La déclaration de Rabat : à lire et approuver !
Jean-Claude Barbare
Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation, CHU Nord, Place Victor Pauchet, F-80054 Amiens cedex 1
barbare.jeanclaude@chu-amiens.fr
Il y a actuellement en France, comme dans les autres pays occidentaux, une mobilisation contre le carcinome hépatocellulaire (CHC) en raison de publications suggérant une forte augmentation d’incidence ces vingt dernières années, de la disponibilité de traitements à visée curative, notamment la transplantation, et de la brèche ouverte de façon spectaculaire par le Sorafenib, premier traitement systémique ayant une efficacité démontrée pour les CHC évolués. Cette mobilisation prend la forme de nombreux essais thérapeutiques, de la disponibilité de moyens financiers d’origine industrielle, de l’implication des agences nationales, l’INCa ayant lancé en 2008 un appel à projet spécifique CHC qui devrait permettre de financer d’importantes études épidémiologiques et d’améliorer les connaissances sur la carcinogenèse et le ciblage thérapeutique.
Et l’Afrique dans tout cela ? Trois constatations :
- Il y a, sur ce continent, la grande majorité des CHC développés dans le monde (à l’échelle duquel le CHC est, en termes de fréquence et de mortalité par cancer, aux 5e et 3e rangs).
- Les causes principales d’hépatopathies, c’est-à-dire les causes potentielles de CHC, sont évitables : à moyens techniques et financiers équivalents, les virus sont plus « évitables » ou « curables » que l’alcoolisation excessive ou le syndrome métabolique qui dominent l’étiologie du CHC en France.
- Ce continent est beaucoup moins bien pourvu en moyens financiers et en organisations que l’Occident pour se prémunir et se défendre contre le CHC.
Il faut donc lire, soutenir, relayer la déclaration de Rabat ; un panel d’experts reconnus dans les domaines des hépatites virales et du CHC, internationaux et africains, rappelle des évidences fortes et, surtout, formule des recommandations pour un plan d’action destiné à être endossé, principalement, par les hauts responsables politiques et les autorités de Santé. Après cet affichage des grands principes qui était nécessaire, il faut sans doute être attentif aux retombées pratiques, c’est-à-dire recenser et évaluer les actions qui ont certainement (?) été entreprises.
Déclaration de Rabat : « l’Afrique se mobilise contre l’hépatite virale et le carcinome hépatocellulaire » (2 février 2008)
Préambule
Le carcinome hépatocellulaire (CHC), également appelé « cancer primitif du foie », est le 5e cancer le plus fréquent, et représente la 3e cause de décès par cancer dans le monde.
Contrairement à de nombreux autres cancers, l’incidence et le taux de mortalité liés au CHC sont en augmentation en raison d’une prévalence accrue des hépatites virales B et C.
Sa répartition est loin d’être uniforme avec plus de 80 % des cas de CHC retrouvés en Afrique sub-saharienne, dans le Sud-est asiatique et les pays méditerranéens orientaux où les taux d’infection chronique par le virus de l’hépatite B sont de l’ordre de 8 à plus de 20 %. On estime que plus de 60 % de la population sera atteinte à un moment ou à un autre de la vie, sachant que 45 % de la population mondiale vit dans ces zones géographiques. L’hépatite B multiplie par 100 le risque de développer un CHC, le rôle du tabac seul étant secondaire parmi les facteurs carcinogènes reconnus. À l’inverse, en Afrique du Nord, l’infection par le virus de l’hépatite C est responsable de 75 à 100 % des cas de CHC. Les facteurs de risque additionnels de CHC incluent la surcharge en fer, l’exposition à l’aflatoxine B1, carcinogène environnemental qui est un problème particulier à l’Afrique. La coïnfection fréquente par le VIH augmente également le taux de progression vers la cirrhose et le CHC. Les virus de l’hépatite B et C sont véhiculés par le sang et les fluides corporels. La transmission, surtout de l’hépatite B, se fait principalement durant les cinq premières années de la vie par contact maternel ou social via des coupures, des lésions de la peau, des morsures et égratignures (transmission horizontale). Le virus peut également passer de la mère infectée à l’enfant lors de la naissance, par contamination sanguine (transmission périnatale).
Cette infection, au cours de la prime enfance, évolue vers une infection chronique chez 95 % des sujets exposés. L’hépatite aiguë est rare, et la plupart des infections sont asymptomatiques, ce qui accroît les risques de transmission par manque de précautions. Les personnes infectées plus tard dans leur vie le sont, généralement, à la suite de rapports sexuels non protégés, d’injections inutiles, d’injections avec des aiguilles ou seringues non stérilisées, de tatouage ou autres pratiques de scarification.
Un vaccin sûr et efficace de prévention contre l’hépatite B est disponible depuis 1982.
L’hépatite B pourrait être éliminée par la mise en place d’une vaccination universelle.
L’autre bénéfice majeur de cette vaccination serait également d’éliminer ainsi la principale cause de CHC. Le vaccin contre le virus de l’hépatite B est le premier véritable vaccin anti-cancer existant depuis plus de 25 ans maintenant. Le succès des programmes de vaccination contre l’hépatite B est bien documenté dans les zones fortement endémiques telles que Taïwan et la Gambie où la prévalence de l’infection chronique à l’hépatite B, chez les enfants, est passée de 10 à 1,1 et 0,6 % respectivement, dans ces deux pays, après l’introduction d’une vaccination systématique des enfants.
La GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization) et la Vaccine Fund ont levé des subventions pour permettre, sur une période de 5 ans (entre 2000 et 2005), la promotion de nouveaux vaccins ou de vaccins sous-utilisés incluant ceux contre l’hépatite B. Dès avril 2005, 158 des 192 états membres de l’Organisation Mondiale pour la Santé avaient adopté la vaccination systématique contre l’hépatite B des nouveau-nés et des enfants.
Forte du succès de la phase I de son programme, la GAVI a étendu son action aux 72 pays les plus pauvres dans le cadre de la phase II (2006-2015). En 2006, 16 des 52 pays d’Afrique n’avaient toujours pas instauré de programme de vaccination, et 6 programmes de vaccination étaient en place depuis 3 ans ou moins. Les pays ayant reçu une aide de la GAVI doivent, petit à petit, cofinancer les programmes de vaccination et parvenir à prendre en charge la totalité de cette mesure au terme du plan d’aide, de manière à éviter la réintroduction du virus comme ce fut le cas, par exemple, au nord du Niger pour le virus de la polio lors de l’arrêt du programme de vaccination.
Les signataires de cette déclaration en appellent à toutes les nations africaines pour qu’elles reconnaissent les virus de l’hépatite B et C de même que le carcinome hépatocellulaire comme problèmes majeurs de santé publique. Nous conseillons vivement aux gouvernants et aux autorités de Santé de ces pays d’accorder, à ces maladies, une priorité égale à celle des trois maladies infectieuses considérées actuellement comme majeures que sont le VIH, la malaria et la tuberculose résistant au traitement médical, et de développer un plan d’action visant à éradiquer, sur ce continent, ces maladies qu’il est maintenant possible d’éviter.
Les actions essentielles à entreprendre
La liste de secteurs fondamentaux qui suit, identifie les éléments nécessaires à un tel plan d’action :
Prévention
- Prise de conscience et éducation
Instances dirigeantes d’Afrique : les nations africaines doivent se fédérer pour développer une stratégie globale d’éradication des virus de l’hépatite B et C et de traitement rapide.
L’aide apportée par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Organisation Mondiale de Gastroentérologie, l’Association Africaine pour l’Étude des Maladies Hépatiques, l’Association Internationale pour l’Étude des Maladies Hépatiques, de même que les Sociétés Nationales de Gastro Entérologie doivent être parties prenantes pour faire prendre conscience de ce problème de Santé publique majeur tant au niveau de la population, que des professionnels de Santé et des instances gouvernementales officielles.
Des groupes de conseillers doivent travailler en collaboration avec les instances gouvernementales officielles pour développer la prise de conscience et la compréhension des mécanismes concourant à l’infection par l’hépatite virale, de façon à délivrer un message clair et cohérent partout où les individus ont accès à un système de Soins.
Les dirigeants des diverses communautés doivent s’engager à encourager toute stratégie visant au dépistage et au recours à une prévention appropriée ainsi qu’à des programmes de traitement. - Vaccination contre le virus de l’hépatite B
La vaccination contre l’hépatite B doit faire partie de chaque programme national de vaccination avec une première dose donnée, le plus tôt possible après la naissance (< 24 heures). Les enfants et les adolescents n’ayant pas encore été vaccinés, tous les personnels soignants et les adultes à risque doivent recevoir le vaccin complet. - Sécurité de l’injection
Les gouvernements doivent promulguer des décrets visant à assurer le respect de la sécurité et l’utilisation appropriée des injections et à imposer que tout produit sanguin, destiné à la transfusion humaine, soit soumis à un dépistage des virus de l’hépatite B, C et du VIH.
Surveillance
- Surveillance au niveau de l’Afrique
Priorité doit être donnée pour accorder les fonds destinés à déterminer les données épidémiologiques de l’infection par l’hépatite B, C et le CHC.
Dépistage
- Dépistage de l’hépatite B et C
Le dépistage de l’hépatite B et C doit être rendu accessible dans tous les centres communautaires et de santé, en particulier pour les groupes à risque. - Dépistage du CHC
La détection précoce du CHC, en particulier un dosage sanguin de l’alfa-foeto-protéine associé à une échographie du foie tous les six mois pour les patients atteints de cirrhose.
Détection et traitement
- Formation
Une formation doit être dispensée auprès des professionnels de santé en matière de prévention et de contrôle de l’hépatite virale B et C et du CHC. - Traitement
Des traitements efficaces doivent être mis à disposition pour soigner une proportion significative de patients atteints de l’hépatite C et même pour prendre en charge les patients porteurs d’un petit CHC.
Ressources
Des ressources supplémentaires doivent être recherchées pour franchir les barrières financières permettant, ainsi, l’accès à la prévention et aux soins.
Conclusion
Ce document présente une série de recommandations à prendre en compte pour obtenir une réduction rapide dans les années à venir du véritable fléau que représentent, sur le continent africain, l’hépatite B, l’hépatite C et le carcinome hépatocellulaire.
Une vaccination universelle contre l’hépatite B de tous les enfants et adolescents, des personnels médicaux et des personnes à risque doit être instaurée. Des fonds durables doivent être assurés pour garantir la vaccination universelle contre l’hépatite B et une prise en charge appropriée des personnes déjà atteintes d’hépatites virales B, C ou de CHC.
Propositions formulées par Douglas R. LaBrecque (Iowa city, USA), Michael Manns (Hannover, Germany, Jean-Marie Dangou (Brazzaville, Congo).
Des amendements ont été proposés par R. Al Zayadi (Le Caire, Égypte), Ralph Kirsch et Micahel Kew (Johannesburg, RSA) et Michael Voigt (Iowa city, USA).
Ce document a été approuvé par le panel d’experts présidé par Douglas LaBrecque et R. Al Zayadi composé de Naïma Amrani (Rabat, Maroc), Hocine Asselah (Alger, Algérie), Jacques Belghiti (Paris, France), Rofl Hultcrantz (Stockholm, Suède), Valérie Paradis (Paris, France) et les participants du 1er congrès africain et des pays du Moyen-Orient qui s’est tenu à Rabat, le 2 février 2008.