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Conférences Thématiques
12 mars 2010
Digestif
Jean-Claude BARBARE

Critères du diagnostic du carcinome hépatocellulaire en 2009

Jean-Claude BARBARE
Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation, CHU Nord, Place Victor Pauchet, F-80054 Amiens cedex 1
barbare.jeanclaude@chu-amiens.fr

 

Résumé

Le diagnostic et l’évaluation pré thérapeutique du carcinome hépatocellulaire (CHC) sont conditionnés par l’existence, quasiconstante, d’une hépatopathie sévère sous-jacente. L’équipe de Barcelone a développé des critères de diagnostic non invasifs. Cependant, leur application systématique et non rigoureuse ferait courir le risque d’erreurs diagnostiques et pénaliserait la recherche. Le diagnostic de CHC nécessite donc, chaque fois que possible, une preuve histologique. A défaut, les caractéristiques en imagerie de la tumeur (scanner et/ou IRM), dans certains cas bien précis et avec des précautions techniques particulières, permettent le diagnostic de CHC. Le bilan pré thérapeutique comporte les évaluations de l’extension tumorale, de l’état anatomique et fonctionnel du foie non tumoral et de l’état général du malade.

Abstract

For hepatocellular carcinoma (HCC), diagnosis and staging depend on the underlying liver disease, which is very commonly associated with this tumour. The Barcelona team has recently developed non-invasive criteria for the diagnosis of HCC. However, their systematic and non meticulous use could lead to the risk of misdiagnosis and could penalize clinical research. Diagnosis of HCC must be biopsy proven, whenever possible. If required, the features of the tumour in imaging (CT and/or RMI), could lead to an acceptable diagnosis, under well-defined technical and clinical conditions. For the staging before treatment, assessment of the tumour spread, of the level of fibrosis and functional reserve of the underlying liver, and of the general status of the patient are all required.

 

Introduction

Cet article a pour but de faire le point sur les modalités actuelles du diagnostic de carcinome hépatocellulaire (CHC), de très loin le plus fréquent des cancers primitifs du foie. Le CHC est quasiment toujours développé sur un foie atteint d’hépatopathie chronique, qui est très majoritairement une cirrhose (cirrhose -90 %, fibrose -8 %, foie sain -2 %). De ce fait, le CHC n’est pas un cancer comme un autre : il n’y a pas de classification pronostique consensuelle, les modalités thérapeutiques diffèrent de celles de l’ensemble des tumeurs solides (les traitements classiques du cancer, chirurgie d’exérèse, radiothérapie et chimiothérapie ont peu ou pas de place dans l’arsenal thérapeutique) et c’est le seul cancer pour lequel il est possible de faire le diagnostic sans preuve histologique. Il existe en effet, probablement inspirés de la démarche hépatologique en faveur du diagnostic non invasif de cirrhose, des critères non invasifs du diagnostic de CHC, connus sous le nom de critères de Barcelone ; il convient de les connaître, mais aussi d’en savoir les limites. Il faut tenir compte des particularités du CHC, mais aussi respecter les « bonnes pratiques oncologiques » en termes de démarche diagnostique.

Devant une suspicion de cancer, les explorations, d’un point de vue pratique, ont pour but d’affirmer le diagnostic et de réaliser un bilan permettant de déterminer le traitement personnalisé le plus adapté, c’est-à-dire de discuter le cas du patient en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). C’est pourquoi cet article traite aussi des explorations pré thérapeutiques en cas de suspicion de CHC, en s’inspirant très largement des recommandations du Thésaurus National de Cancérologie Digestive [1].

 

La petite histoire des critères de Barcelone

Les critères diagnostiques dits « de Barcelone » se sont imposés dans les référentiels et au niveau international. A cela deux raisons principales : les référentiels classiques des cancers ont toujours été peu adaptés au CHC, en particulier en matière diagnostique (la biopsie est souvent difficile voire considérée comme dangereuse en raison des troubles de l’hémostase, de l’existence d’une ascite, du caractère hypervascularisé de la tumeur…), et l’équipe de Barcelone a une force de frappe considérable, tant la quantité et la qualité de ses travaux, le talent et l’inventivité de ses leaders, la logique et la rigueur de sa démarche en matière de recherche, sont reconnus.

Le principe de ces critères est la définition d’images typiques de CHC, fondées essentiellement sur le caractère hypervascularisé de la tumeur constaté au temps artériel d’un scanner et/ou d’une IRM, éventuellement associées à une élévation significative de la concentration sérique d’alphafoetoprotéine (AFP). Il faut d’emblée noter que ces critères ne sont applicables que lorsqu’on a la certitude de l’existence d’une cirrhose et que les modalités diagnostiques diffèrent en fonction du diamètre du nodule.

Tout est parti d’une conférence de l’European Association for the Study of the Liver (EASL) tenue en 2000 à Barcelone. Il s’agissait d’une réunion d’experts hépatologues européens. Leurs conclusions publiées en 2001 ont été considérées comme un consensus international [2]. Une étude prospective italienne parue en 2005 a d’une part, mis en évidence l’importance du lavage au temps portal (« wash-out »), et a, d’autre part, évalué les places respectives de la biopsie et des critères d’imagerie [3]. Fin 2005, est parue dans Hepatology une nouvelle version des recommandations, validées aussi par la communauté hépatologique nordaméricaine, connues sous le nom de « Recommandations de l’American Association for the Study of Liver Disease (AASLD) » ; elles sont depuis considérées comme « le » référentiel en matière de prise en charge du CHC [4]. En 2008, l’équipe de Barcelone a publié une étude prospective de validation des critères diagnostiques déterminés à propos de l’IRM et de l’échographie de contraste [5].

 

Une analyse critique de cette « histoire » conduit aux constatations suivantes :

1) Comme pour la classification pronostique de Barcelone, le niveau de preuve des recommandations initiales était faible parce qu’elles étaient fondées, faute de données de la littérature, essentiellement sur un consensus d’experts, qui plus est limité à la communauté hépatologique ;

2) Il s’agit seulement de la conduite à tenir devant la découverte d’un nodule suspect en cas de cirrhose, cas le plus fréquent, notamment pour les médecins prenant en charge les malades atteints de cirrhose, mais qui ne recouvre pas l’ensemble des circonstances lors desquelles le diagnostic de CHC est suspecté.

3) Ces recommandations ont notablement évolué et un risque d’imprécision existe dans leur interprétation avec par exemple :

  • dans quelles circonstances et pour quelle concentration l’AFP (400 μg/L dans la première version, 200 μg/L dans la seconde) joue-t-elle un rôle ? ;
  • variabilité de la conduite à tenir en fonction de la taille des nodules ;
  • choix du type et du nombre d’examens d’imagerie…

 

En fait, l’utilisation systématique et insuffisamment rigoureuse des critères de Barcelone comporte deux risque importants :

  • En premier lieu, celui d’erreur diagnostique ; certains considèrent que la validation prospective de ces critères est insuffisante ; d’autre part, les conditions d’application (cirrhose avérée, taille des nodules…) et surtout les conditions techniques et d’interprétation de l’imagerie sont très précises. Beaucoup d’équipes expertes ont à nouveau recours, chaque fois que c’est possible, à la biopsie après avoir constaté des « erreurs » diagnostiques, en particulier avec des cholangiocarcinomes ; on attend impatiemment les résultats de l’observatoire national de l’ANGH qui devraient éclairer ce sujet [6].
  • En second lieu, le recours non systématique à la biopsie risque de pénaliser la recherche : la caractérisation des tumeurs, notamment en termes de connaissance de la carcinogenèse, de facteurs prédictifs de récidive et demain d’efficacité des traitements, nécessite de disposer de fragments de tumeur pour le plus grand nombre possible de patients.

 

Bilan diagnostique

Le diagnostic de CHC est généralement envisagé après la découverte d’une lésion focale nodulaire hépatique en échographie, ou à l’occasion de symptômes en cas de tumeur évoluée.

Imagerie
Le scanner hélicoïdal et l’IRM, avec triple acquisition (artérielle, parenchymateuse et portale) sont les deux examens de référence ; le signe le plus évocateur de CHC est l’existence d’un nodule hypervascularisé au temps artériel précoce avec lavage tardif (« wash-out ») au temps portal [7] (Fig. 1 et 2). L’IRM semble avoir des performances un peu supérieures au scanner pour la détection et la caractérisation des nodules [8], permettant notamment de distinguer nodule de régénération et CHC. L’IRM est particulièrement utile lorsque le scanner n’apporte pas les éléments nécessaires au diagnostic. Chez un malade atteint de cirrhose, une lésion focale hypervascularisée mesurant plus de 2 cm de diamètre correspond presque toujours à un CHC [3]. L’utilisation de l’échographie de contraste est une alternative pour la mise en évidence de l’hypervascularisation, mais cette méthode reste peu diffusée, nécessite une expertise particulière et reste inférieure à TDM et IRM pour le bilan d’extension [5,9].

Histologie
La nécessité et la place de la biopsie dans la stratégie de prise en charge doivent être discutées en fonction de l’orientation thérapeutique. Lorsqu’une transplantation est envisagée, la biopsie peut être utile dans le bilan pré-greffe afin d’éviter de faux positifs (confusion diagnostique avec des tumeurs bénignes ou des nodules de régénération) [10] mais ne doit pas être faite avant d’avoir contacté le centre référent en raison du risque d’essaimage du trajet de ponction, évalué à 2,3 % dans une récente revue de la littérature [11]. La biopsie doit être faite à l’aiguille fine et au travers d’une épaisseur notable de parenchyme non tumoral et, surtout si une transplantation est envisagée, avec une protection du trajet pariétal [10]. En cas de traitement percutané, une biopsie par la même aiguille introductrice peut être faite lors de la première séance. En cas de nodule suspect inaccessible à la biopsie chez un malade atteint de cirrhose Child-Pugh A, une résection diagnostique et thérapeutique peut être discutée.

Il est essentiel d’analyser et de comparer des fragments de foie tumoral et non tumoral. Selon les recommandations de l’AASLD, les biopsies des nodules de petite taille doivent être examinées par des anatomopathologistes experts ; en cas de biopsie négative d’un nodule suspect, les malades doivent être suivis par échographie ou scanner tous les 3 à 6 mois jusqu’à ce que le nodule disparaisse, augmente de taille ou remplisse les critères du diagnostic de CHC ; si le nodule augmente de taille et reste d’aspect atypique, une nouvelle biopsie est recommandée [4].

 

Critères de diagnostic du CHC

Afin de respecter les bonnes pratiques oncologiques, compte tenu des limites et des risques éventuels des critères de Barcelone, et d’études suggérant une supériorité de la biopsie sur les critères non invasifs [12], le diagnostic de CHC doit a priori reposer sur une preuve histologique (et non pas cytologique) ; dans certaines circonstances, notamment lorsque la réalisation d’une biopsie est jugée difficile et/ou dangereuse, les critères non invasifs sont acceptables, sous réserve que des conditions techniques et d’interprétation rigoureuses soient respectées [1,4].

a) La référence est donc l’examen histologique d’un fragment tumoral obtenu par ponction dirigée sous échographie ou scanner.

b) L’alternative, en cas de nodule découvert chez un malade atteint de cirrhose, est constituée par les critères non-invasifs ; leur validité nécessite :

  • La certitude du diagnostic de cirrhose ;
  • Le respect de recommandations d’ordre technique concernant la réalisation des examens d’imagerie, tels que ceux décrits sur le site de la Société Française de Radiologie [13] ;
  • Que le diagnostic soit validé par une RCP spécialisée (c’est-àdire comportant au moins les compétences en hépatogastroentérologie/ hépatologie, radiologie interventionnelle, chirurgie hépatique, et oncologie).

 

Dans ces conditions, le diagnostic de CHC peut être retenu dans les cas suivants :

  • Nodule mesurant de 1 à 2 cm : scanner + IRM (ou éventuellement échographie de contraste) : Diagnostic de CHC en présence d’une image typique (hypervascularisée + wash-out) avec 2 méthodes d’imagerie ; dans les autres cas, biopsie.
  • Nodule > 2 cm : scanner ou IRM + AFP : Diagnostic de CHC en présence d’une image hypervascularisée associée soit à une image de wash-out soit à une AFP > 200 μg/L ; dans les autres cas, biopsie.

La présence de facteurs de risque de CHC (âge > 55 ans, sexe masculin, caractère évolué de la cirrhose), l’augmentation de la taille du nodule ou de l’AFP (en l’absence d’élévation importante des transaminases) lors d’un contrôle réalisé à court termeet la présence d’une obstruction portale ayant les caractères d’une thrombose tumorale (hypervascularisation et élargissement de la veine), sont également des arguments en faveur du diagnostic de CHC.

Certains CHC (formes infiltrantes, 10-15 % des cas) sont de diagnostic difficile en l’absence de lésion focale visible en imagerie et sont habituellement peu accessibles au traitement.

De même, le diagnostic peut être difficile en cas de nodule de diamètre ≤ 1 cm qui peut correspondre à un CHC, à une lésion bénigne ou peut même disparaître lors du suivi ; la réévaluation par imagerie 3 mois plus tard est ici recommandée.

 

Evaluation pré thérapeutique

Contrairement à toutes les autres tumeurs solides, pour lesquelles la décision thérapeutique est prise essentiellement en fonction de l’évaluation pronostique selon la classification TNM, il n’y a pas de classification consensuelle pour le CHC ; pour l’inclusion dans les essais thérapeutiques en situation palliative, il a été montré que la classification du CLIP était la plus performante [14]. En dehors des essais, la proposition thérapeutique doit être élaborée en RCP en fonction de trois critères, l’extension tumorale, l’état du foie non tumoral et l’état général du patient [1].

 

Bilan d’extension tumoral

Il comporte, outre l’examen clinique et l’AFP, scanner thoracoabdominal ou IRM abdominal + scanner thoracique (avec injection de produit de contraste) afin de préciser la morphologie tumorale (localisation, nombre et taille des lésions), la vascularisation portale et sus-hépatique, l’existence ou non de localisations ganglionnaires ou viscérales, et le retentissement éventuel sur les voies biliaires. Le scanner permet le calcul des volumes hépatiques. L’écho-Doppler peut permettre de préciser l’état du flux portal ou sus-hépatique. L’IRM peut être utile si le scanner ne permet pas de suffisamment caractériser le nodule ou l’extension tumorale. Aucun examen d’imagerie ne permet actuellement de détecter les CHC de très petite taille, fréquemment associés aux tumeurs visibles. Scanner cérébral et scintigraphie osseuse sont à effectuer seulement en cas de point d’appel clinique.

L’évaluation du foie non tumoral est essentielle

On y insiste, car selon « l’expérience de l’auteur », il semble fréquent qu’en RCP cet aspect soit encore insuffisamment documenté…

  • La nature histologique du foie non tumoral c’est-à-dire le niveau d’atteinte en termes de fibrose, doit être connue. Le diagnostic de cirrhose peut être facile sur des critères cliniques (ascite), biologiques (TP, plaquettes, albuminémie), endoscopiques (varices oesophagiennes), et/ou morphologiques (dysmorphie hépatique et signes d’hypertension portale en échographie ou scanner). Si le patient est asymptomatique, une biopsie du foie non tumoral est indispensable pour faire la preuve de la cirrhose. La biopsie peut aussi apporter des arguments en faveur du sevrage alcoolique. Des méthodes alternatives d’évaluation de la fibrose (Fibrotest®, Fibroscan®) ont été validées en cas d’hépatopathie associée à une infection par le virus de l’hépatite C ;
  • Il convient aussi d’effectuer le bilan étiologique de l’hépatopathie (les indications thérapeutiques peuvent dépendre de l’étiologie) ;
  • En cas de fibrose sévère (cirrhose ou score Metavir F3), il convient d’évaluer les conséquences de l’hépatopathie : bilan clinique, biologique (TP, albuminémie, bilirubinémie, ALAT/ ASAT), détermination du score de Child-Pugh, et recherche de signes d’hypertension portale (endoscopie, échographie Doppler) ;
  • En fonction du contexte, il convient aussi de rechercher des maladies extra-hépatiques associées, en particulier en cas de cirrhose alcoolique.

 

Bilan général

L’état général et d’activité doit être évalué (grade OMS) ; les comorbidités liées au terrain doivent être recherchées ; un bilan préopératoire en concertation avec l’anesthésiste (EFR, gazométrie, ECG, échocardiographie…) doit être effectué si la chirurgie est envisagée ; les contre-indications au sorafenib doivent être recherchées en cas d’orientation vers un traitement palliatif [15].

Les cancers épidémiologiquement liés à l’éventuelle intoxication alcoolo-tabagique doivent être recherchés, en particulier si une transplantation est envisagée.

Au terme du bilan, il est nécessaire :

  • d’avoir évalué l’état du foie non tumoral ;
  • d’avoir la certitude ou au moins une forte probabilité du diagnostic de CHC ;
  • d’avoir évalué l’extension tumorale et l’hypertension portale ;
  • d’avoir recherché des signes de mauvais pronostic (« agressivité de la tumeur »), c’est-à-dire une extension tumorale vasculaire locale, le caractère infiltrant de la tumeur, une AFP > 1 000 μg/L, ou une évolutivité rapide jugée sur l’imagerie et/ ou l’AFP.

 

Conclusion

Le CHC est un cancer particulier du fait de l’association quasi constante à une hépatopathie sévère ; les modalités du diagnostic doivent donc être adaptées à cette situation, l’état anatomique et fonctionnel du foie non tumoral étant au centre de la discussion préthérapeutique à part égale avec l’extension de la maladie tumorale.

Après un engouement en faveur des critères de diagnostic non invasif, compréhensible compte tenu des difficultés fréquentes de la réalisation de la biopsie, et aussi parce que dans la majorité des cas aucun traitement spécifique du cancer ne pouvait être proposé, il convient d’en revenir à une attitude plus classique en oncologie plaçant la preuve histologique comme référence du diagnostic de CHC, pour ne pas prendre le risque d’erreurs diagnostiques et ne pas pénaliser la recherche à l’heure où plusieurs options thérapeutiques, y compris à visée curative, peuvent être proposées aux malades. L’application éventuelle des critères non invasifs doit être rigoureuse.

Le diagnostic de CHC reste la plupart du temps facile, à l’aide de moyens simples ; cependant, sa détermination, comme celle de l’attitude thérapeutique la plus adaptée, reste une décision « pointue » nécessitant le recours systématique en RCP à des compétences spécialisées et complémentaires.