Cholangiocarcinome et photothérapie dynamique
Richard Delcenserie
Fédération Médico chirurgicale des pathologies digestives. Service de gastroentérologie. Place Victor Pauchet, F-80054 Amiens
delcenserie.richard@chu-amiens.fr
Résumé
Le cholangiocarcinome est un cancer de l’épithélium biliaire intraou extra-hépatique de mauvais pronostic. Le seul traitement potentiellement curatif ou tout du moins permettant des survies prolongées, en est chirurgical mais n’est envisageable que chez 20 % des patients soit en raison de l’inextirpabilité de la tumeur soit de l’inopérabilité du patient.
En situation palliative, l’intérêt de la radiothérapie reste à prouver mais la chimiothérapie vient de démontrer un bénéfice en termes de survie face aux soins palliatifs exclusifs.
En cas de cholangiocarcinome avancé, l’obtention d’un drainage biliaire efficace est l’objectif thérapeutique prioritaire, au mieux effectué par voie endoscopique.
Quatre études dont deux contrôlées randomisées montrent l’intérêt de la photothérapie dynamique associée à un drainage biliaire comparés à un drainage seul dans la prise en charge des cholangiocarcinomes hilaires non résécables avec une amélioration significative de la survie.
Abstract
Cholangiocarcinoma is a cancer of the biliary epithelium with bad prognosis arising either within the liver or in the extrahepatic bile duct. Surgical therapy offers the best potentially curative therapy of both intrahepatic and extrahepatic cholangiocarcinomas or at prolong survival.
Unfortunately, the majority of patients (80%) are found to be unresectable on presentation or not considered as surgical candidates due to comormidities or advanced age.
The efficacy of radiation therapy remains questionable showing very poor response but chemotherapy has just demonstrated benefits in terms of survival when compared to palliative treatment only. Successful palliation of biliary obstruction remains the main goal for reducing morbidity and mortality in those patients with unresectable disease.
Endoscopy (ERCP) with placement of biliary stents has become the standard to palliate jaundice with less morbidity and mortality than that associated with surgery.
Photodynamic therapy (PDT) is a minimally invasive therapy, involving the intravenous administration of a photosensitizing agent followed by its activation by using light illumination of a specific wavelength resulting in ischemic necrosis proportional to tissue oxygenation.
ERCP with PDT appears to improve survival compared with ERCP with biliary stenting alone in unresectable cholangiocarcinoma.
Le cholangiocarcinome (CC) est un cancer des voies biliaires soit intra-hépatique (CCIH) soit extra-hépatique (CCEH) distal ou péri-hilaire [1]. Le CCEH péri-hilaire encore appelé tumeur de Klatskin [2] est le plus fréquent des CC (70 % des cas) devant le CCEH distal (20 %) et le CCIH (5 %) dont l’incidence augmente. Ainsi, l’incidence des CCIH est passée de 1 à 3,3 pour 100 000 entre 1992 et 1998 dans l’étude de Mouzas et al. [3] et de 0,32 à 0,85 pour 100 000 dans l’étude autopsique de Okuda et al. [4]. L’incidence des CCEH est stationnaire. L’homme est atteint 1,5 fois plus souvent que la femme et les asiatiques 2 fois plus souvent que les blancs ou les noirs. Les facteurs de risque des CCEH sont la cholangite sclérosante primitive, les infestations parasitaires hépatiques, la lithiase intra-hépatique et les kystes cholédociens souvent associés à une anomalie de la jonction bilio-pancréatique [5].
Les CCEH péri-hilaires ou tumeurs de Klatskin sont classés en 4 types biliaires [6] (Fig. 1).
Le diagnostic histologique est primordial car certaines sténoses hilaires suspectes radiologiquement sont bénignes. Ainsi, Gerhards et al. [7] ont trouvé une sténose bénigne (cholangite sclérosante, tumeur granulomateuse) chez 15 % des 132 patients opérés pour une sténose d’allure néoplasique du hile dans leur étude.
Le diagnostic histologique est difficile à obtenir. Le brossage de la VBP ou les biopsies intra-canalaires au cours d’une cholangiographie rétrograde (CRE) ont une sensibilité respective de moins de 50 % et groupée de 63 % [5]. La ponction biopsie sous échoendoscopie a une meilleure sensibilité que le brossage et les biopsies, au cours d’une CRE [8]. Des marqueurs, biliaire ou sérique, sont proposés [9,10] et en cours d’évaluation. Aucun n’a actuellement d’intérêt diagnostique prouvé.
La cholangioscopie per orale utilisant le système Spyglass a une sensibilité de 62 %, une spécificité de 92 %, une valeur prédictive positive de 100 % et négative de 88 % [11] pour le diagnostic de cholangiocarcinome.
L’endomicroscopie confocale est actuellement testée pour le diagnostic des sténoses biliaires d’étiologie indéterminée [12].
Le bilan préopératoire doit comporter un bilan d’opérabilité du patient (en particulier nutritionnel, cardiaque et pulmonaire) et un bilan lésionnel locorégional tumoral biliaire et vasculaire (TDM hélicoïdal ou cholangio-IRM) et général (TDM thoracique, scintigraphie osseuse et TDM cérébral en cas de signes cliniques d’appel, tomographie par émission de positons (TEP) si résection chirurgicale envisagée). Si un geste d’exérèse hépatique est envisagé, une volumétrie hépatique est indispensable. Une coelioscopie première peut être utile pour éliminer une contre-indication d’exérèse (métastases péritonéales ou hépatiques) ou pour obtenir une histologie.
Les critères d’inextirpabilité sont soit liés au patient (cirrhose, pathologie médicale interdisant une chirurgie lourde), soit à la tumeur locale (atteinte de type IV, thrombose ou envahissement du tronc porte à sa bifurcation, atrophie d’un lobe hépatique avec thrombose ou envahissement de la branche portale controlatérale, atrophie d’un lobe hépatique avec atteinte biliaire controlatérale de 2 canaux, atteinte biliaire de 2 canaux d’un côté avec thrombose ou envahissement de la branche portale controlatérale) soit à son caractère métastatique (l’atteinte ganglionnaire peri-pancréatique, péri-duodénale, coeliaque, mésentérique supérieure est considérée comme un critère de non résécabilité alors que l’atteinte du cystique, les ganglions peri-cholédociens, hilaires ou portaux ne le sont pas [13,14]).
Le seul traitement potentiellement curatif, ou permettant tout du moins des survies prolongées, est chirurgical et la résection doit toujours être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire incluant le chirurgien, le radiologue, l’anesthésiste et l’hépatogastroentérologue. Une résection hépatique est souvent nécessaire et, si le volume hépatique à réséquer est important, une embolisation portale pré-chirurgicale pour hypertrophier le foie non réséqué peut être nécessaire. Le drainage biliaire préopératoire ne doit pas être systématique, mais réservé à des patients sélectionnés : angiocholite, prurit sévère, ictère intense et ancien.
Au moment du diagnostic, une intervention curative n’est cependant envisageable que chez 20 % des patients, tous stades et localisations confondus. La survie médiane après chirurgie est de 12 à 28 mois et la survie à 5 ans de 22 à 36 %. La transplantation hépatique a pu être envisagée, avec des survies très prolongées, chez des patients très sélectionnés [15].
Le traitement palliatif de l’ictère par drainage endoscopique ou radiologique permet, en général, une amélioration de l’état général et de la qualité de vie des patients [16].
La chimiothérapie n’avait pas fait la preuve de son efficacité sur la survie, lors d’un essai contrôlé randomisé regroupant des cancers pancréatiques et biliaires avancés (Glimelius, Ann Oncol 1996) ce qui vient d’être confirmé par un essai indien [17]. Un vaste essai de phase III randomisé britannique très convaincant apporte pour sa part que le standard de la chimiothérapie palliative dans cette situation est une association de sel 5-fluorouracile et d’un sel de platine [18]. La survie médiane est généralement inférieure à 10 mois avec la gemcitabine seule ou les associations 5FU-platine [19,20]. La gemcitabine, associée au cisplatine [21] ou à l’oxaliplatine [22] permet d’obtenir des survies médianes de 10 à 12 mois, au prix d’une toxicité supérieure. Des temps de survie de 14,5 mois ont été rapportés après drainage biliaire et radiothérapie chez des patients sélectionnés [23]. Une étude rétrospective comparant le drainage seul à un drainage associé à une radiothérapie n’a pas montré de différence de survie [24]. Une étude non randomisée a montré un gain de survie significatif lorsqu’une radiothérapie externe était associée à un drainage biliaire par prothèse expansible (10,6 vs 6,4 mois) [25].
Pour Khan et al., la chimiothérapie et la radiothérapie n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans le cholangiocarcinome, tant en situation adjuvante que palliative [26].
Malka et al. [27] ont rapporté les premiers résultats d’une étude de phase II (BINGO) comparant en première ligne GEMOX seul vs GEMOX et Cetuximab (anticorps anti-EGFR).
La survie sans progression chez 36 patients à 4 mois est de 61 % vs 44 % (S). La thérapie photodynamique (PDT) consiste en l’injection d’une substance photosensibilisante, qui se fixe préférentiellement dans les cellules tumorales [28] puis en l’excitation de cette substance par un faisceau lumineux de longueur d’onde spécifique pour le photosensibilisant, libérant une molécule d’oxygène entraînant une mort cellulaire.
Les photosensibilisants les plus employés sont ceux de première génération : l’hématoporphyrine dérivée, la dihématoporphyrine ether et le porfimère sodique (Photofrin®, Axcan Pharma) qui est le plus utilisé dans le monde. Leur coût est élevé et les effets secondaires dominés par la photosensibilisation cutanée perdurant 4 à 6 semaines après l’injection du porfimère sodique.
De nombreuses études non contrôlées non comparatives ont montré la faisabilité, l’innocuité et une survie encourageante du drainage biliaire avec PDT.
Quatre études dont deux contrôlées randomisées, montrent l’intérêt de la PDT dans le cholangiocarcinome inopérable [29-31] (Tableau 1) avec une augmentation significative de la survie.
La première par Ortner et al. [29] a inclus 39 cholangiocarcinomes non résécables après la mise en place réussie de prothèse(s) (c’est-à-dire lorsque la (les) prothèse(s) levai(en)t la sténose droite et gauche des canaux biliaires avec passage immédiat de bile ou de produit de contraste dans le duodénum) randomisés pour un traitement complémentaire par PDT ou non. Un drainage efficace était défini comme une baisse du taux de bilirubine de plus de 50 % dans les 7 jours suivant la mise en place de prothèse. Dans cette étude, la réussite technique de la mise en place de prothèse n’était suivie d’un drainage efficace que dans 21 % des cas. De manière surprenante, après la première intervention endoscopique, la bilirubine ne baissait pas de manière significative dans les 2 groupes de patients au moment de la randomisation. Elle baissait par la suite uniquement dans le groupe ayant reçu une PDT. Un drainage inadéquat dans le groupe prothèse seule a est évoqué par les détracteurs de cet article expliquant la mauvaise survie.
Les auteurs argumentent ainsi :
- Dans la littérature, le drainage biliaire des cholangiocarcinomes de type III et IV n’est efficace selon sa définition (baisse de la bilirubine de 50 % en 7 jours) que dans 15 % des cas ;
- Si la définition du drainage efficace est plus large (baisse moins intense et moins rapide de la bilirubine), le taux de succès des drainages passe alors à 50 % ;
- La survie médiane du groupe prothèse seule, certes basse, est comparable à certaines études de la littérature, ce qui reflète aussi une grande diversité de patients inclus. Les patients de cette étude avaient un cholangiocarcinome avancé de plus de 3 cm visible au TDM ; 82 % avaient une tumeur de type IV et 33 % avaient des métastases hépatiques pulmonaires ou péritonéales.
L’autre étude contrôlée de Zoepf et al. [31] (utilisant un autre photosensibilisant : le Photosan®) a inclus 32 cholangiocarcinomes inopérables dont 31 de type IV biliaire avec, dans les 2 groupes, une baisse de la bilirubine après mise en place des prothèses. Ces prothèses étaient mises en place soit par voie endoscopique (n = 18) soit par voie transcutanée (n = 14) et changées au moins tous les 3 mois. La survie médiane dans le groupe prothèse seule était plus élevée que dans l’étude d’Ortner (7 mois contre 3 mois). Cette étude montre également une augmentation significative de la survie médiane dans le groupe prothèse et PDT comparée au groupe prothèse seule (21 mois vs 7 mois).
Cheon et al. [30] ont comparé de façon rétrospective 22 patients traités par voie endoscopique seule à 27 patients traités par drainage percutané et PDT et ont observé une augmentation significative de la survie médiane (288 j vs 558 jours) et à un an (28 % vs 52 %) dans le groupe PDT.
Khaleh et al. [32] ont également comparé rétrospectivement 29 patients ayant eu un drainage endoscopique seul entre 2001 et 2004 à 19 patients ayant eu un drainage endoscopique associé à une PDT à partir de 2004. Les sténoses biliaires étaient de type I à IV (25 % de type I ou II). Il existait dans les 2 groupes une baisse significative de la bilirubinémie. La survie moyenne était significativement augmentée dans le groupe PDT (7,4 vs 16,2 mois).
Le premier traitement du cholangiocarcinome inopérable est un drainage efficace n’entraînant pas d’angiocholite. Faut-il drainer le maximum de segments ou le minimum suffisant pour faire déjaunir le patient ? Faut-il drainer par voie endoscopique ou transcutanée ? Faut-il illuminer le maximum de voies biliaires sténosées ? Faut-il répéter la PDT ?
Ortner et al. [29] mettent en place les prothèses par voie endoscopique chez 95 % de leurs patients. Le traitement par PDT comporte un nombre moyen d’illuminations par patient de 5,3 et une durée de traitement endoscopique qui va de 40 à 180 minutes. Le nombre moyen de séances de PDT est de 2,4 (1 à 50 séances).
Zoepf et al. [31] préconisent, quant à eux, un drainage bilatéral mais ne le réalisent que chez 50 % de leurs patients. La PDT n’est donc appliquée chez 50 % de ces patients que de façon unilatérale. Neuf patients ont eu une seconde séance de PDT dans leur étude et un patient a eu 3 séances.
Notre opinion est un traitement initialement endoscopique pour les sténoses de type I à III, au mieux défini par la bili-IRM, en n’opacifiant que les voies biliaires drainables (montée première du canulotome dans ces voies biliaires avant opacification). En cas d’échec du traitement endoscopique, la voie transcutanée est proposée. Si la sténose biliaire est de type I, l’ensemble des voies biliaires est drainé par une ou deux prothèses plastiques, en cas de type II, deux prothèses (une à droite et une à gauche) sont mises en place ; en cas de type III, un drainage est réalisé de façon controlatérale à l’atteinte tumorale (à droite en cas de type III gauche et à gauche en cas de type III droit).
La sténose de type IV pose des problèmes plus difficiles avec un risque élevé d’angiocholite post-CPRE. Dans les études d’Ortner et al. [29] et de Zoepf et al. [31] qui incluaient surtout des sténoses de type IV, les patients recevaient une antibioprophylaxie par quinolone pendant 14 jours. Huit patients de l’étude d’Ortner et al. qui privilégiait la voie endoscopique, sont morts d’angiocholite dont 6 dans le groupe drainage seul. Des complications infectieuses sévères sont survenues chez 5 patients de l’étude de Zoepf et al. [31] dont 4 dans le groupe PDT. Une confrontation endoscopiste-radiologue autour de la bili-IRM pour choisir la voie d’abord biliaire des sténoses de type IV apparaît justifiée.
Une étude [33] a montré une équivalence de survie entre un traitement chirurgical non optimal (résection de type R1/R2) (12,2 mois) et un traitement par drainage endoscopique associé à une PDT (12 mois) (Tableau 2).
Le mode d’action de la PDT est discuté et ne se limite peut-être pas à une simple destruction tumorale ou à une augmentation du nombre de cholangiographies rétrogrades [34].
Conclusion
La prise en charge d’un cholangiocarcinome nécessite une concertation hépatogastroentérologique, chirurgicale et radiologique.
Le seul traitement potentiellement curatif est actuellement la résection chirurgicale.
L’inextirpabilité de la tumeur est maintenant mieux précisée grâce à l’amélioration de l’imagerie (TDM, IRM, TEP). Une embolisation portale préalable autorise des résections hépatiques majeures et une coelioscopie première évite des laparotomies inutiles.
Chez les patients inopérables ou ayant une tumeur non résécable, la photothérapie dynamique apparaît, au regard de la littérature, comme une option thérapeutique de choix, seule ou associée à la chimiothérapie, mais dont l’intérêt nécessite d’être évalué de manière plus approfondie à l’avenir dans des études de phase III contrôlées randomisées de plus grande envergure.