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13 octobre 2011
Digestif
Laurianne Jolissaint, Antoine de Pauw, Bruno Buecher

Les formes héréditaires et familiales des cancers de l’estomac

Hereditary and familial forms of gastric cancer

Laurianne Jolissaint1, Antoine de Pauw2, Bruno Buecher1,2
1. Institut Curie, Département d’Oncologie Médicale, 26, rue d’Ulm, F-75248 Paris Cedex 5
2. Institut Curie, Service de Génétique, 26, rue d’Ulm, F-75248 Paris Cedex 5
bruno.buecher@curie.net

 

Résumé

Les formes héréditaires des cancers gastriques, syndromiques et non syndromiques, correspondent à des affections monogéniques rares, à transmission autosomique dominante, associées à des risques tumoraux très élevés. Contrairement aux formes syndromiques, le déterminisme génétique des formes non syndromiques n’est pas toujours connu et, seul, un tiers des formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus est à mettre sur le compte d’une mutation germinale du gène CDH1 .

Les indications d’étude de ce gène et les modalités de prise en charge des sujets atteints ont été récemment précisées. Nos connaissances se sont également enrichies en matière de facteurs génétiques de susceptibilité aux cancers gastriques responsables de certaines agrégations familiales en association à des facteurs d’environnement. Dans cette revue, nous envisagerons successivement les formes héréditaires et les formes familiales des cancers gastriques en mentionnant les données les plus récentes et en indiquant les questions non résolues et les axes de recherche.

Mots-clés : Cancer gastrique héréditaire, Gène CDH1

Abstract

Although the vast majority of gastric cancers are sporadic, 1% to 3% arise in the setting of inherited gastric cancer predisposition syndromes. A germline mutation of the CDH1  gene, which encodes the E-Cadherin protein, accounts for about one third of hereditary diffuse gastric cancers. The molecular determinism of the other forms of hereditary diffuse or intestinal gastric cancers is still unknown. Familial clustering of gastric cancers may also result from minor genetic predisposition factors interacting with environmental risk factors such as Helicobacter pylori infection and/or dietary components. This review will focus on hereditary gastric cancer and on familial gastric cancer syndromes, with an emphasis on the CDH1 -associated diffuse hereditary form.

Keywords:Hereditary gastric carcinoma, CDH1  gene

 

Introduction

Les formes héréditaires des cancers gastriques sont des affections rares qui ne sont pourvoyeuses que d’un faible pourcentage de cas. Sur le plan moléculaire, elles sont liées à une mutation constitutionnelle inactivatrice d’un gène suppresseur de tumeur ou d’un gène impliqué dans les mécanismes de réparation des lésions de l’ADN responsable, à elle seule, d’une augmentation importante du risque tumoral. Il s’agit donc d’affections monogéniques répondant aux règles mendéliennes de la transmission génétique. Elles s’opposent aux formes dites « familiales », plus fréquentes, qui correspondent à des agrégations familiales de cancers gastriques dans lesquelles l’augmentation du risque de cancer implique à la fois des facteurs génétiques de susceptibilité et des facteurs d’environnement. Ces facteurs génétiques correspondent à des altérations de l’ADN (mutations ou polymorphismes) associées individuellement à une augmentation modérée, voire marginale, du risque mais dont l’association peut rendre compte d’une augmentation significative de ce risque par effet de « sommation », en particulier en cas d’exposition à des facteurs de risques environnementaux. Nous envisagerons successivement dans cet article les formes héréditaires et les formes familiales de cancers gastriques. Sur le plan histologique, il convient de distinguer les deux types de la classification de Lauren : cancers gastriques de type diffus, « à cellules indépendantes » et cancers gastriques de type intestinal.

 

Les formes héréditaires des cancers gastriques

On distingue classiquement, au sein des formes héréditaires de cancers gastriques, les formes syndromiques des formes non syndromiques. Les premières correspondent à des agrégations survenant dans le cadre d’un syndrome de prédisposition héréditaire connu associé à une augmentation du risque de cancer gastrique mais dans lequel ce risque n’est pas au premier plan.
Elles s’opposent aux formes dites « non syndromiques », caractérisées par un risque élevé et une agrégation exclusive ou largement prédominante de cancers gastriques de type diffus ou de type intestinal. Nous les envisagerons successivement.

 

Les formes héréditaires « syndromiques »

Le cancer gastrique fait partie du « spectre » d’expression de différents syndromes de prédisposition héréditaire au cancer qui doivent être systématiquement évoqués en cas d’agrégation familiale de cancers gastriques et/ou de cancer gastrique diagnostiqué à un âge inhabituellement jeune. Leur identification est parfois aisée et le diagnostic précède parfois celui du cancer gastrique. Ailleurs, le diagnostic n’est pas connu et le cancer gastrique peut être inaugural ou correspondre à l’événement révélateur.

 

Le syndrome de Lynch

Les cancers gastriques font classiquement partie du spectre tumoral du syndrome de Lynch. Le risque de cancer gastrique est cependant très variablement apprécié. Ainsi, le risque relatif (Standardized Incidence Ratio) a été évalué à 3,4 (IC 95 % : 2,1-5,2) et le risque absolu à 8 % chez les hommes et à 5,3 % chez les femmes à partir des données issues de la cohorte hollandaise de 2 014 patients atteints d’un syndrome de Lynch récemment publiées [1]. Ces données contrastent avec celles de l’étude française ERISCAM dont l’objectif était d’évaluer les risques tumoraux associés au syndrome du Lynch au moyen d’une approche méthodologique permettant de s’affranchir du biais de sélection des cas index dans laquelle le risque cumulé de cancer gastrique était évalué à 0,7 % (IC 95 % : 0,08-5,5) (données non publiées). Le type histologique majoritaire correspond à l’adénocarcinome de type intestinal et l’âge moyen au diagnostic était de 55 ans (extrêmes : 27-82 ans) dans la série hollandaise.

En pratique, le diagnostic doit être évoqué de principe en cas d’agrégation familiale de cancer gastrique et/ou en cas de cancer gastrique diagnostiqué à un âge inférieur à 60 ans. Dans ces situations, il convient : a) de rechercher des antécédents familiaux de cancers colorectaux et de cancers de l’endomètre essentiellement mais également de cancers de l’ovaire, de l’intestin grêle, des voies excrétrices urinaires et des voies biliaires ; b) de mettre en oeuvre une étude somatique (recherche d’instabilité des microsatellites et étude immunohistochimique de l’expression des protéines MMR). La recherche d’une mutation constitutionnelle des gènes en cause (MLH1, MSH2, plus rarement MSH2, exceptionnellement PMS2) est réservée aux situations dans lesquelles le phénotype tumoral est compatible avec le diagnostic (instabilité des microsatellites – phénotype MSI – et défaut d’expression d’une protéine en immunohistochimie). Chez les sujets atteints d’un syndrome de Lynch, la réalisation d’une endoscopie oesogastroduodénale avec biopsies à la recherche d’une infection à Helicobacter pylori est recommandée. Il n’y a pas de consensus sur la nécessité de mettre en place une surveillance périodique systématique du tube digestif supérieur mais celle-ci est réalisée, en pratique, à l’occasion des coloscopies dans la majorité des centres.

 

Polyposes digestives

Le risque de cancer gastrique est augmenté au cours de différentes polyposes colorectales : polypose adénomateuse familiale associée à APC ; syndrome de Peutz-Jeghers et polypose juvénile. Des cancers gastriques ont également été rapportés dans le contexte de la polypose adénomateuse colorectale associée aux mutations bi-alléliques du gène MUTYH. La prévalence du cancer gastrique dans ces différents syndromes est mal évaluée mais ces diagnostics doivent être systématiquement évoqués en situation d’agrégation familiale de cancers gastriques. En pratique, le diagnostic est le plus souvent déjà établi, en particulier pour la polypose adénomateuse familiale liée à APC dans sa forme classique et pour le syndrome de Peutz-Jeghers. Le risque le plus élevé concerne probablement la polypose juvénile, en particulier en cas d’association à la polypose colorectale d’une polypose gastrique qui est plus fréquemment observée chez les individus porteurs d’une mutation constitutionnelle du gène SMAD4 [2]. Il est admis qu’une surveillance endoscopique du tube digestif supérieur doit être mise en place chez les sujets atteints.

 

Autres syndromes de prédisposition héréditaire aux cancers

Le syndrome de Li-Fraumeni correspond à une forme héréditaire de cancers liée à une mutation constitutionnelle du gène TP53 à révélation le plus souvent pédiatrique. Le spectre tumoral est évocateur : tumeurs des plexus choroïdes, cortico-surrénalomes malins, tumeurs cérébrales, sarcomes, leucémies et cancers du sein diagnostiqués chez de très jeunes femmes.

Des cancers gastriques peuvent survenir dans ce contexte mais ils sont très généralement au second plan de la scène clinique, et le diagnostic a été évoqué ou établi sur la base d’une présentation familiale caractéristique. La recherche de mutation constitutionnelle du gène TP53 a été réalisée de façon systématique par deux équipes, portugaise et allemande, dans 2 séries de 31 et 35 patients atteints de cancers gastriques diagnostiqués dans un contexte d’agrégation familiale [3,4]. Une mutation a été identifiée chez un individu de chacune de ces deux séries, soit 3,2 % et 2,9 % des effectifs respectivement.

Il est possible que les formes héréditaires des cancers du sein et de l’ovaire liées à une mutation constitutionnelle du gène BRCA2 soient associées à une augmentation modérée du risque de cancer gastrique. Une telle altération génétique doit donc être évoquée en cas d’agrégation familiale de cancers de l’estomac, du sein et/ou de l’ovaire [5,6].

À l’heure actuelle, il n’existe pas d’indication de mise en place d’une surveillance endoscopique systématique dans ces contextes, au moins en l’absence d’antécédent familial de cancer gastrique.

 

Les formes héréditaires non « syndromiques »

Les formes héréditaires non syndromiques correspondent à des agrégations familiales évocatrices d’une affection héréditaire conférant un risque élevé de cancer gastrique (forte pénétrance) et répondant aux lois mendéliennes de la transmission génétique.

Les cancers survenant dans un tel contexte sont le plus souvent de type diffus. On parle de « Formes Héréditaires de Cancers Gastriques de type Diffus » ou « Hereditary Diffuse Gastric Cancer (HDGC) ». En 1999, l’International Gastric Cancer Linkage Consortium (IGCLC) a établi, de façon arbitraire, des critères cliniques de définition : a) ≥ 2 cas de cancers gastriques de type diffus diagnostiqués chez des apparentés au premier ou au second degré dont un à un âge < 50 ans ; ou b) ≥ 3 cas de cancers gastriques de type diffus chez des apparentés au premier ou au second degré quels que soient les âges aux diagnostics [7].

Une mutation germinale du gène CDH1  rendrait compte de 25 à 30 % des formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus répondant aux critères diagnostiques de l’IGCL [8].

 

Les formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus associées à une mutation du gène CDH1

  • Généralités
    Le gène CDH1 , localisé sur le bras long du chromosome 16 code pour l’E-Cadhérine, protéine transmembranaire localisée préférentiellement au pôle baso-latéral des cellules épithéliales et impliquée à la fois dans les phénomènes d’adhésion intercellulaires (par le biais de son domaine extra-membranaire) et dans le contrôle de la morphogenèse, du trafic intracellulaire et de la prolifération cellulaire (par le biais de son domaine intracellulaire qui interagit avec les caténines – a, b, g et p120ctn – et indirectement avec le cytosquelette d’actine). Au total, plus de 70 mutations délétères de ce gène ont été identifiées, réparties sur l’ensemble de sa séquence codante [8]. Elles correspondent majoritairement à des mutations non sens, à des mutations d’épissage et à des délétions ou insertions d’un ou de quelques nucléotides responsables d’un décalage du cadre de lecture. Les mutations de type « faux-sens » sont plus rares. Des réarrangements de grande taille (délétions ou duplications d’un ou de plusieurs exons) ont également été rapportés, ce qui justifie de les rechercher systématiquement au moyen d’une technique appropriée en l’absence de mutation ponctuelle identifiée [9]. Chez les individus porteurs d’une mutation constitutionnelle inactivatrice d’un allèle du gène CDH1 , le défaut d’expression de l’E-Cadhérine qui initie la carcinogenèse, résulte d’une inactivation somatique de l’allèle fonctionnel restant, le plus souvent par hyperméthylation de son promoteur.

 

  • Risques tumoraux associés aux mutations constitutionnelles du gène CDH1
    Les mutations constitutionnelles du gène CDH1  sont associées à une augmentation très importante du risque de cancer gastrique invasif. À titre d’exemple, le risque cumulé a été évalué à 67 % chez les hommes et à 83 % chez les femmes dans l’étude de Pharoa et al. [10]. Les données de prévalence doivent cependant être interprétées avec prudence compte tenu des faibles effectifs et d’un biais de sélection des études disponibles. Il est par ailleurs important de souligner la présence quasi-constante de multiples foyers de lésions néoplasiques non invasives sur les pièces de gastrectomies prophylactiques réalisées chez de jeunes adultes en cas d’examen minutieux et systématique du spécimen d’exérèse [11]. Ces lésions peuvent correspondre, soit à des petits foyers de carcinomes in situ (petits foyers intra-épithéliaux de cellules en bague à chaton), soit à des foyers intramuqueux avec extension de type pagétoïde sous l’épithélium des glandes ou des cryptes. Ces constatations indiquent que les lésions non invasives apparaissent précocement. Leur histoire naturelle n’est pas connue et il est probable que certaines d’entre elles restent durablement « indolentes » avant de donner, éventuellement, naissance à des lésions invasives. Actuellement, il n’est pas possible de prédire l’évolution vers une forme invasive. Les déterminismes moléculaires de cette évolution ne sont pas connus. Il est possible que la pénétrance soit en partie conditionnée par le type de mutation constitutionnelle. Certaines observations suggèrent en effet que la pénétrance serait plus importante (risque cumulé plus élevé et âge au diagnostic plus précoce) pour les mutations tronquantes lorsque les transcrits sont dégradés par NMD (Nonsense Mediated Decay) que lorsqu’ils ne le sont pas.
    Ainsi, les transcrits tronqués non soumis à la dégradation par NMD pourraient coder pour une protéine tronquée ayant une activité résiduelle permettant d’« atténuer » le phénotype [12].
    L’âge au diagnostic des cancers gastriques associés aux mutations du gène CDH1  est globalement plus précoce que celui des cancers gastriques sporadiques, et la précocité du diagnostic est un élément d’orientation. L’absence d’agrégation familiale de cancer gastrique dans cette situation diminue la probabilité d’identifier une mutation du gène CDH1  mais ne permet pas d’exclure cette hypothèse compte tenu de la possibilité de néo-mutation.
    Les mutations du gène CDH1  seraient également associées à une augmentation importante du risque de cancers du sein de type « carcinome lobulaire infiltrant » chez les femmes. Ainsi, dans l’étude de Pharoa déjà citée, le risque cumulé de cancer du sein était évalué à 40 % [10]. Enfin, plusieurs cas de cancers colorectaux à cellules indépendantes, en « bague à chaton », ont été rapportés dans le contexte des mutations germinales du gène CDH1.

 

  • Les indications d’étude du gène CDH1
    • Indications d’études pour les cas index
      En pratique, les situations cliniques évocatrices d’une mutation constitutionnelle du gène CDH1  devant conduire à une proposition d’étude de ce gène sont les suivantes : a) validation des critères cliniques de définition des formes héréditaires des cancers gastriques de type diffus [8] ; b) cancer gastrique à cellules indépendantes diagnostiqué à un âge inférieur à 35 ans, voire 40 ans ; c) association d’un cancer gastrique à cellules indépendantes et d’un carcinome mammaire lobulaire infiltrant ou d’un adénocarcinome colorectal à cellules indépendantes chez un même individu ou chez 2 apparentés au premier ou au second degré (en particulier lorsque l’un de ces cancers a été diagnostiqué à un âge inférieur à 50 ans). Il faut noter que l’étude immunohistochimique de l’expression de l’E-Cadhérine au niveau tumoral n’a pas de valeur d’orientation diagnostique puisque la perte d’expression de cette protéine est également observée dans les cancers gastriques à cellules indépendantes sporadiques.
    • Indications d’étude chez les apparentés
      L’identification d’une mutation du gène CDH1  chez un individu atteint de cancer gastrique à cellules indépendantes permet de proposer un test ciblé à ses apparentés au premier degré qui ont un risque de 50 % d’en avoir hérité (transmission autosomique dominante). Ces tests sont obligatoirement prescrits dans le cadre d’une consultation de génétique oncologique et l’analyse moléculaire doit être réalisée, pour des raisons de fiabilité, sur deux prélèvements indépendants. Ils sont généralement proposés à l’âge de 18 ans. Leur réalisation à un âge plus précoce n’est pas souhaitable et ne doit être envisagée qu’en cas de diagnostic de cancer invasif à un âge particulièrement jeune dans la famille.

 

  • Recommandation pour la prise en charge des individus avec mutation constitutionnelle du gène CDH1
    • Surveillance endoscopique
      L’augmentation importante du risque de cancer gastrique chez les individus avec mutation constitutionnelle du gène CDH1  justifie la mise en place d’une surveillance endoscopique au minimum annuelle. L’examen doit être minutieux et associé à la réalisation de biopsies ciblées sur toute altération de couleur et/ou de relief de la muqueuse et de biopsies multiples systématiques (6 biopsies pour chacune des localisations suivantes : antre ; jonction antro-fundique ; grosse tubérosité et cardia) [11].
      L’intérêt de la chromoendoscopie mérite d’être évalué mais la technique associant bleu de méthylène et rouge Congo proposée initialement n’est pas recommandable en raison du caractère carcinogène du rouge Congo [13]. Les nouvelles techniques endoscopiques innovantes et/ou en cours de développement (endomicroscopie confocale ; imagerie tridimensionnelle ; imagerie moléculaires…), de même le PET-scan devront également être évalués [14]. Quoi qu’il en soit, toutes les études disponibles soulignent les limites des protocoles actuels de surveillance et leur incapacité à identifier la majorité des foyers non invasifs présents sur les pièces de gastrectomies prophylactiques.
    • Gastrectomie totale prophylactique
      Ce constat implique de discuter de l’indication de gastrectomie totale prophylactique qui doit être systématiquement envisagée.
      Il n’existe pas de consensus sur l’âge de la chirurgie prophylactique. La rareté des cancers invasifs diagnostiqués avant l’âge de 20 ans conduit à ne l’envisager qu’au-delà de cet âge et, généralement, au cours de la 3ème décennie chez des patients « loyalement » informés des avantages et des risques potentiels de cette chirurgie (morbi-mortalité ; conséquences fonctionnelles et nutritionnelles à court, moyen et long termes …) Dans tous les cas, l’indication chirurgicale doit être validée à l’occasion d’une réunion de concertation pluridisciplinaire impliquant chirurgiens, gastroentérologues, nutritionnistes, oncogénéticiens/conseillers en génétique et psychologues/psychiatres. La chirurgie doit être réalisée dans un centre expert afin de minimiser le risque de morbi-mortalité.
      Les modalités de cette chirurgie ont récemment fait l’objet de recommandations professionnelles françaises à l’initiative de l’INCa [15]. Il s’agit d’une gastrectomie totale avec curage de type D1 ou D1,5 et omentectomie. L’examen extemporané des recoupes oesophagiennes et duodénales permet de s’assurer de l’absence de tissu gastrique résiduel. Le rétablissement de la continuité digestive est réalisé par une anse jéjunale en Y. La distance entre l’anastomose oesojéjunale et l’anastomose au pied de l’anse (jéjuno-jéjunale) doit être d’au moins 70 cm afin de réduire le risque de reflux biliaire. Une jéjunostomie d’alimentation est préconisée pour limiter la perte de poids postopératoire.
    • Surveillance mammaire
      L’augmentation du risque de cancer du sein justifie la mise en place d’une surveillance clinico-radiologique rapprochée. Malgré l’absence de démonstration d’efficacité d’un protocole donné et, par analogie aux recommandations de suivi des femmes à haut risque (en particulier des femmes porteuses d’une mutation d’un gène BRCA1/2), certains proposent l’association d’une palpation semestrielle à un bilan morphologique annuel par mammographie et IRM mammaire à partir de l’âge de 35 ans [11].
    • Dépistage des cancers colorectaux
      La mise en place d’une surveillance coloscopique doit être discutée, en particulier lorsqu’il existe un ou plusieurs antécédents familiaux de cancer colorectal, surtout s’il s’agit d’une forme à cellules indépendantes. Dans une telle situation, la première coloscopie est recommandée à l’âge de 40 ans ou 10 ans avant l’âge au diagnostic le plus précoce dans la famille ; les examens sont ensuite renouvelés tous les 3 à 5 ans.

 

  • Autres formes héréditaires de cancers gastriques
    Comme indiqué précédemment, les mutations du gène CDH1  ne sont identifiées que dans 25 à 30 % des agrégations familiales de cancers gastriques de type diffus répondant à la définition des formes héréditaires de l’IGCLC. À ce jour, aucune autre altération génétique causale n’a pu être identifiée. En particulier, il n’a pas été mis en évidence de mutation constitutionnelle délétère dans les gènes codant pour les caténines (a, b, g, p120cnt) partenaires de l’E-Cadhérine [16], pas plus que dans d’autres gènes candidats analysés, en particulier les gènes de la caspase 10 [3], RUNX3 et HPP1 [4].
    Certaines agrégations familiales de cancers gastriques de type intestinal, évocatrices d’une prédisposition génétique majeure, sont également décrites. Aucune mutation germinale du gène CDH1  n’a été décrite dans ces situations dont le déterminisme génétique n’est donc pas connu.

 

Les formes familiales des cancers gastriques

Alors que les formes héréditaires ne représentent que 1 à 3 % des cancers gastriques, une agrégation familiale est observée dans près de 10%des cas. Ces agrégations qui définissent les formes familiales, sont le reflet d’une augmentation intrafamiliale du risque qui peut résulter de l’interaction entre des facteurs génétiques de susceptibilité et certains facteurs d’environnement. Ainsi, des facteurs génétiques associés à une majoration du risque de cancer gastrique dans le contexte d’une infection à Helicobacter pylori ont été identifiés. D’autres facteurs génétiques pourraient également rendre compte de formes familiales et interagir avec d’autres facteurs d’environnement tels que des composés alimentaires, la consommation d’alcool et le tabagisme.

 

Facteurs génétiques de prédisposition dans le contexte de l’infection à Helicobacter pylori (Hp)

  • Helicobacter pylori et cancer gastrique. Généralités et facteurs de virulence bactérienne
    Le lien entre cancer gastrique et infection à Helicobacter pylori est suspecté depuis longtemps. Dès 1994, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu Helicobacter pylori comme un agent carcinogène certain (groupe I) [17]. En 2001, une méta-analyse regroupant 1 228 cancers gastriques a confirmé ce lien [18]. Les études épidémiologiques ont permis de préciser que l’augmentation du risque associée à l’infection à Hp ne valait que pour les cancers gastriques « distaux » et qu’elle était plus marquée pour les cancers de type intestinal que pour les cancers de type diffus. Les différentes étapes de la carcinogenèse gastrique associée à l’infection à Hp sont maintenant bien connues pour les formes intestinales. Elles peuvent être résumées de la façon suivante : gastrite aiguë de localisation fundique préférentielle ; gastrite chronique superficielle sans atrophie ; gastrite chronique atrophique ; métaplasie intestinale ; dysplasie ; et enfin adénocarcinome gastrique [19].
    Certaines souches bactériennes sont associées à une majoration du risque en rapport avec l’expression de différents facteurs de virulence dominés par la protéine CagA et certaines isoformes de la protéine VacA [20]. La protéine CagA est codée par un gène de l’îlot de pathogénicité Cag qui est présent dans environ 70 % des souches bactériennes dans les pays occidentaux. Cet îlot comporte également différents gènes qui codent pour un appareil de sécrétion, complexe multi protéique permettant l’injection de l’effecteur CagA et de fragments de peptidoglycane de la paroi de Helicobacter pylori dans les cellules hôtes ; la protéine VacA est une toxine pléiotropique produite par 50 % des souches bactériennes environ dont les isoformes VacAs1 et VacAm1 sont associées à une cytotoxicité plus marquée. Dans l’étude de Figueiredo et al., le risque relatif de cancer gastrique associé aux souches bactériennes exprimant les variants vacAs1 ou vacAm1 du gène vacA était de 17 (IC 95 % : 7,8-38) et de 6,7 (IC 95 % : 6,3-12) respectivement ; le risque relatif associé aux souches exprimant le gène cagA de 15 (IC 95 % : 7,4-29) [21].

 

  • Polymorphismes dans les gènes codant pour les cytokines impliquées dans la réponse inflammatoire à l’infection à Helicobacter pylori
    • Polymorphismes du gène de l’interleukine1b (Il-1b) et de l’antagoniste endogène de son récepteur IL-1RN
      L’interleukine 1b est une cytokine pro-inflammatoire qui est également dotée d’une activité antisécrétoire. Elle est produite précocement par les macrophages activés en réponse à l’infection à Hp. L’infection induit également la production d’un antagoniste « endogène » du récepteur de l’IL-1b, l’IL-1ra, qui est codé par le gène IL-1RN. Les polymorphismes fonctionnels 31*C et 511*T du gène de l’IL-1b (transitions intéressant les nucléotides localisés en position -31 et -511 par rapport au site d’initiation de la transcription respectivement) et le variant intronique IL-1RN*2 du gène IL-1RN sont associés à une majoration du risque d’hypochlorhydrie, d’atrophie et de cancer gastrique. L’hypochlorhydrie marquée, associée à ces génotypes, favoriserait la diffusion de l’infection au corps gastrique et l’extension de l’atrophie, elle-même source d’hypochlorhydrie. Ces données, initialement rapportées par El-Omar et al. [2] ont été secondairement confirmées par d’autres études dans diverses populations [23-26] et méta-analyses [27-29]. Ainsi, dans le travail de Gianfagna et al., les risques relatifs de cancer gastrique associés au polymorphisme 511*T du gène de l’IL-1b et au variant IL-1RN*2 du gène IL-1RN étaient de 1,26 (IC 95 % : 1,03-1,55) et de 1,20 (IC 95 % : 1,01-1,41) respectivement [27].
      D’un point de vue expérimental, la surexpression de l’IL-1b au niveau gastrique dans un modèle murin (souris transgénique pour le gène de l’IL-1b mis sous le contrôle du promoteur du gène de l’H+/K+ ATPase) est associée à un épaississement de la paroi gastrique, une hypochlorhydrie, une gastrite atrophique associée à des lésions de métaplasie intestinale, et compliquée de dysplasie et d’adénocarcinome [30].
      Il est intéressant de noter qu’il existe une interaction entre les caractéristiques de la souche bactérienne et les données génotypiques.
      À titre d’exemple, l’augmentation du risque de cancer gastrique est majeure (risque relatif évalué à 87 ; IC 95 % : 11-679) chez les sujets infectés par une souche vacAs1 et porteurs du polymorphisme 511*T du gène IL-1b [21].
    •  Polymorphismes des gènes de l’IL-8, du TNF alpha et de l’IL-10 (art. 2)
      Des polymorphismes fonctionnels dans des gènes codant pour d’autres cytokines proinflammatoires produites en réponse à l’infection à Helicobacter pylori telles que l’interleukine 8 (IL-8) ou le Tumor Necrosis Factor-a (TNFa) seraient également associés à une amplification de la réponse inflammatoire et à une majoration du risque de cancer gastrique [22].
      L’interleukine 10 (IL-10) correspond à une cytokine anti-inflammatoire interférant négativement avec l’expression des cytokines proinflammatoires, IL-1b et TNFa notamment. La combinaison de 3 polymorphismes du promoteur de ce gène constitue un haplotype à risque associé, à l’état homozygote, à une diminution de la production d’IL-10 [22].

 

  • Polymorphismes dans les gènes impliqués dans la réponse immunitaire innée
    De même que les polymorphismes des gènes impliqués dans la réponse immunitaire adaptative à l’infection à Helicobacter pylori, les polymorphismes des gènes impliqués dans l’immunité innée pourraient interférer avec l’inflammation induite et le risque de cancer. Ceci a notamment été montré pour certains polymorphismes du gène TLR4 qui code pour le Toll-like receptor 4, récepteur du liposaccharide de la paroi bactérienne [31].

 

Autres facteurs génétiques de susceptibilité au cancer gastrique : l’exemple du polymorphisme 677T du gène MTHFR

D’autres facteurs génétiques de susceptibilité au cancer gastrique ont été identifiés à partir d’approches de type gènes candidats ou d’études pangénomiques. La MéthylèneTétraHydroFolate Réductase (MTHFR) catalyse la transformation du 5,10-méthylènetétrahydrofolate en 5,10-méthyltétrahydrofolate. Elle joue donc un rôle essentiel dans la production de radicaux méthyl- et est impliquée dans la synthèse de novo des déoxynucléotides et dans la méthylation de l’ADN. Le polymorphisme 677T du gène MTHFR est associé à une réduction significative de l’activité enzymatique, en particulier à l’état homozygote. Dans la méta-analyse de Gianfanga déjà citée, une homozygotie pour l’allèle variant 677T était associée à une augmentation significative du risque relatif de cancer gastrique (1,51 ; IC 95% : 1,31-1,77) [27].

De façon intéressante, l’augmentation du risque associée à ce génotype est plus marquée chez les patients tabagiques et/ou ayant une consommation excessive d’alcool [32].

Nos connaissances en matière de prédisposition génétique aux cancers gastriques se sont considérablement enrichies au cours des dernières années, à la fois en matière de facteurs majeurs de prédisposition, responsables de formes héréditaires, et de facteurs de susceptibilité, impliqués dans certaines agrégations familiales, conjointement avec des facteurs d’« environnement » (infection à Helicobacter pylori et facteurs alimentaires notamment).

L’identification des mutations constitutionnelles du gène CDH1  constitue une avancée majeure. Ces mutations ne rendent cependant compte, au maximum, que d’un tiers des formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus et des travaux de recherche sont actuellement en cours visant à caractériser les facteurs responsables des autres formes héréditaires de cancers gastriques de type diffus et des formes héréditaires de cancers gastriques de type intestinal. La prise en charge des individus porteurs d’une mutation constitutionnelle du gène CDH1  est délicate compte tenu à la fois des limites de la surveillance endoscopique et de la « lourdeur » de la gastrectomie prophylactique.

De nombreuses questions restent non résolues : quelle est la prévalence réelle du cancer gastrique dans ce contexte ? Quels sont les déterminismes moléculaires de la progression des lésions néoplasiques non invasives ? Est-il possible de prédire cette évolution ? Existe-t-il des corrélations phénotype/génotype significatives ? Existe-t-il des facteurs génétiques et/ou environnementaux modificateurs des risques tumoraux ? La réponse à ces questions permettra probablement une meilleure évaluation individuelle des risques et une modulation des recommandations de prise en charge. L’amélioration de la performance du dépistage endoscopique est également souhaitée afin de suivre, de façon sécurisante, ces individus à risque avant l’âge de la gastrectomie prophylactique.

Des progrès sont également attendus dans le champ de la caractérisation des facteurs de susceptibilité génétique aux cancers gastriques. L’objectif est d’identifier à l’avenir des sujets à risque particulier, candidats à des stratégies de dépistage et/ou de prévention ciblées.