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2 mars 2010
Digestif
Gert De Hertogh

Œsophage de Barrett – De la métaplasie à la dysplasie et au cancer débutant Le point de vue du pathologiste. Que doivent savoir les cliniciens ?

Gert De Hertogh
Dpt. of Pathology, University Hospitals KU Leuven, Minderbroedersstraat 12, B-3000 Leuven, Belgium gert.dehertogh@uz.kuleuven.ac.be

 

Résumé

Introduction : L’incidence de l’adénocarcinome de l’œsophage est en croissance exponentielle dans les pays occidentaux. Depuis longtemps, l’œsophage de Barrett est considéré comme une lésion prénéoplasique. Il peut graduellement progresser vers la cancérisation en passant par différentes étapes morphologiquement identifiables correspondant aux lésions de dysplasie. Il faut toutefois noter que le diagnostic histopathologique de l’œsophage de Barrett et de la dysplasie pose certains problèmes spécifiques.

Cette revue a pour but d’informer les cliniciens des difficultés et dès lors des moyens que le pathologiste utilise pour poser un diagnostic correct et utile à la clinique.

Matériel et méthodes
Ce texte est fondé sur des articles sélectionnés (peer review publications) publiés sur l’évaluation microscopique des biopsies du bas œsophage prélevées dans un contexte de reflux. Toutes les références peuvent être consultées dans la base de données Pubmed.

 

Résultats
Les sujets suivants sont discutés :

  1. définitions de l’œsophage de Barrett utilisées dans la littérature et leurs implications cliniques ;
  2. méthodes alternatives de comptes rendus utilisables par le pathologiste ;
  3. problème du diagnostic différentiel et possibilités de solutions ;
  4. concept de la dysplasie dans l’œsophage de Barrett ;
  5. critères morphologiques de gradation de la dysplasie ;
  6. techniques complémentaires morphologiques ou autres appliquées pour grader le risque de cancérisation de l’œsophage de Barrett.

 

Conclusion
Les pathologistes jouent un rôle essentiel dans le diagnostic, le pronostic et le suivi des lésions précurseurs de l’adénocarcinome. Ils jouent également un rôle majeur dans l’évaluation des nouvelles techniques proposées comme complémentaires à l’histologie standard.

 

Introduction

Encore récemment, le cancer de type épidermoïde était le type histologique prédominant dans l’œsophage à l’échelle mondiale. L’adénocarcinome a nettement progressé dans les pays occidentaux au cours des 50 dernières années, en particulier chez les hommes de race blanche. Durant les 20 dernières années, son incidence a dépassé celle des tumeurs communément rencontrées dans la population telles que les cancers colorectaux, cancers du poumon, cancers de la prostate et mélanomes [1,2]. Actuellement, la fréquence de l’adénocarcinome est supérieure à celle du cancer épidermoïde au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour la population de race blanche [3]. Ces données sont à mettre en parallèle avec une augmentation de la prévalence du reflux gastro-œsophagien (RGO).

Les variations globales et régionales de ces tendances peuvent être la conséquence d’autres facteurs tels que, ethnie, disparités socio-économiques, habitudes alimentaires et infection à Helicobacter pylori [4].

Le RGO chronique peut évoluer vers l’œsophage de Barrett (EBO), lésion initiatrice de la plupart des adénocarcinomes œsophagiens [5]. Le RGO symptomatique tout comme l’EBO sont relativement fréquents dans la population générale. L’incidence du RGO était estimée à 4,5 nouveaux cas par 1 000 personnes-année en 1996 [6]. La prévalence globale du RGO dans les pays occidentaux est de 10 à 20 % [7]. L’EBO est diagnostiqué chez environ 5 % des patients de race blanche soumis à une endoscopie gastro-intestinale pour RGO symptomatique [8]. Le risque généralement admis d’adénocarcinome développé sur muqueuse de Barrett est de 0,4 à 0,5 % par an. Ce risque peut varier dans la population en fonction de l’âge et du sexe [9].

Le modèle de la carcinogenèse de l’adénocarcinome sur muqueuse de Barrett suggère qu’il se développe sur un épithélium cylindrique métaplasique via un stade intermédiaire décrit sous le terme de dysplasie [10]. Cette hypothèse pose un double problème en raison d’une part, de recommandations variées et parfois différentes pour poser le diagnostic d’EBO, et d’autre part, en raison des difficultés de reconnaissance et de gradation de la dysplasie. L’endoscopie et, plus récemment, les techniques de visualisation plus sophistiquées, exposent le pathologiste à un nombre croissant de biopsies recueillies au niveau de la portion distale de l’œsophage et, de la jonction gastro-œsophagienne (JGO) , ce qui accroît davantage les difficultés diagnostiques. Cette revue a pour but d’une part, d’informer les cliniciens des difficultés habituellement rencontrées par le pathologiste pour poser un diagnostic d’EBO et de dysplasie éventuelle et, d’autre part, de décrire les moyens utilisés pour résoudre ces difficultés.

Une bonne communication entre pathologistes et cliniciens, en particulier concernant la définition de certains termes, les critères diagnostiques de dysplasie et leur implication clinique, peut contribuer de façon significative à améliorer la qualité des pro-grammes cliniques de prise en charge de l’EBO.

 

EBO : Définitions

La définition d’« Œsophage de Barrett », a fortement évolué depuis l’utilisation de ce terme. Les deux plus récentes définitions utilisées peuvent être consultées, soit dans les recommandations de la “British Society of Gastroenterology (BSG) pour le diagnostic et la prise en charge de l’œsophage de Barrett sur le site : http:// www.bsg.org.uk/clinical-guidelines/oesophageal/guidelines-forthe-diagnosis-and-management-of-barrett-s-columnar-lined-oesophagus.html, soit dans « les mises à jour en 2008 pour le diagnostic, la surveillance et le traitement de l’œsophage de Barrett » publiées par l’American College of Gastroent erology (ACG).

Ces deux recommandations requièrent l’identification d’un segment du bas œsophage tapissé d’un épithélium cylindrique métaplasique. Elles diffèrent cependant quant au type d’épithélium métaplasique à identifier avant de poser le diagnostic d’EBO.

Les recommandations de l’ACG insistent sur la détection de la métaplasie de type intestinal pour laquelle la présence de cellules caliciformes (« goblet cells ») est une condition requise [11].

Les recommandations de la BSG quant à elles, précisent expressément, que la présence de zones de métaplasie de type intestinal n’est pas une nécessité pour poser le diagnostic d’EBO [12]. Cette divergence d’opinions a des répercussions évidentes au niveau de l’inclusion des patients dans les programmes de surveillance surtout chez les jeunes enfants [13].

Elle peut également interférer dans la comparaison des résultats d’études cliniques d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Trois raisons principales expliquent cette divergence d’opinion :

  1.  l’accent différent mis sur les données relatives à l’histoire naturelle de l’EBO ;
  2.  l’application de protocoles endoscopiques présentant des différences de rendement diagnostique ;
  3.  un contexte médico-légal différent entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Il est généralement admis que la métaplasie épithéliale de l’œsophage distal peut correspondre à 3 phénotypes agencés en mosaïque. Ce sont le type gastrique (fundique), le type jonctionnel (cardial) et le type intestinal, (encore appelé « métaplasie intestinale ou muqueuse de type spécialisé », caractérisée par la présence de cellules caliciformes).

 

Les recommandations de l’ACG sont fondées sur l’hypothèse formulée depuis longtemps selon laquelle l’épithélium de type intestinal présente un risque plus élevé de dégénérescence maligne [14]. Cette hypothèse est actuellement remise en cause sur base de deux arguments. Le premier est qu’il a été démontré que le cancer pouvait se développer sur un épithélium pauvre en cellules caliciformes et même, quoique très rarement , sur un épit hélium dépourvu de ce type de cellules [15,16]. A cette argumentation, on peut réfuter qu’une perte de différenciation des cellules caliciformes peut apparaître lors de l’évolution vers la transformation maligne. Dans une étude récente publiée sous forme d’abstract uniquement, la densité de cellules caliciformes dans un EBO non dysplasique était significativement plus élevée que chez les patients porteurs de dysplasie [17]. Le second argument se base sur le fait que dans l’EBO, les cellules de type fovéolaire peuvent exprimer une différenciation intestinale, telle que l’expression du facteur de transcription CDX2 [18].

Les recommandations de la BSG n’insistent pas sur la présence d’une métaplasie intestinale à la première biopsie, s’appuyant sur des publications rapportant la dépendance de la détection des cellules caliciformes à de multiples facteurs, tels que la longueur de l’EBO, la localisation des biopsies et les erreurs d’échantillon-nage. A titre d’exemple, Oberg et al. rapportent une prévalence des cellules caliciformes de 90 % chez les patients porteurs d’un segment d’EBO supérieur à 6 cm alors qu’on ne les visualise que seulement chez 31 % des patients dont le segment métaplasié mesure 1 à 2 cm [19]. Chandrasoma et al. montrent que les biop-sies prélevées à la jonction squamo-cylindrique (JSC ou ligne Z) contiennent plus fréquemment des cellules caliciformes que les biopsies prélevées sur les portions distales d’EBO [20]. Harrison et al. rapportent la détection de cellules caliciformes dans 68 % d’endoscopies avec 8 biopsies et dans seulement 35 % des endoscopies avec 4 biopsies [21]. Forts de ces résultats, les experts de la BSG concluent que : « si un nombre suffisant de biopsies sont prélevées sur un laps de temps adéquat, la métaplasie intestinale peut en général être démontrée (chez la majorité des patients) » [22].

 

EBO : Comment établir le compte rendu ?

Comment le pathologiste peut-il établir son compte rendu en fonction des différents critères diagnostiques ? Certains souhaiteront retenir le terme d’« œsophage de Barrett » et se conformer aux recommandations, soit de l’ACG, soit de la BSG. Dans ce cas, la simple mention de la présence ou de l’absence d’EBO est insuffisante. Les cliniciens devront être informés de la définition retenue. Le pathologiste peut, par ailleurs, appliquer la « classification de Montréal » [23]. Cette classification a été proposée lors d’une récente conférence de consensus mondial. Elle introduit plusieurs nouveaux termes. En utilisant cette classification, le clinicien est tenu d’utiliser le terme général de « métaplasie œso-phagienne suspectée à l’endoscopie » (MOSE) pour des cas avec présomption clinique d’EBO. Le pathologiste, en fonction de ce qu’il observe au microscope, subdivisera ce terme MOSE en « pas de OB » (pas de métaplasie cylindrique) ; « OB MG+ » (métaplasie de type gastrique) et « OB, MIS+ » (métaplasie de type intestinale ou muqueuse de type spécialisée). La dernière possibilité pour le pathologiste est la non utilisation du terme « œsophage de Barrett ».

 

Les recommandations de la BSG pro-posent 4 catégories :

  1. « biopsies diagnostiques pour métaplasie cylindrique du bas œsophage » (lorsque des canaux glandulaires œsophagiens sont objectivés en même temps qu’un épithélium cylindrique métaplasique, de type intestinal ou non) ;
  2. « biopsies évocatrices d’une métaplasie cylindrique du bas œsophage » (muqueuse intestinale avec architecture villeuse, désorganisation structurelle, double musculaire muqueuse et inflammation) ;
  3. « biopsies compatibles mais non spécifiques d’une métaplasie cylindrique du bas œsophage » (muqueuse de type gastrique sans évidence de métaplasie intestinale) ; et
  4. « biopsies sans évidence de métaplasie cylindrique du bas œsophage » (lorsque seul un épithélium squameux est objectivé).

 

EBO : Problème de diagnostic différentiel

Différenciation entre cellules caliciformes et cellules fovéolaires distendues (« pseudo goblet cells »)

Généralement, ce problème se résout facilement. Les cellules caliciformes sont reconnaissables à leur forme en tonneau. Elles contiennent des mucines acides et prennent par conséquent une légère coloration bleue (basophile) à la coloration d’hématoxyline-éosine (HE). Elles se situent sur la partie super ficielle de la muqueuse glandulaire métaplasique et sont typiquement répar-ties entre les cellules fovéolaires (Fig. 1A). Les « pseudo-goblet cells » à l’inverse, n’ont pas la forme en tonneau et se présentent souvent sous forme de longs segments cellulaires continus. Elles contiennent surtout des mucines neutres et prennent une couleur rougeâtre, éosinophiles à la coloration d’HE.

 

Figure 1A : Cellules caliciformes dans un épithélium de type intestinal
(coloration hématoxyline-éosine, grossissement x 200)

 

Pour les cas d’interprétation difficile, des colorations histo-chimiques complémentaires peuvent être pratiquées. Les diverses mucines acides peuvent être colorées en bleu à la coloration de bleu Alcian (BA) à pH 2,5. Sous des conditions optimales de colo-ration, l’intensité de la couleur bleue est proportionnelle au taux et au degré d’acidité des mucines présentes dans les cellules. Comme les cellules caliciformes contiennent une proportion plus élevée de sulfomucines acides, leur coloration bleue est plus intense au BA à pH 2,5 que celle des « pseudo-goblet cells ». Les sulfomucines peuvent être teintées en noir par la technique HID (high iron diamine). Des cellules cylindriques noires en forme de tonneau peuvent alors être identifiées comme des cellules caliciformes (Fig. 1B). L’hypothèse a été également émise que la présence de cellules HID+ cylindriques non caliciformes dans les biopsies de muqueuse distale de l’œsophage indiquerait la pré-sence de cellules caliciformes sur le segment de métaplasie épithéliale [24]. Une autre méthode pour mettre en évidence les cellules caliciformes est la coloration immuno-histochimique de MUC2, principal polypeptide des mucines intestinales [25].

 

Figure 1B : Cellules caliciformes dans un épithélium de type intestinal
(coloration combinant bleu alcian et HID, grossi ssement x 400)

 

Différentiation entre segment ultra court d’EBO et cardite chronique avec métaplasie intestinale

Conventionnellement, l’EBO est subdivisé en segments de type long, court et ultra court en fonction de la longueur de la muqueuse impliquée (> 3 cm, 1-3 cm ou < 1 cm, respectivement) [11]. Un segment ultra court d’EBO correspond à une ligne Z légèrement plus marquée ou irrégulière, située à proximité de la jonction œso-gastrique anatomique (JOG). Cependant, une jonction squamo-cylindrique légèrement déplacée peut-être difficile à localiser précisément dans un contexte d’inflammation aiguë. L’endoscopiste ne doit donc pas exclure dans ce cas, la notion de segment ultra court d’EBO [26].

Les pathologistes reçoivent fréquemment des biopsies étiquetées « jonction gastro-œsophagienne » posant la question de la présence ou non d’EBO. La réponse n’est pas évidente car le segment ultra court d’EBO peut-être facilement confondu à l’histologie, avec une cardite chronique avec métaplasie de type intestinal. Ce point mérite d’être souligné car les deux pathologies sont fréquentes mais présentent une différence d’étiologie, d’histoire naturelle et de risque de dégénérescence maligne. Le segment ultra court d’EBO résulte de la transition d’une muqueuse squameuse vers une muqueuse métaplasique cylindrique dans un contexte de RGO chronique et est associé à un risque accru de cancer. Les patients sont alors éligibles dans un programme de surveillance. La métaplasie intestinale dans la car-dite chronique, représente la transition d’une métaplasie cylindrique vers une métaplasie intestinale (spécialisée) qui se produit souvent dans un contexte d’infection à Helicobacter pylori. Cette lésion présente un risque significativement moindre de dégénérescence maligne. Le suivi à intervalles réguliers n’est donc pas à appliquer [27]. Comme la prise en charge de ces deux situations varie considérablement, il est fortement recommandé de les distinguer de façon précise en fonction d’une combinaison de para-mètres cliniques, endoscopiques et histologiques pertinents. D’un point de vue clinique, les patients avec EBO ultra court sont plus souvent de sexe masculin et typiquement plus âgés. Ils peu-vent présenter des symptômes de RGO. Les résultats de la pH-métrie endoluminale peuvent suggérer un reflux asymptomatique. La découverte d’une hernie hiatale à l’endoscopie peut égale-ment orienter vers l’EBO.

A l’histologie standard, la présence d’épithélium squameux recouvrant des cryptes contenant des cellules caliciformes, des glandes hybrides et/ou des glandes muqueuse s œsophagiennes ou des can aux glandulaires sont spécifiques à 100 % d’un segment ultra court d’EBO. Une désorganisation et une atrophie significative des cryptes, une métaplasie de type intestinal, incomplète, diffuse et la présence d’un épithélium pluri stratifié sont fréquemment associées mais pas totalement spécifiques d’un segment ultra court d’EBO [28]. Dans la cardite liée à l’infection par H. pylori, l’infiltrat inflammatoire de la lamina propria présente typiquement de nombreux plasmocytes, des neutrophiles et des amas lymphocytaires avec centre germinatif [29]. Le pathologiste doit, de plus, prendre en compte les observations spécifiques au niveau de l’épithélium squameux de l’œsophage et de la muqueuse gastrique antrale. La cardite à H. pylori est souvent liée à une antrite à H. pylori. A l’opposé, une œsophagite aiguë par reflux combinée à une muqueuse gastrique normale est à l’évidence en faveur d’un EBO. La coloration des mucines peut être une technique utile. Dans une étude ancienne, la découverte de métaplasie de type intestinal au niveau de la JOG mais pas du cardia, était significativement associée à la présence de sulfomucines détectées par coloration combinant HID et BA [30]. Plus récemment, la métaplasie intestinale de type III, traditionnellement identifiée par la coloration HID/BA, a montré une prévalence nettement plus élevée pour le segment court d’EBO par rapport à la métaplasie intestinale cardiale (19/30 biopsies, i.e. 63 % versus 6/26 patients, ou 23 %; p < .005) [31]. Le recours aux études immuno-histochimiques est plus controversé. En 1999, Ormsby et al. ont découvert qu’un phénotype spécifique d’immuno-réactivité (forte coloration de la cytokératine 7 des glandes superficielles et profondes combinée à une coloration en surface de la cytokératine 20) présentait une sensibilité de 97 % et une spécificité de 100 % pour le segment long d’EBO, par opposition à la métaplasie cardiale de type intestinal [32]. Le même groupe a identifié quelques années plus tard le phénotype d’immunomarquage CK7/CK20 caractéristique de l’EBO (« Barrett’s CK7/20 pattern »), présent chez 35 des 43 (81 %) patients atteints de segment court d’EBO alors que cet immunomarquage était totalement absent chez les 26 patients souffrant de cardite avec métaplasie intestinale. Les patients avec suspi-cion de segment court d’EBO et au phénotype d’immunomarquage CK7/CK20 caractéristique étaient cliniquement similaires à ceux porteurs de segment long d’EBO [33]. D’autres investigateurs ont ensuite comparé le phénotype immunologique des segments long et court d’EBO à la métaplasie intestinale au niveau de la JOG et de l’antre gastrique. Ils ont observé le phénotype d’immunomarquage CK7/CK20 caractéristique de l’EBO avec une fréquence significativement élevée dans les 3 premières localisations (91, 94 et 90 % respectivement) et rarement dans l’antre gastrique (14 % ; p < .001) [34]. Cette étude a donc suggéré que l’immuno-histochimie CK7/20 était d’un apport limité pour faire le diagnostic différentiel entre un EBO ultra court et une cardite avec métaplasie de type intestinal. La controverse a duré un certain temps, entre fervents adeptes [31,35] et réfractaires de cette technique [36-39]. Les différences de résultats peuvent s’expliquer par la variabilité inter-observateurs caractéristique dans l’identification du phénotype CK7/CK20, variabilité pouvant être liée à l’usage de différents fixateurs qui peuvent exercer un effet sur la densité de l’immunomarquage tissulaire [40]. Une alternative possiblement utilisable en pathologie est le mode d’expression immunohistochimique du polypeptide brut de la mucine. Une différence d’ex pression de MUC2 et MUC6 dans l’EBO et la métaplasie cardiale intestinale a été rapportée dans la littérature [41]. Cette hypothèse n’a toutefois pas été confirmée par des études ultérieures [39].

 

Dysplasie dans l’EBO : le concept

La dysplasie se définit comme une altération néoplasique non équivoque de la muqueuse évoluant potentiellement vers une tumeur maligne invasive mais qui reste confinée à la membrane basale de l’épithélium. Cette définition et les différents grades : « indéterminé pour la dysplasie », dysplasie de « bas » et « haut grade » ont été proposés à l’origine par l’Inflammatory Bowel Disease Dysplasia Morphology Study Group en 1983 [42] et ont ensuite été étendus aux modifications précancéreuses situées sur d’autres sites du tractus gastro-intestinal, y compris dans le cadre de l’œsophage de Barrett.

A l’endoscopie, la dysplasie peut s’observer par la découverte d’anomalies muqueuses telles qu’une apparence légèrement granulomateuse ou veloutée, la présence de polypes, plaques, nodules ou érosions. Il faut toutefois noter que la dysplasie ne s’observe habituellement pas à l’endoscopie, ce qui engendre un risque d’erreur quant au choix du site de prélèvement. Ce risque peut être réduit en augmentant le nombre de biopsies et/ou en utilisant des méthodes de visualisation sophistiquées [43]. La non visualisation des lésions de dysplasie signifie également que son identification est exclusivement du ressort du pathologiste. Comme le terme de « dysplasie » correspond à une lésion à potentiel malin, son utilisation devrait être limitée aux cas où il existe une évidence histopathologique suffisante pour poser un diagnostic de processus néoplasique.

Bien que l’identification de la dysplasie dans les biopsies muqueuses reste actuellement la meilleure méthode de détection des patients à haut risque de cancérisation, cette notion présente des limites tant au niveau du concept que de l’analyse.

D’un point de vue clinique, le principal problème est que la cancérisation de l’EBO ne suit pas une progression linéaire de la métaplasie vers la dysplasie de bas puis de haut grade. Dans une étude de Schnell et al., 10 patients atteints d’EBO ont progressé directement de la dysplasie de bas grade à l’adénocarcinome sans passer par le stade de dysplasie de haut grade [44]. Cette observation ajoute encore à la controverse sur la valeur de la sur-veillance endoscopique de l’EBO. L’analyse des données de la littérature indique néanmoins que la survie est significativement majorée lorsque les cancers sont détectés au décours d’une surveillance endos copique plutôt qu’en présence de cancers symptomatiques [11].

Un autre facteur avec des implications cliniques moindres est l’évidence de plus en plus répandue que l’EBO non dysplasique en lui-même peut représenter une forme précoce de néoplasie et non plus un simple processus métaplasique [45-47]. Une lésion néoplasique peut se définir par une perte de régulation du cycle cellulaire au sein d’un ou de plusieurs clones cellulaires entraînant une reproduction plus importante des cellules.

Contrairement aux pro-cessus réactifs, cette prolifération ne réagit pas aux facteurs qui régulent normalement la prolifération cellulaire dans les tissus. En d’autres termes, la néoplasie est un phénomène hyperprolifératif, clonal et progressif. Toutes ces caractéristiques ont été documentées dans le cadre de L’EBO. C’est ainsi que les pathologistes observent souvent des signes de prolifération cellulaire anormale sur des EBO non dysplasiques, tels qu’une augmentation de l’activité mitotique, une hyperchromaticité nucléaire, une déplétion des mucines et des cellules dystrophiques.

Cette hypothèse a été confirmée par des études immuno-histo-chimiques portant sur le marqueur de prolifération Ki-67 [48]. En outre, des études de génétique moléculaire dans l’EBO ont démon-tré des altérations fréquentes du gène suppresseur de tumeur CDKN2A (aussi appelé p16), telles qu’une hyperméthylation de son promoteur, une perte d’hétérozygotie du locus chromosomique 9p21 et différentes mutations du gène lui-même.

Certaines anomalies sont spécifiquement retrouvées dans des groupes de cellules épithéliales, ce qui suggère une expansion clonale des cellules dans lesquelles une ou deux copies du gène, ont été inactivées. Diverses observations suggèrent qu’il s’agit d’un processus auto-entraîné, caractérisé par corrélation positive et hautement signifi-cative avec la longueur du segment d’EBO et la présence de lésions du gène p53 [49-51].

Dans une de ces études, les mutations du gène p53 dans les exons 7 et 8 ont été principalement retrouvées dans les EBO non dysplasiques [52]. On pourrait s’attendre à ce que ces mutations aient un impact sur la structure globale de l’ADN étant donné le rôle pivot de la protéine p53 dans le contrôle de la progression du cycle cellulaire. De fait, plusieurs études rapportent une distribution clonale des altérations cytogéniques dans l’EBO non dysplasique, en particulier de type intestinal [53-55].

 

Le diagnostic et la stadification de la dysplasie se fondent habituellement sur un faisceau de critères morphologiques incluant :

  1. l’aspect architectural comprenant : bourgeonnement glandulaire,ramification, entassement nucléaire à la base des cryptes avec développement de glandes adossées les unes aux autres , formation de ponts intra ou interglandulaires, formation de structures pseudo-papillaires et surface d’aspect villeux ;
  2. l’aspect cytologique tel que : nucléoles proéminents, hyperchromatisme avec ou sans entassement nucléaire, pseudo stratification et perte de la polarité, ainsi que présence de figures mitotiques anormales . Ces altérations peuvent s’étendre de la base des cryptes à la partie superficielle de la muqueuse, appelé « défaut de maturation cellulaire de l’épithélium de surface », le processus néoplasique impliquant la perte totale de capacité de différenciation. Le recours à ce paramètre qu’est la dysplasie pour la détection d’un état précancéreux pose cependant de nombreux problèmes en matière d’analyse, et de gradation.

En effet, certains de ces critères histopathologiques sont également présents dans les processus réactionnels tels que l’inflammation et la régénération épithéliale. Ce qui pose un problème épineux lors du diagnostic initial mais également dans les premiers jours ou premières semaines suivant un geste chirurgical ou endoscopique [56].

De plus, le processus néoplasique commence à un moment donné. On peut donc envisager théoriquement que les lésions au stade débutant, forment des clones cellulaires qui ne s’étendent pas sur toute la longueur des cryptes. Récemment, quelques auteurs ont rapporté la présence d’atypies ressemblant à des lésions de dysplasie situées à la base des cryptes [« basal crypt dysplasia-like atypia » (BCDA)] avec maturation des cellules superficielles. Ils ont trouvé que contrairement au groupe contrôle, de telles lésions étaient fréquemment associées à une dysplasie synchrone ou métachrone ou à un adénocarcinome avec perte d’hétérozygotie (LOH) pour les chromosomes 9p et 17p, positivité par immuno-histochimie pour la protéine p53 et aneuploïdie. Ils ont conclu par conséquent que cette BCDA représentait une forme vraie de dysplasie [57].

Cette conclusion a été confirmée par les résultats d’une autre étude plus récente évaluant le contenu d’ADN dans les portions basales et superficielles des cryptes avec et sans dysplasie. Les portions basales des cryptes dans les zones de BCDA montraient une aneuploïdie dans 50 % des cas comme dans la dysplasie de bas grade. A l’opposé, les portions superficielles des cryptes avec BCDA montraient un ADN d’aspect diploïde [58]. L’ensemble de ces données démontre la difficulté d’établir une liste de conditions minimales ou nécessaires au diagnostic de dysplasie.

La dysplasie au sein des biopsies peut se présenter sous différents aspects avec des zones de sévérité variable. Le poids relatif de chaque critère pris individuellement n’étant généralement pas déterminé, les pathologistes peuvent donc être confrontés à des difficultés de détermination globale du grade de dysplasie. Des études inter et intraobservateurs ont démontré une bonne concordance diagnostique des pathologistes pour la dysplasie de haut grade et l’adénocarcinome, mais une faible concordance pour la « dysplasie de bas grade » et la catégorie « indéterminé pour la dysplasie » [59,60]. Ces observations forment la base des recommandations cliniques insistant sur l’importance d’une attitude chirurgicale conservatrice (mais d’une surveillance renforcée par endoscopie et biopsies) pour les dysplasies de bas grade [61]. Les recomman-dations de l’ACG et de la BSG préconisent également que tout diagnostic de dysplasie, spécialement celles de haut grade, doit être confirmé par un ou deux pathologistes experts.

De nombreux pathologistes classent la dysplasie de l’EBO selon la définition proposée par l’IBD group qui comprend les catégories « négatif » et « indéterminé pour la dysplasie », dysplasie de « bas grade » et de « haut grade » et « adénocarcinome ». Quelques pathologistes en Europe et dans les pays asiatiques préfèrent la classification de Vienne qui substitue le terme de dysplasie au terme « néoplasie non invasive ». Cette classification introduit en outre la notion de « carcinome non invasif » (carcinome in situ) et utilisent également la catégorie de « suspicion de carcinome invasif » pour des biopsies montrant des signes équivoques d’invasion [62]. Nous décrirons ensuite les critères morphologiques propres à chaque catégorie de dysplasie. Le lecteur pourra trouver une information plus approfondie dans une mono-graphie publiée récemment [63].

 

Dysplasie dans l’EBO : Les catégories

EBO, négatif pour la dysplasie

Cette catégorie inclut les biopsies du bas œsophage tapissé par un épithélium métaplasique cylindrique montrant ou non des atypies légères, non équivoques et non néoplasiques pour le pathologiste. Des atypies cellulaires peuvent être observées près de la ligne Z ou au voisinage de lésions muqueuses particulière-ment en cas de reflux persistant. Les remaniements tissulaires qui en résultent provoquent une inflammation aiguë et une régénération épithéliale avec discrètes modifications architecturales et cytologiques. Une atrophie glandulaire peut également être observée de même qu’une distorsion et des bourgeonnements et ramifications limités au niveau des cryptes. Les noyaux cellulaires peuvent montrer un léger palissadisme, surtout à la base des cryptes mais occasionnellement également en surface et dans ce cas, un aspect dit « en touffes » est visible. Le rapport nucléo-cytoplasmique normal (N/C ratio) est généralement préservé avec des noyaux aux contours lisses, une chromatine régulièrement répartie et un ou deux petits nucléoles. De nombreuses figures mitotiques sont visibles mais restent localisées à la partie inférieure des glandes et ne sont jamais atypiques (Fig. 2A). En cas de processus inflammatoire et de régénération, les cellules peu-vent montrer un noyau légèrement augmenté, un hyperchromatisme variable, et un pleïomorphisme limité. Alors que le nombre des cellules caliciformes reste normal, des cellules caliciformes dystrophiques peuvent apparaître de même qu’une diminution du contenu muqueux des cellules fovéolaires. Cependant, contraire-ment à la dysplasie, ces modifications ne surviennent pas de façon abrupte et diminuent en se rapprochant de la surface muqueuse. Elles disparaissent généralement à distance du foyer inflammatoire.

 

Figure 2A : EBO, négatif pour la dysplasie. Léger palissadisme nucléaire à la base des glandes
(coloration hématoxyline-éosine, grossissement x 400)

 

EBO, « indéterminé pour la dysplasie »

Il existe trois situations amenant le pathologiste à poser le diagnostic d’« indéterminé pour la dysplasie ». Premièrement, dans le cadre de phénomène de régénération épithéliale, des atypies cytologiques peuvent se superposer à celles observées en cas de dysplasie vraie (Fig. 2B). Dans ces conditions, le pathologiste ne peut ni exclure ni confirmer la dysplasie. Deuxièmement, des modalités techniques de résection, telles que coupe tangentielle, artéfact de cautérisation ou manque d’épithélium de surface, peuvent sérieusement compromettre l’étude histologique de l’épithélium, rendant impossible tout diagnostic fiable de dysplasie [64]. Troisièmement, le BCDA décrit plus haut se rencontre très rarement. Il a cependant été préconisé de poser un diagnostic de « indéterminé pour la dysplasie » quand de tels remaniements sont observés [63]. La conséquence d’un tel diagnostic entraîne la pratique de nouvelles investigations endoscopiques avec prise de biopsies plus nombreuses et ce, après traitement aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).

 

Figure 2B : EBO, « indéfini pour la dysplasie ». Manque de maturation cellulaire superficielle dans un contexte inflammatoire et de régénération épithéliale
(coloration hématoxyline-éosine, grossissement x 200)

 

EBO, « dysplasie de bas grade »

La dysplasie dans l’EBO est le plus souvent de type « adénomateux », ainsi nommé en raison de sa ressemblance avec l’épithélium dysplasique des adénomes sporadiques du côlon. La dysplasie de bas grade se caractérise par une architecture discrètement désorganisée des cryptes et la présence de noyaux atypiques entassés, montrant une pseudo stratification limitée. Les noyaux sont allongés, légèrement irréguliers (en forme de crayon) et hyperchromatiques avec un aspect fripé de la chromatine et de nombreux petits nucléoles. Le pléïomorphisme nucléaire est généralement modéré et il n’existe pas de perte évidente de polarité cellulaire. D’autres caractéristiques telles que l’augmentation de l’activité mitotique avec présence occasionnelle de mit oses atypiques, la diminution du nombre des cellules caliciformes et une perte de différenciation muqueuse des cellules fovéolaires peuvent s’objectiver. Ces modifications peuvent survenir de façon abrupte et ne régressent pas au niveau de la muqueuse de surface (défaut de maturation en surface) (Fig. 2C). La prise en charge initiale de la dysplasie de bas grade est similaire à celle du stade « indéterminé pour la dysplasie ». En posant ce diagnostic, le pathologiste attend une ré-évaluation du patient avec prélèvements biopsiques multiples, après traitement par IPP.

 

Figure 2C : EBO, dysplasie de bas grade. Distorsion architecturale modérée combinée à des atypies cytologiques s’étendant sur toute l a hauteur des cryptes
(coloration hématoxyline-éosine, grossissement x 200)

 

 

 

 

EBO et dysplasie de « haut grade »

La progression de la dysplasie vers le haut grade s’accompagne d’une plus grande complexité architecturale et/ou cytologique. Le diagnostic est établi quand un type ou l’autre d’anomalie est suffisamment sévère [59]. Les désordres architecturaux incluent une surface villeuse, un entassement glandulaire marqué, des bourgeonnements ou ramifications des cryptes, des contours glandulaires irréguliers et la présence de papilles intraluminales ou de ponts. Les anomalies cytologiques comprennent une pseudo stratification intense, sur toute la hauteur de l’épithélium, un pléïomorphisme nucléaire marqué, une anisocaryose, un hyperchromatisme et une perte de polarité de même qu’une augmentation de l’activité mitotique avec de fréquentes mitoses atypiques. La déplétion cellulaire en mucine prédomine et les cellules caliciformes peuvent être totalement absentes. Ces caractéristiques sont souvent plus prononcées dans la partie supérieure des cryptes et à la surface de l’épithélium (Fig. 2D).

 

Figure 2D :EBO, dysplasie de haut grade. Importante désorganisation architecturale : glandes adossées les unes aux autres, présence de noyaux volumineux, ronds et hyperchromatiques et de figures mitotiques dans la partie supérieure des cryptes et à la surf ace d e l’épithélium
(coloration hématoxyline-éosine, grossissement x 200)

 

La dysplasie appelée « non adénomateuse » est une entité rare caractérisée par des cryptes montrant une disposition de glandes adossées les unes aux autres, la présence de cellules cuboïdales avec un rapport N/C élevé, des noyaux ronds ou ovales, une dis-position anormale de la chromatine et des nucléoles proéminents. L’histoire naturelle de cette lésion n’est pas connue mais elle est généralement classée comme une dysplasie de haut grade en raison de sa morphologie.

La distinction entre dysplasie de haut grade et dysplasie de bas grade peut parfois s’avérer difficile. En général, le stade de la dys-plasie est basé sur la portion la plus atypique de l’épithélium. De nombreux pathologistes hésitent à poser un diagnostic de haut grade lorsque les aspects caractéristiques ne se retrouvent que sur une ou un nombre très faible de cryptes. Ils suivent ainsi la recommandation de l’IBD Dysplasia Morphology Study Group de 1983, qui estime que « désigner une lésion comme étant de haut grade en se fondant uniquement sur la présence de dysplasie de haut grade trouvée sur une ou deux cryptes n’est probablement pas justifié » [42]. Cependant, en l’absence de recommandations bien définies, cette situation est source de sérieux problèmes [59]. On a pu montrer que l’étendue de la dysplasie de haut grade dans l’EBO est corrélée au risque de développement d’un adé-nocarcinome [65]. Ces résultats n’ont, toutefois, pas été confirmés par d’autres études [66]. Actuellement, les pathologistes peuvent essayer de guider le traitement en donnant une estimation des proportions relatives de dysplasie de bas et de haut grade sur chaque série de biopsies [63].

La dysplasie de haut grade est associée à un adénocarcinome synchrone ou métachrone invasif dans 30 à 40 % des patients au cours des 5 premières années faisant suite au diagnostic. Cela justifie donc un comportement interventionnel. La prise en charge actuelle des patients dans un centre donné est dépendante de l’expertise endoscopique et chirurgicale locale, de l’âge du patient, des facteurs de co-morbidité et des préférences en matière de recommandations (ACG ou BSG ou recommandations de la Société des Chirurgiens thoraciques [67]).

 

Adénocarcinome sur EBO

L’adénocarcinome se définit comme une lésion néoplasique ayant dépassé la membrane basale de l’épithélium. En raison de la présence de vaisse aux lymphatiques et sanguins au niveau de la lamina propria de l’œsophage, les adénocarcinomes limités à la muqueuse, peuvent engendrer des métastases ganglionnaires dans une faible proportion de cas (5-8 %) [68]. Ceci pose problème car la distinction entre dysplasie de haut grade et adéno-carcinome intramuqueux est souvent difficile et souffre d’une variabilité interobservateur significative [69]. L’adénocarcinome peut être diagnostiqué quand des cellules tumorales uniques ou groupées en petit amas sont observées au niveau de la lamina propria ou quand les glandes sont d’allure anguleuse et ont tendance à s’infiltrer au sein du chorion qu’il y ait ou non stroma réaction desmoplastique. En examinant les biopsies endoscopiques obtenues à la pince, le pathologiste peut dans ce cas, poser le diagnostic d’« adénocarcinome dont la profondeur d’infiltration ne peut être déterminée ». A l’opposé, les aspects tels que prolifération de glandes adossées les unes aux autres, glandes prenant un aspect cribriforme, ou présence de débris nécrotiques intraluminaux sont en eux-mêmes des critères insuf-fisants pour poser un diagnostic formel d’adénocarcinome. Dans la classification de Vienne, la catégorie « suspect de carcinome invasif » peut alors être utilisée (Fig. 2E) [63].

 

Figure 2E : EBO suspicion de cancer infiltrant. Adossement de structure s glandulaires avec anomalies cytologiques de malignité présence d’amas cellulaires
(coloration HE grossissement x100)

 

Techniques complémentaires pour évaluer le risque de dégénérescence dans l’œsophage de Barrett

Des techniques à la fois morphologiques (immu no-histo-chimiques) et moléculaires ont été évaluées dans le but d’affiner l’appréciation du risque de cancérisation dans l’EBO. Les résultats ne sont pas statistiquement significatifs dans l’ensemble. A titre d’exemple, il a été rapporté que l’étendue et la distribution du marqueur de prolifération Ki-67 pouvaient être corrélé s au grade de dysplasie [70,71]. L’épit hélium de régénération peut cependant montrer une prolifération accrue qui, dans certains cas, peut se rapprocher de l’aspect observé dans la dysplasie de haut grade. Dans un même ordre d’idées, une étude rétrospec-tive a montré que la fréquence de positivité de la protéine p53 est proportionnelle au grade de dysplasie (Fig. 3). Malheureusement, l’immunomarquage a également été observé jusque dans 10 % des biopsies qui étaient histologiquement négatives pour la dysplasie [72]. A l’opposé, une absence de marquage a été mise en évidence dans des biopsies sièges de lésions de dysplasie [73]. On peut donc conclure que ces méthodes n’ont pas une valeur diagnostique supérieure aux critères morphologiques clas-siques. Elles peuvent tout au plus avoir une valeur complémen-taire dans des cas difficiles. D’autres bioma rqueurs sont actuellement en cours d’investigation comme l’association de la positivité de la cycline D1 à la base des glandes et le risque de progression vers l’adénocarcinome (odds ratio 6.85; 95 % ; CI: 1.57-29.91; p = .0106) [74]. Deux autres études récentes se sont intéressées à la surexpression de l’alpha methylacyl coenzyme A racemase (AMACR) dans l’EBO. Dans l’une d’elles, 38 % des cas de dysplasie de bas grade et 81 % des dysplasies de haut grade montraient une forte positivité diffuse pour l’AMACR alors que les biopsies négatives à la dysplasie ne montraient pas de marquage et que 21 % des cas considérés comme « indéterminés pour la dysplasie » ne montraient qu’un marquage focal. Ces études per-mettent d’envisager qu’un résultat clairement positif d’AMACR pourrait affiner le diagnostic de dysplasie dans certains cas [75,76]. De tous les biomarqueurs moléculaires potentiels étudiés, seule l’évaluation du contenu de l’ADN par cytométrie de flux a montré des résultats fortement prédictifs de carcinome. Dans une étude, 9 des 13 patients qui avaient soit une fraction 4N élevée ou une aneuploïdie sur leur biopsie initiale, développaient une dysplasie de haut grade ou un cancer dans les 34 mois, alors qu’aucun des patients sans ces altérations n’ont évolué vers la dégénérescence [77]. Une étude ultérieure réalisée par le même groupe a quantifié ces résultats comme suit : une fraction 4N > 6 % était associée à un risque relatif de cancer de 11,7 (95 % CI: 6.2-22) ; un contenu ADN aneuploïde > 2,7 a montré un risque relatif de 9,5 (95 % CI: 4.9-18) ; en présence de ces deux critères, le risque relatif de développer un cancer était de 23 95 % CI: 10-50). Les auteurs ont dès lors conclu que l’analyse du contenu ADN pouvait être un moyen complémentaire, utile à l’his-tologie dans l’évaluation du risque de cancer chez les patients avec EBO [78]. Cette technique est toutefois difficile à introduire en pratique clinique car la cytométrie de flux requiert une grande quantité de matériel biopsique.

 

Figure 3 : Immunoma rquage p53 dans un cas de dysplasie de bas grade
(grossissement x 200)

 

Conclusions

Actuellement, les pathologistes jouent un rôle essentiel dans le diagnostic et le suivi de l’œsophage de Barrett. Bien que la détection de la dysplasie soit associée à des limit es de concept et d’analyse, il n’existe pas pour l’instant de meilleurs marqueurs du risque de progression vers le cancer. Des techniques complémentaires doivent continuer à être mises au point et le rôle des pathologistes dans ces études sera primordial.