Ces observations ont conduit à l’hypothèse qu’en plus de son activité antiangiogénique, le bevacizumab pourrait permettre d’accroître la pénétration de la chimiothérapie au sein de la tumeur en normalisant, au moins temporairement, la vascularisation tumorale. Ceci permettrait paradoxalement une majoration du flux sanguin tumoral et une réduction de l’hypoxie tumorale, toutes deux favorables à l’activité des drogues antimitotiques [24,34].

 

Efficacité de bevacizumab dans le CCRm

De nombreux essais randomisés de phases II et III ou de larges études observationnelles prospectives, telles que la cohorte BEAT menée en Europe (n = 1603) et la cohorte BRiTE menée aux États-Unis (n = 1 960), ont démontré l’activité du bevacizumab associé à différentes chimiothérapies en première et deuxième lignes de traitement du CCRm [27-33,35-37]. Plusieurs métaanalyses évaluant l’efficacité de bevacizumab ont également été publiées [32, 33,38]. Les résultats des essais randomisés sont présentés dans le tableau 1. Les résultats de l’ensemble des essais publiés randomisés et non-randomisés sont présentés dans les figures 1, 2 et 3.

 

Figure 1 – Médiane de survie sans progression avec bevacizumab associé à une chimiothérapie
à base d’oxaliplatine au cours d’études cliniques et observationnelles

 

Figure 2 – Médiane de survie sans progression avec bevacizumab associé à une chimiothérapie
à base d’irinotécan au cours d’études cliniques et observationnelles

Figure 3 – Médiane de survie globale avec bevacizumab associé à différentes chimiothérapies standard

 

 

Bevacizumab en 1re ligne de traitement

En 1re ligne de traitement, deux études randomisées de phases II et III ont montré une amélioration significative de la survie globale chez les patients atteints d’un CCRm lorsque le bevacizumab fut associé à une chimiothérapie [27, 31,32]. La seule étude de première ligne sans bénéfice de survie est celle dans laquelle le bevacizumab n’a pas systématiquement été administré jusqu’à progression tumorale [29]. Toutes ces études ont également montré une amélioration significative de la survie sans progression (SSP) [27, 29, 31,32] en association à une chimiothérapie à base d’oxaliplatine, d’irinotécan ou de 5-FU.

 

  • Bevacizumab associé au 5-FU plus irinotécan
    Le bevacizumab a obtenu l’autorisation de mise sur le marché dans le traitement CCRm à la suite de l’étude pivotale AVF2107 de phase III d’Hurwitz [27,32]. Ce travail, mené chez 813 patients en 1re ligne du CCRm, a évalué l’association irinotécan 5-FU et acide folinique selon le schéma américain de l’époque, l’IFL avec ou sans bevacizumab. Le critère principal de l’étude était la survie globale. Une amélioration significative du taux de réponse globale, de la SSP et de la survie globale (de 15,6 mois à 20,3 mois ; p < 0,0001) avec une réduction de 34 % du risque de décès, a été observée en faveur du bras IFL + bevacizumab (Tableau 1). Une analyse de sous-groupe en fonction du statut KRAS a montré chez les patients KRAS non-mutés une survie globale de 27,7 mois versus 17,6 mois (p = 0,04) avec une réduction de 42 % du risque de décès, en faveur du bras IFL + bevacizumab [39]. Il faut noter que seuls les patients ayant reçu du bevacizumab en 1re ligne pouvaient en recevoir ultérieurement. Les patients présentant des métastases cérébrales, une protéinurie ou une coagulopathie étaient exclus. Un taux plus élevé de toxicités de grade 3 ou 4 a été observé avec la trithérapie IFL + bevacizumab (85 % vs 74 %), cette différence étant essentiellement liée à une augmentation de l’hypertension artérielle de grade 3 (10,9 % vs 2,3 %). Il ne fut pas noté de différence dans l’incidence des hémorragies, thromboses ou protéinurie entre les 2 bras. Les perforations digestives étaient rares (1,5 %) et non significativement différentes dans les deux bras.
    L’étude randomisée de phase III BICC-C qui comparait bevacizumab associé à Folfiri ou à mIFL a montré respectivement une survie globale médiane de 28,0 mois versus 19,2 mois (p = 0,37) et un taux de survie à 1 an de 87 % versus 61 % en faveur de bevacizumab-FOLFIRI [40,41].
    Des études de phases III et IV ont également testé, en première ligne, le schéma FOLFIRI en association avec le bevacizumab et ont été présentées en congrès mais non publiées à ce jour [92,93].

 

Tableau 1. Études randomisées de phases II et III du bevacizumab associé à une chimiothérapie à base de fluoropyrimidine efficacité

Auteur Traitement N Survie globale médiane
(mois)
Survie sans progression
médiane (mois)
Taux de réponses globales
(%)
Bevacizumab associé au 5-FU plus irinotécan
Hurwitz et al. [27,32]
(AVF 2107)
Phase III
1re ligne
Placebo + IFL
Bev + IFL
Bev + 5-FU/AF
Bev : 5 mg/kg /2 sem
411
402
110
15,6
20,3
18,3
HR = 0,66 ; p < 0,0001
6,2
10,6
8,8
HR = 0,54 ; p < 0,0001
34,8
44,8
39
p = 0,004
Bevacizumab associé à une fluoropyrimidine plus oxaliplatine
Saltz et al. [29]
Phase III
1re ligne
Xelox/Folfox-4/Placebo
Xelox/Folfox-4/Bev
701
699
19,9
21,3 ; HR = 0,89 ; p = 0,0769
8,0
9,4 ; HR = 0,83 ; p = 0,0023
49
47; p = 0,31
Giantonio et al. [28]
(E3200)
Phase III
2e ligne
Folfox-4
Folfox-4/Bev
Bev
291
286
243
10,8
12,9
10,2
HR = 0,75 ; p = 0,0011
4,7
7,3
2,7
HR = 0,61 ; p < 0,0001
8,6
22,7
3,3
p < 0,0001
Bevacizumab associé au 5-FU
Kabbinavar et al. [30]
Phase II
1re ligne
5-FU/AF
Bev 5 mg/kg + 5-FU/AF
Bev 10 mg/kg + 5-FU/AF
Bev groupé (5 et 10 mg) +
5-FU/AF
36
35
33
68
13,8
21,5 ; HR = 0,63
16,1 ; HR = 1,17
18,0 ; HR = 0,86
5,2 a
9,0 a ; HR = 0,46 ; p = 0,005 a
7,2 a ; HR = 0,66 ; p = 0,217 a
7,4 a ; HR = 0,54 ; p = 0,013 a
17
40 ; p = 0,029
24 ; p = 0,434
32
Kabbinavar et al. [31]
Phase II
1re ligne
Placebo + 5-FU/AF
Bev + 5-FU/AF
Bev : 5 mg/kg /2 sem
105
104
12,9
16,6 ; HR = 0,79 ; p = 0,16
5,5
9,2 ; HR = 0,50 ; p = 0,0002 b
15
26 ; p = 0,0552b
Kabbinavar et al. [33]
(Étude poolée)
5-FU/LV
Bev +5-FU/LV
241
249
14,6
17,9
p = 0,008
5,6
8,8
p ≤ 0,0001
24,5
34,1
p = 0,019
a Temps jusqu’à progression. b p issu de l’abstract.
HR : hazard ratio; IFL : 5-fluorouracile/acide folinique/irinotécan bolus; Bev : bevacizumab; 5FU : 5-fluorouracile; AF : acide folinique; Folfox-4 : 5-fluorouracile/acide folinique bolus /oxaliplatine ; XELOX : capécitabine/oxaliplatine ; IC : intervalle de confiance.

 

  • Bevacizumab associé au 5-FU ou à la capécitabine plus oxaliplatine
    L’étude internationale randomisée de phase III, NO 16966, avait initialement pour objectif d’évaluer les associations Xelox et Folfox-4 en 1re ligne de traitement du cancer colorectal métastatique [29]. Elle fut amendée lors de la publication de l’étude d’Hurwitz pour que ces 2 associations soient évaluées avec ou sans bevacizumab. Le critère principal était la SSP. Au total, 1 400 patients furent inclus. La SSP a été significativement améliorée par cette molécule de 1,4 mois (p = 0,002) pour l’ensemble de la population et de 2,5 mois pour le sous-groupe de patients ayant reçu bevacizumab jusqu’à progression (p < 0,0001). La survie globale a été prolongée dans le bras bevacizumab, mais la différence n’était pas significative (21,3 vs 19,9 mois, p = 0,07) (Tableau 1). Ces résultats moins favorables à première vue que ceux de l’étude pivotale d’Hurtwitz peuvent s’expliquer par un arrêt trop précoce de bevacizumab comparativement à l’étude d’Hurwitz. Dans cette dernière, le bevacizumab était maintenu à l’arrêt de la chimiothérapie de 1re ligne et lors de la chimiothérapie de 2e ligne, alors que dans l’étude NO 16966 en cas d’arrêt de la chimiothérapie pour toxicité, notamment pour neurotoxicité de l’oxaliplatine, les investigateurs n’avaient pas de consigne précise. L’analyse de la durée du traitement par bevacizumab a montré que les arrêts de cette molécule, en majorité pour des toxicités qui ne lui étaient pas imputables, étaient trois fois plus fréquents par rapport à l’étude pivotale. Les toxicités de grade 3 ou 4 liées à bevacizumab étaient comparables à celles observées dans l’étude d’Hurwitz [29].

 

  • Bevacizumab associé au 5-FU/AF
    Deux études de phase II randomisées ont évalué l’association de bevacizumab au 5-FU + acide folinique (AF) en 1re ligne du CCRm [30,31]. L’une a montré une amélioration significative du taux de réponse globale (p = 0,029) et une augmentation de la SSP (p = 0,005) avec bevacizumab à la dose de 5 mg/kg + 5-FU/LV, alors que bevacizumab à la dose de 10 mg/kg n’a pas amélioré ces résultats [30].
    La seconde, menée chez des patients ne pouvant pas être traités par irinotécan en 1re ligne, a évalué le 5-FU+AF (protocole Roswell Park) associé à bevacizumab ou à un placebo. L’ajout de bevacizumab a permis de prolonger la SSP et a montré une tendance vers l’amélioration du taux de réponse et de la survie globale (voir tableau 1). L’analyse poolée de ces 2 études randomisées (5-FU/AF ± bevacizumab) a montré que bevacizumab améliorait la SSP (8,8 vs 5,6 mois ; p  0,0001) et la survie globale (17,9 vs 14,6 mois, p = 0,008) [33].

 

Bevacizumab en 2e ligne de traitement

L’étude randomisée de phase III E3200 [28] a montré que bevacizumab (10 mg/kg/2 semaines) associé au Folfox-4 en 2e ligne de traitement chez des patients ayant déjà reçu du 5-FU et de l’irinotécan produit un avantage significatif en taux de réponse, en survie sans progression et en survie globale par rapport au Folfox-4 seul (Tableau 1). La survie globale et la SSP des patients ayant requis une réduction de la dose de bevacizumab à 5 mg/kg (134/240) était similaire à celles de ceux ayant reçu la dose prévue initialement.

 

Profil de tolérance de bevacizumab

Les toxicités spécifiques du bevacizumab sont aujourd’hui bien définies [38,42-44]. Son association à diverses chimiothérapies ne potentialise pas la toxicité de celles-ci. La majorité des toxicités sont de grade 1 à 2. L’hypertension artérielle est la toxicité la plus fréquente, elle survient chez près de 25 % des patients et nécessite un traitement dans 10 % des cas [45]. Tous les antiangiogéniques quel que soit leur classe ou mode d’action (anticorps monoclonaux, inhibiteurs des tyrosines-kinases) peuvent conduire à l’apparition d’une HTA ainsi que d’une protéinurie. La prise en charge par des antihypertenseurs oraux standard permet de gérer l’HTA dans la plupart des cas. Ceci est résumé dans la figure 4 [46,51]. L’apparition d’une HTA sévère doit conduire à interrompre définitivement le traitement par bevacizumab [45,47].

 

Figure 4 – Prise en charge de la Pression artérielle au cours d’un traitement par antiangiogénique, d’après [51]

Figure 5 – Conduite à tenir EN CAS protéinurie à la bandelette urinaire 2+ ou 3+
au cours d’un traitement par antiangiogénique (AA) d’après [46]


L’apparition d’une protéinurie doit être dépistée à chaque cure, et fait l’objet d’une prise en charge standardisée détaillée dans la figure 5 [46].

Les autres toxicités moins fréquentes (grades 3/4) sont les hémorragies et les retards de la cicatrisation des plaies, les perforations digestives et les événements thromboemboliques artériels et veineux [42, 43, 48]. Une méta-analyse d’essais randomisés de bevacizumab a montré que l’incidence des perforations digestives était de 0,9 % avec un risque relatif de 3,1 pour les cancers colorectaux à comparer avec une incidence de 1,1 % et un risque relatif de 5,7 dans les cancers du rein [49].

La fréquence des perforations digestives n’est pas seulement dépendante du siège colorectal du cancer traité [49]. Les études observationnelles BEAT et BriTE ont montré des taux de toxicités comparables à ceux des études randomisées (Tableau 2) [35, 36,50]. La prise en charge de ces toxicités a fait l’objet de nombreuses publications et de recommandations [43,45]. En France, des recommandations de pratique clinique de prise en charge des effets vasculaires et rénaux des antiangiogéniques ont été élaborées sous l’égide de sociétés savantes [51]. Le suivi et la surveillance de la survenue des ces toxicités et leur prise en charge adéquate, multidisciplinaire, permettent de maintenir généralement le traitement par bevacizumab [43,46].

 

Tableau 2. Toxicités spécifiques au bevacizumab Études randomisées et observationnelles

Événements indésirables Hurwitz [10] BEAT [36] BRiTE [35]
Toxicité de grade 3/4 3,1% NA 2,2 %
Hypertension nécessitant un traitement 11% 5% 19,4 %
Perforation digestive 1,5% 2% 1,8 %
Événements artériels thromboemboliques 5 % 1 % 1,8 %
Complications de la cicatrisation de la plaie / Saignements post opératoires 2,1% 1% 1,4 %

Bevacizumab et sujet âgé

Actuellement, l’âge médian lors du diagnostic du cancer colorectal est proche de 70 ans, les personnes âgées de 50 ans, et plus, réunissent à elles seules 95 % des nouveaux cas. Certains patients âgés, fragiles (présence de comorbidités, de troubles de l’autonomie ou des fonctions supérieures) ne relèvent pas d’un traitement actif de leur maladie et pourront être traités après évaluation oncogériatrique de manière symptomatique. D’autres, au contraire, présentant une conservation de l’état général et peu de comorbidités, pourront être traités de la même façon que les patients plus jeunes [52]. Une analyse poolée d’essais randomisés montre que l’association chimiothérapie plus bevacizumab est supérieure à une chimiothérapie seule en termes de réponse tumorale, survie sans progression et survie globale chez le sujet âgé (Tableau 3) [53]. Les données d’études du bevacizumab suggèrent une efficacité comparable chez les patients jeunes ou âgés (Tableau 4) [54].

Globalement, les toxicités du bevacizumab sont les mêmes chez les patients âgés ou plus jeunes. Cependant, compte tenu du terrain particulier, leurs conséquences peuvent être plus graves, et une attention particulière à leur survenue est nécessaire. Les événements thromboemboliques semblent cependant être plus fréquents (4 % vs 1,5 % – étude BRiTE) ; il est donc nécessaire de respecter les précautions d’emploi relatives à l’utilisation de bevacizumab chez les patients présentant un antécédent récent d’AVC, d’infarctus du myocarde ou d’embolie pulmonaire [35,50].

 

Tableau 3. Efficacité de bevacizumab en 1re ligne de traitement chez le sujet âgé (analyse poolée de 2 études randomisées) [53]

Chimiothérapie + bevacizumab (n = 218) Chimiothérapie placebo (n = 221)
Âge médian (intervalle) 72 (65 – 89) 72 (65 – 90)
Taux de réponse objective 34,4% 29 %
Survie sans progression 9,2 mois 6,2 mois
HR : 0,52 ; p<0,001
Survie globale 19,3 mois 14,3 mois
HR : 0,70 ; p = 0,006

Rappelons que la survenue d’une embolie artérielle systémique représente une contre-indication à la poursuite du bevacizumab, quel que soit l’âge.

 

Bevacizumab et durée optimale de traitement

Après l’utilisation en première ligne en association à une chimiothérapie, l’intérêt de poursuivre le bevacizumab avec une chimiothérapie de deuxième ligne, ou avec un traitement d’entretien à base de 5FU seul, ou encore en traitement de maintenance exclusif demeure, en 2010, une question d’actualité très importante.

 

Maintien du bevacizumab avec une chimiothérapie de deuxième ligne après progression sous CT de première ligne avec bevacizumab

Il est intéressant de noter que dans l’étude observationnelle BRiTE, sur les 1445 patients ayant progressé après une première ligne de traitement, la survie médiane observée chez 253 patients non-traités après progression a été d’environ 14 mois ; celle des 531 patients traités par chimiothérapie et autres traitements ciblés, mais sans bevacizumab, de 20 mois ; et celle des 642 patients traités par une chimiothérapie de deuxième ligne, associée au bevacizumab maintenu au-delà de la progression, de 32 mois (HR : 0,48 ; p < 0,001) [35,55]. En analyse multivariée, le maintien du bevacizumab a été un facteur indépendant associé avec une survie augmentée (odds ratio à 0,48). Suite à l’étude BRiTE, une autre étude observationnelle (ARIES) a été menée aux États-Unis chez 1548 patients traités par bevacizumab associé à une chimiothérapie de 1re ligne afin d’évaluer l’effet d’un traitement post-progression. La survie médiane des 408 patients traités par bevacizumab + chimiothérapie dans les 2 mois post progression a été de 27,5 mois comparée à 18,7 mois chez les 336 patients non-traités par bevacizumab post-progression. Une analyse multivariée a montré que la survie post progression était significativement corrélée à l’utilisation de bevacizumab associé à une chimiothérapie post-progression (HR 0,52 ; IC 95 %, 0,42 ; 0,63 ; p < 0,001) [56,57].

 

Tableau 4. Hazard Ratio des survies globales et sans progression selon l’âge dans les études randomisées de bevacizumab
(analyse poolée de 4 études randomisées) [54]

  < 65 ans (n = 1864) 65 ans (n = 1142) 70 ans (n = 712)
Survie sans progression
Analyse poolée 0,59 (0,52 – 0,66) 0,58 (0,49 – 0,68) 0,54 (0,44 – 0,66)
Études de 1re ligne 0,60 (0,52 – 0,69) 0,59 (0,49 – 0,71) 0,54 (0,43 – 0,67)
Survie globale
Analyse poolée 0,59 (0,52 – 0,66) 0,58 (0,49 – 0,68) 0,54 (0,44 – 0,66)
Études de 1re ligne 0,59 (0,52 – 0,66) 0,58 (0,49 – 0,68) 0,54 (0,44 – 0,66

Ces données concordantes issues de cohortes observationnelles semblent montrer un intérêt à poursuivre le bevacizumab au-delà de la première ligne mais ne permettent pas de conclure définitivement. C’est pourquoi deux études randomisées sont en cours, l’une aux USA et l’autre en Europe dans le but de répondre à la question du bénéfice de la poursuite du bevacizumab en deuxième ligne après échec d’une chimiothérapie avec bevacizumab en première ligne. Cette dernière a inclus près de 800 patients dont un grand nombre en France.

 

Bevacizumab et traitement d’entretien

Le concept de traitement d’entretien en cas de réponse ou de stabilisation après un traitement de première ligne a fait l’objet de nombreux travaux [58-60]. Étant donné la faible toxicité relative au bevacizumab, l’utilisation de ce dernier en traitement d’entretien exclusif ou associé apparaît être une option attractive.

L’étude d’Ardavanis traitant les patients par XELIRI et bevacizumab (n = 34) pendant 8 cycles, puis par bevacizumab en traitement d’entretien jusqu’à progression, montre que cette option est acceptable sur le plan de la tolérance [59].

L’étude MACRO [60] avait pour objectif de répondre à la question du bénéfice de bevacizumab en traitement d’entretien en monothérapie après chimiothérapie par 6 cycles de Xelox + bevacizumab en première ligne de CCRm. En cas de réponse ou de stabilisation après cette période initiale, 480 patients ont été randomisés en deux bras :

  1. poursuite du Xelox – bevacizumab jusqu’à progression ;
  2. bevacizumab en monothérapie jusqu’à progression.

 

Le taux de réponse globale, la survie sans progression et la survie globale ne sont pas significativement différents, mais ces résultats uniquement présentés et non encore publiés sont controversés, ne démontrant pas l’équivalence de façon formelle. Par ailleurs, le schéma de l’étude souffre de l’absence de bras contrôle avec le seul traitement d’entretien ayant démontré sa valeur, le LV5FU2 [58] sur la pause thérapeutique complète. Pourtant, cette étude n’ayant pas randomisé les patients au début de l’entretien a pu inclure de nombreux patients non-éligibles à l’entretien comme ceux progressifs d’emblée ou ceux éligibles pour la chirurgie des métastases, défavorisant le bras bevacizumab seul.

Globalement, ces résultats suggérant que le bevacizumab en traitement d’entretien pourrait permettre d’épargner aux patients la toxicité (notamment neurologique et cutanée) du Xelox sans en atténuer l’efficacité doivent être confirmés par des travaux ultérieurs.

D’autres études évaluant bevacizumab en traitement d’entretien après chimiothérapie standard dans le cancer colorectal métastatique sont, soit en cours de recrutement, soit en cours d’évaluation (DREAM, CAIRO-3 et AIO-ML21768) [61-63]. En France, l’essai PRODIGE 9 actuellement en cours, promu par la FFCD, compare un traitement associant FOLFIRI et bevacizumab suivi ou non par le maintien du traitement antiangiogénique pendant les intervalles libres de chimiothérapie [64].

 

Bevacizumab et tumeur primitive en place asymptomatique

La présence d’une tumeur en place n’est pas une contre-indication à un traitement par bevacizumab. Les deux complications les plus redoutées dans cette situation sont les perforations digestives et les hémorragies tumorales graves, mais ce risque reste inférieur à 4 % dans cette situation. Ainsi, les résultats des études de cohortes prospectives BEAT et BRiTE évaluant la prise en charge des patients ayant une tumeur primitive en place asymptomatique étaient concordants [65,66]. La proportion des patients avec une tumeur en place était de 15 %. La fréquence des perforations digestives était respectivement de 3,6 % et 3,3 % alors qu’en cas de tumeur réséquée, elle était de 1,4 % et de 1,1 % respectivement. Dans la cohorte BEAT, la perforation survenait dans la moitié des cas au niveau de la tumeur primitive (1,8 %) [65].
Dans la cohorte BRiTE, une hémorragie digestive grave est survenue globalement chez 1,5 % des patients (29/1953) et, le plus souvent, les 6 premiers mois. Le risque d’hémorragie grave était plus important pour les cancers rectaux que pour les cancers coliques (OR = 2,09 ; p = 0,012) avec une fréquence de 4 %. Les hémorragies digestives étaient ici plus fréquentes chez les patients avec tumeur en place (7,2 % vs 3,1 %). Cependant, dans ce groupe, seulement la moitié des hémorragies digestives provenait de la tumeur en place, soit une fréquence de 3,8 % (8/223 patients) [66]. L’administration de bevacizumab en présence d’une tumeur en place asymptomatique ne semble pas majorer le risque, déjà connu, d’hémorragies digestives du bevacizumab.

Quant aux tumeurs primitives en place traitées par prothèse endoscopique, les données sont insuffisantes et le principe de précaution dicte de ne pas traiter par bevacizumab. Dans une série de 28 patients, les 2 cas de perforation étaient survenus chez des patients traités par bevacizumab. Dans une autre étude rétrospective chez 168 patients, le taux de complications était plus important chez les patients traités par bevacizumab (35 % vs 23 %) ainsi que le taux de perforation (2,4 % vs 0,8 %) [67].

 

Bevacizumab et chirurgie des métastases hépatiques résécables

Le thésaurus national de cancérologie digestive recommande de respecter un délai de 4 à 6 semaines après la fin de toute chimiothérapie avant d’opérer un patient présentant des métastases hépatiques à la limite de la résécabilité, afin de diminuer le risque de complication [68]. Ainsi, en pratique, la nécessité d’interrompre le bevacizumab 4 semaines avant une intervention chirurgicale et 6 à 8 semaines avant un acte opératoire lourd, ne devrait pas pénaliser pas le patient. La poursuite de la chimiothérapie sans bevacizumab sur un cycle ou deux avant la chirurgie devrait permettre de limiter cet effet.

Dans les études de cohorte prospectives BRiTE et BEAT, aucune complication supplémentaire n’a été observée en respectant un délai de 6 à 8 semaines entre l’arrêt du bevacizumab et la chirurgie [35,36]. Ainsi, au cours de l’étude BEAT, 11,8 % de patients (225/1914) ont bénéficié d’une chirurgie à visée curative après un arrêt de bevacizumab 9 semaines en moyenne avant la résection. Chez les patients traités par bevacizumab associé à une chimiothérapie de 1re ligne, le taux de résection des métastases hépatiques était de 7,6 % ; il était de 10,4 % avec bevacizumab associé à une chimiothérapie à base d’oxaliplatine, et de 20,3%dans le sous-groupe des patients avec métastases hépatiques exclusives. Une résection R0 a été obtenue chez 76,9 % des patients sans décès lié à la chirurgie, ni complications postopératoires sérieuses. Les hémorragies de grades 3/4 étaient de 0,4 %, et les complications de la cicatrisation de grades 3/4 de 1,8 % [69].

Une étude de phase II (BOXER) de bevacizumab associé à XELOX a montré un taux de réponse de 78 %, et a permis à 33 % des patients initialement non-résécables de devenir éligibles à une chirurgie curative [70].

L’ensemble de ces données porte à croire que bevacizumab peut être administré en toute sécurité aux patients atteints d’un cancer colorectal métastatique jusqu’à 4 à 8 semaines avant un acte opératoire, sans augmenter le taux de complications chirurgicales ou les troubles de cicatrisation postopératoire, ni aggraver les saignements.

 

Réponse pathologique lors de l’utilisation du bevacizumab avant chirurgie des métastases hépatiques d’origine colorectale

L’importance de la réponse pathologique après chimiothérapie préopératoire et résection de métastases hépatiques, en particulier son rôle de facteur indépendant prédictif de survie, est aujourd’hui reconnue et a été confirmée récemment sur des données de survie à 5 ans chez 305 patients [71,72]. La durée optimale du traitement préopératoire n’est pas encore définie, mais le type de chimiothérapie semble avoir plus d’impact sur la réponse pathologique que la durée du traitement. En particulier, l’association du bevacizumab à une chimiothérapie à base d’oxaliplatine a permis d’obtenir un taux de réponses pathologiques plus élevé et une réduction du nombre de cellules tumorales viables par rapport à une chimiothérapie à base d’oxaliplatine ou d’irinotécan [72-74]. Une étude chez 219 patients a montré un taux de réponses pathologiques complètes ou majeures de 70 % vs 45 % (p < 0,001) en cas de traitement par bevacizumab et Folfox comparé à une chimiothérapie par Folfox seul [74]. De plus, la constatation histologique d’un syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS) a été significativement réduite dans le bras bevacizumab associé au Folfox, quelle que soit la durée du traitement (46 % vs 5 % ; p < 0,001 pendant 8 cycles ou moins et 58 % vs 17 %, p = 0,002 pendant plus de 9 cycles) par rapport au bras Folfox seul. Cependant, il faut noter que dans cette étude la présence d’un SOS n’était pas corrélée à la survenue d’une insuffisance hépatique postopératoire (7 % avec SOS vs 3 % sans SOS, p = 0,353).

Une autre étude rétrospective portant sur 102 patients traités en néoadjuvant, soit par l’association Folfox ou Xelox/bevacizumab, soit par chimiothérapie seule a également montré une augmentation du taux de réponses complètes pathologiques dans le groupe traité par bevacizumab et une réduction de l’incidence et de la gravité des modifications vasculaires hépatiques liés à l’oxaliplatine alors que la morbidité postopératoire était identique avec ou sans bevacizumab [75-77].

 

Résistance aux inhibiteurs de l’angiogenèse [78]

Se pose également la question des résistances aux inhibiteurs de l’angiogenèse car leur efficacité est, comme pour la chimiothérapie conventionnelle, suivie par une reprise de la croissance tumorale. Contrairement aux mécanismes de résistances aux chimiothérapies traditionnelles en relation avec des phénomènes de mutations des gènes codant pour leurs molécules cibles ou les enzymes de leur métabolisme, la résistance aux inhibiteurs de l’angiogenèse pourrait dépendre de deux mécanismes :

  • une résistance acquise (ou résistance de contournement) ;
  • et une résistance intrinsèque, préexistante à leur utilisation.

Lorsque les chimiothérapies conventionnelles et les antiangiogéniques sont utilisés conjointement, l’effet de l’inhibiteur de l’angiogenèse pourrait ainsi persister malgré l’apparition d’une résistance à la chimiothérapie.

 

La résistance acquise ou de contournement pourrait se développer, parfois de manière assez rapide, selon divers mécanismes dont au moins quatre ont été bien analysés sur des modèles animaux ou lors d’études de recherche en clinique humaine :

  • l’activation ou le développement d’autres voies de signalisation proangiogéniques à partir de la tumeur elle-même (comme cela est le cas avec la voie du VEGF) telles que les voies du FGF (fibroblast growth facteur), de l’éphrine, du PDGFA, du SDF1a (stromal cell-derived factor 1a) ou des angiopoïétines [79,80]. La voie du VEGF elle-même peut se trouver en situation de « up-regulation » via l’hypoxie tumorale accrue en phase de réponse et l’HIF (hypoxia inductible factor) avec alors des capacités de blocage thérapeutique peut-être insuffisantes ;
  • le recrutement de cellules pro-angiogéniques issues de la moelle osseuse qui sont capables d’initialiser, de développer et de maintenir une néoangiogenèse, venant ainsi suppléer à l’inhibition thérapeutique de la voie du VEGF [81] ;
  • l’accroissement du maillage péricytaire de la tumeur permet le maintien de l’intégrité de la vascularisation tumorale, remplaçant ainsi le signal de survie dévolu habituellement au VEGF [82,83] ;
  • enfin, les signaux d’invasion locale et métastatique pourraient également se développer donnant accès à la vascularisation des tissus normaux, reléguant l’apparition de néovaisseaux tumoraux VEGF-dépendants au rang de facteur de moindre importance [84,85].

 

La résistance intrinsèque ou préexistante à toute utilisation d’antiangiogéniques est à différencier des résistances acquises d’apparition rapide. Elle pourrait être définie comme la poursuite de la croissance tumorale lors de l’initiation du traitement antiangiogénique. Sa réalité se révèle tangible dans certains cas, même si ses mécanismes sont moins bien documentés. Ils pourraient être assez semblables à ceux de la résistance acquise mais préexister à l’utilisation de tout antiangiogénique se développant spontanément sur des bases génétiques initiales ou en raison d’une pression environnementale particulière dès la phase de développement précoce, voire dès le stade précancéreux. Cette résistance intrinsèque pourrait ainsi relever des mécanismes suivant :

  • préexistence de multiples signaux proangiogéniques [86] ;
  • préexistence d’une infiltration en cellules inflammatoires (cellules myéloïdes CD11b+Grl+ en particulier) capables de sécréter divers agents proangiogéniques [87] ;
  • vascularisation tumorale naturellement pauvre entraînant un impact négligeable des antiangiogéniques [88] ;
  • tumeur ayant atteint un stade d’invasion locale ou de développement métastatique lui permettant l’utilisation, pour sa croissance, des vaisseaux normaux sans recours obligatoire à la néoangiogenèse [89].

 

Finalement, les données sur la résistance à l’inhibition du VEGF restent encore peu nombreuses, ténues, et relèvent parfois du domaine de l’hypothèse. Cependant, seule la connaissance plus précise de ces mécanismes fondamentaux permettra la définition de facteurs prédictifs de réponse aux antiangiogéniques et le développement de nouvelles molécules inhibitrices de l’angiogenèse, probablement multicibles et agissant le plus en amont possible des voies de signalisation.

Quoi qu’il en soit, il reste important de garder à l’esprit que la résistance aux inhibiteurs de l’angiogenèse non seulement ne sera pas liée aux mêmes mécanismes que celui des cytotoxiques, mais que, de plus, elle ne se manifestera pas en même temps.

 

Place du bevacizumab dans la stratégie thérapeutique

Depuis une dizaine d’années, la survie des patients atteints d’un CCRm a doublé atteignant presque 30 mois [90]. Ces résultats ont pu être obtenus grâce à des stratégies combinant chimiothérapies multilignes avec ou sans thérapies ciblées, chirurgie, chimiothérapie d’entretien et parfois pause thérapeutique.

La question stratégique reste centrale en 2010 dans la prise en charge du cancer colorectal métastatique. Il s’agit de déterminer la meilleure séquence thérapeutique pour chaque patient et d’administrer les traitements disponibles dans un ordre optimal pour permettre la résection des lésions secondaires, obtenir la meilleure survie, mais aussi la meilleure qualité de vie.

En France, la stratégie thérapeutique de 1re ligne dans le CCRm, telle que définie par le Thésaurus national, repose sur le Folfiri ou le Folfox associés à une thérapie ciblée en pratique, le plus souvent, par bevacizumab [68]. De nombreuses études randomisées de phase III sont en cours ; elles permettront de répondre au mieux aux questions abordées ici sur l’apport de bevacizumab dans le CCRm, telles que le traitement d’entretien par bevacizumab, en monothérapie ou en association ou le traitement après progression. Il est à noter qu’il ne faut pas associer bevacizumab et cetuximab ou panitumumab [91].

Le traitement des cancers colorectaux est amené à se complexifier en intégrant des facteurs moléculaires et pharmacogénétiques et en identifiant des facteurs prédictifs de réponse thérapeutique. Ainsi, les mutations du gène KRAS ont une valeur prédictive pour les inhibiteurs de l’EGFR chez les patients atteints d’un cancer colorectal. Cependant, pour le bevacizumab associé à une bithérapie, une analyse rétrospective de l’étude d’Hurwitz a montré que l’efficacité du bevacizumab est indépendante du statut KRAS et permet un bénéfice équivalent en termes de taux de réponse objective, de réponse histologique et de résécabilité secondaire des métastases hépatiques colorectales [39]. Le concept de traitement à la carte ou personnalisé dans les cancers colorectaux répond à des exigences éthique (ne pas proposer à un patient une thérapeutique présentant des effets secondaires sans pouvoir garantir une efficacité) et médico-économiques (ne pas faire supporter à la collectivité le poids de médicaments onéreux et inefficaces). Actuellement, les stratégies thérapeutiques dans le cancer colorectal métastatique sont basées sur un faisceau d’arguments qui font préférer une séquence ou une stratégie thérapeutique à une autre. Des études qui confronteraient ces stratégies thérapeutiques permettraient d’y répondre formellement ; certaines sont en cours, leurs résultats sont très attendus.