Cancer de l’estomac : prise en charge chirurgicale
Gastric Cancer Surgery
Nicolas Briez1, Aurélien Dupré2, Guillaume Piessen1, Michel Rivoire2, Christophe Mariette1
1. Hôpital Claude Huriez, CHRU, Service de Chirurgie Digestive et Générale, Place de Verdun, F-59037 Lille Cedex
2. Centre Léon Bérard, Département de Chirurgie, 28, rue Laennec, F-69008 Lyon
christophe.mariette@chru-lille.fr
Résumé
Le cancer de l’estomac est l’une des principales causes de mortalité par cancer dans le monde. Même si des progrès dans les traitements non chirurgicaux ont été réalisés, avec l’avènement de la chimiothérapie périopératoire, la chirurgie reste au centre de la prise en charge de ces tumeurs, représentant la seule option curative à l’heure actuelle, si une résection complète dite « R0 » peut être obtenue. Des recommandations ont ainsi été émises par la Société Française de Chirurgie Digestive (SFCD) et l’Association de Chirurgie Hépato-Biliaire et Transplantation (ACHBT), recommandations labellisées par l’Institut National du Cancer (INCa).
Le but de cet article est de discuter de l’étendue de la résection digestive et du curage ganglionnaire ainsi que de la technique de reconstruction digestive à effectuer, et de préciser la place de la chimiohyperthermie intrapéritonéale et de la chirurgie palliative dans la prise en charge des adénocarcinomes gastriques.
Abstract
Gastric cancer remains one of the leading causes of cancer death worldwide. Currently, although recently patients appear to benefit from perioperative chemotherapy, surgery is the only potentially curative treatment for gastric adenocarcinoma, if complete resection can be achieved.
The SFCD-ACHBT has recently published surgical guidelines, approved by the National Institute of Cancer. The aim of this review was to discuss the extent of digestive resection, the extent of lymphadenectomy, the technique of reconstruction after gastrectomy, the role of hyperthermic intraperitoneal chemotherapy and of palliative surgery.
Introduction
L’adénocarcinome de l’estomac, 2e cancer digestif en France en termes d’incidence, avec 7000 nouveaux cas par an, reste un cancer de mauvais pronostic, responsable d’environ 5000 décès annuels. La survie globale, fonction du stade de la tumeur, est de 10 à 15 % à 5 ans [1].
L’adénocarcinome gastrique correspond aux tumeurs gastriques et celles de la jonction oesogastrique développées à plus de 2 centimètres de celle-ci (correspondant au type III de Siewert) [2].
La chimiothérapie périopératoire, devenue le traitement de référence de ces tumeurs, a permis une amélioration du pronostic, mais la chirurgie reste au centre de la prise en charge. La qualité de cette prise en charge chirurgicale est actuellement bien codifiée, et a fait récemment l’objet de recommandations de la Société Française de Chirurgie Digestive (SFCD) et de l’Association de Chirurgie Hépato-Biliaire et de Transplantation (ACHBT), labellisées par l’Institut National du Cancer (INCa) et la Haute Autorité de Santé (HAS) [3]. Le but de cet article est de rapporter les règles carcinologiques dans la chirurgie gastrique, y compris la place de la chimiothérapie intrapéritonéale et de la chirurgie palliative.
Étendue de la résection digestive
Résection R0
La prise en charge chirurgicale des cancers gastriques repose, comme pour la plupart des cancers, sur l’obtention d’une résection R0, c’est-à-dire macroscopiquement et microscopiquement complète. Une résection R1, avec envahissement microscopique des marges de résection est associée à une diminution de 50 % de survie [4-8]. L’obtention d’une résection R0 est liée à l’étendue de la gastrectomie (dépendant elle-même des marges de sécurité à respecter selon le type histologique), à l’examen extemporané des tranches de section, et à l’élargissement de l’exérèse aux organes de voisinage.
Il est recommandé, pour les adénocarcinomes gastriques, une marge de sécurité supérieure de 5 à 6 cmet inférieure de 2 à 3 cm. Ces marges permettent d’obtenir le plus souvent une résection R0. Ces marges sont à étendre en cas d’adénocarcinome à cellules indépendantes, type histologique particulier composé de cellules indifférenciées en bague à chaton, dont l’extension longitudinale et le caractère infiltrant sont connus, à l’origine d’un taux élevé de résections non R0 [9]. Dans ce cas, mais également dans la situation où les marges de sécurité ne peuvent être respectées, une exérèse élargie est recommandée, au mieux guidée par l’examen extemporané des tranches de section.
Plus de la moitié des patients opérés d’un cancer gastrique présentent un envahissement des organes de voisinage [10]. Sept études de cohorte permettent d’évaluer la place de l’élargissement aux organes de voisinage [11-17]. La plus importante [12], issue d’une base de données prospective, ayant inclus 268 patients, a montré des taux de survie comparables en cas d’exérèse élargie dans le sous-groupe de patients ayant bénéficié d’une chirurgie R0. La plupart des études concluaient que les indications d’une résection en bloc élargie étaient l’envahissement d’un seul organe et un envahissement ganglionnaire ne dépassant pas le 2e relais (N2), à la condition qu’il ne s’agisse pas d’un cancer gastrique indifférencié ou en évolution métastatique.
Les recommandations sont donc d’étendre la résection aux organes de voisinage, en bloc, dans le cas où celle-ci permet d’atteindre l’objectif de la résection R0, en l’absence de métastases hépatiques ou péritonéales si la tumeur n’est pas de type indifférencié.
Résection gastrique
L’étendue de la résection gastrique dépend principalement de la localisation tumorale et des marges de sécurité. Il faut donc distinguer les cancers gastriques distaux des cancers gastriques proximaux.
Pour les cancers du corps de l’estomac, la gastrectomie totale est la règle afin d’obtenir une résection R0, avec respect des marges de sécurité minimales.
Pour les cancers distaux, c’est-à-dire dont le pôle supérieur est situé à plus de 6 cm de la jonction oesogastrique, deux essais randomisés ont montré l’absence de supériorité de la gastrectomie totale sur la gastrectomie distale des 4/5 en termes de survie, avec une morbi-mortalité postopératoire comparable [18,19]. Par ailleurs, la gastrectomie distale était associée à une meilleure qualité de vie en raison de signes d’intolérance digestive moindres [20,21]. Cette gastrectomie distale doit être réalisée de la petite courbure à la terminaison de l’arcade gastroépiploïque sur la grande courbure. Concernant la marge inférieure, il n’est pas nécessaire d’élargir l’exérèse au duodénum, le pylore agissant comme barrière mécanique à la progression tumorale dans les adénocarcinomes gastriques.
Dans le cas spécifique des adénocarcinomes à cellules indépendantes, le développement longitudinal et son caractère infiltrant imposent la réalisation d’une gastrectomie totale, y compris pour les tumeurs distales, avec élargissement au duodénum fréquent, le pylore ne constituant pas une barrière efficace dans ce type histologique particulier [9].
Pour les cancers proximaux, une première étude non randomisée portant sur de faibles effectifs avait suggéré qu’une gastrectomie proximale pouvait être préférable à une gastrectomie totale [22].
Une étude plus récente, non randomisée, mais portant sur plus de 100 patients, est venue contredire ces résultats, montrant des taux de récidive significativement supérieurs en cas de gastrectomie proximale, notamment en raison de marges de résection insuffisantes, avec une morbidité postopératoire également supérieure et une qualité de vie inférieure [23]. Il est donc recommandé, en cas de cancer proximal, de réaliser une gastrectomie totale, aussi bien pour des raisons carcinologiques que de qualité de vie postopératoire.
Concernant le cas spécifique des adénocarcinomes de la jonction oesogastrique de type III de Siewert, c’est-à-dire dont le centre tumoral est situé entre 2 et 5 cm sous la ligne Z, ceux-ci doivent être considérés comme des adénocarcinomes gastriques, avec réalisation d’une gastrectomie totale, mais avec une exérèse remontant sur l’oesophage dont la marge supérieure recommandée est d’au moins 5 cm en peropératoire [24-26].
Étendue du curage ganglionnaire
L’envahissement ganglionnaire est le principal facteur pronostique de l’adénocarcinome gastrique après résection complète, la survie à 5 ans étant de 70 % en l’absence d’envahissement ganglionnaire, de 30 % en cas d’envahissement des ganglions périgastriques et de 5 % pour les ganglions régionaux [27-30]. Les travaux japonais notamment ont permis de définir des règles générales concernant le curage ganglionnaire à effectuer (Japanese Research Society for Gastric Cancer) [31].
Les groupes ganglionnaires
Seize groupes ganglionnaires gastriques ont été individualisés [32]. Les groupes 1 à 6, représentant les ganglions périgastriques, correspondent au premier relais (N1) ; les groupes 7 à 11 au deuxième relais (N2) ; et les groupes 12 à 16 au troisième relais (N3) (Fig. 1).
Trois niveaux de dissection ganglionnaire, appelés « D1, D2 et D3 » ont ainsi été définis, correspondant aux trois relais ganglionnaires décrits ci-dessus mais dépendant également de la localisation tumorale. Ainsi, en cas de gastrectomie polaire supérieure, le curage D1 correspond aux groupes 1 à 4, le curage D2 aux groupes 1 à 4 et 7 à 11. En cas de gastrectomie distale, le curage D1 correspond aux groupes 3 à 6, le curage D2 aux groupes 3 à 9. Enfin, en cas de gastrectomie totale, le curage D1 correspond aux groupes 1 à 6, le curage D2 aux groupes 1 à 11. Le curage D3 correspond toujours à l’exérèse des groupes 12 à 16, en plus de ceux du curage D2 correspondant à chaque localisation tumorale.
Figure 1. Schéma du drainage lymphatique de l’estomac
Première région : groupe 1 : para-cardial droit ; groupe 2 : para-cardial gauche ; groupe 3 : petite courbure gastrique ; groupe 4 : grande courbure gastrique ; groupe 5 : artère pylorique ; groupe 6 : artère gastro-épiploïque droite
Deuxième région : groupe 7 : artère coronaire stomachique ; groupe 8 : artère hépatique commune ;
groupe 9 : tronc coeliaque droit et gauche ; groupe 10 : hile splénique ; groupe 11 : artère splénique
Troisième région : groupe 12 : pédicule hépatique ; groupe 13 : pré et rétropancréatique ;
groupe 14 : artère mésentérique supérieure ; groupe 15 : artère colicamédia ; groupe 16 : latéro-aortiques droit et gauche
Crédit photographique : ELSEVIER MASSON SAS – 62, rue Camille Desmoulins, F-92130 Issy les Moulineaux : Cancérologie digestive : pratiques chirurgicales. Journal de Chirurgie 2009 May;146(Suppl.2):S11-S80. Commission d’évaluation de la SFCD.
BRIEZ N, MARIETTE C. Gastrectomie totale pour cancer par laparotomie et rétablissement de continuité par anse en Y. Journal de Chirurgie 2008 March;145(2):147-52
L’étendue du curage ganglionnaire
Les différents types de curage ganglionnaire D1, D2 et D3 ont été comparés dans des essais contrôlés en termes de morbi-mortalité, de récidive et de survie. Il est nécessaire de réaliser l’exérèse d’au moins 15 ganglions pour un curage D1 [25,26,33-35], et 25 pour un curage D2 [25,26,36] afin de pouvoir affirmer le caractère N0 de la tumeur [37-40].
Deux essais multicentriques occidentaux ont comparé le curage D1 au curage D2 [41-44], repris dans une méta-analyse de la Cochrane [45]. Le curage D2 augmentait la morbidité et la mortalité postopératoires comparativement au curage D1, avec une mortalité postopératoire multipliée par 3. Il n’existait pas de bénéfice sur la survie du curage D2 sur le curage D1 dans ces études, mais c’est essentiellement la mortalité postopératoire qui pénalisait la survie dans les deux études. En effet, les résultats à 15 ans de l’essai hollandais étaient en faveur du curage D2, permettant de diminuer de manière significative les récidives locorégionales et les décès par cancer, comparativement au curage D1, en dépit de l’augmentation de la morbi-mortalité postopératoire [46].
Un essai randomisé asiatique monocentrique, réalisé dans un centre expert [47,48], a comparé le curage D1 au curage D3, avec réalisation d’une splénopancréatectomie caudale de principe en cas de gastrectomie totale. Le curage D3 réalisé dans cette étude ne comprenait pas la totalité des groupes 12 à 16, en faisant plus un curage D2 étendu. La morbidité postopératoire était supérieure en cas de curage D3, mais avec une mortalité postopératoire nulle, identique dans les deux groupes. Dans cette étude, la survie était significativement plus élevée en cas de curage D3 par rapport au curage D1, suggérant l’intérêt de l’extension du curage. Cependant, une étude ainsi qu’une méta-analyse récentes n’ont pas retrouvé de bénéfice au curage D3 comparativement au curage D2 en termes de morbi-mortalité et de survie [49,50].
L’absence d’augmentation de survie en cas de curage étendu par rapport au curage D1 semble liée à la réalisation de la splénopancréatectomie caudale intégrée au curage D2, responsable d’une augmentation de la morbidité et de la mortalité postopératoires.
Dans trois essais [51-53], l’exérèse de la queue du pancréas était le facteur indépendant le plus important associé à la survenue de complications postopératoires. Les résultats de l’essai hollandais à 10 ans ont confirmé ces données, avec des taux de survie supérieurs après curage D2 sans splénopancréatectomie comparativement au curage D1 [54]. Deux essais randomisés ont évalué spécifiquement l’influence de la splénectomie de principe sur la morbi-mortalité postopératoire et sur la survie en cas de curage ganglionnaire de type D2 [55,56], ayant fait l’objet d’une métaanalyse [57]. La morbi-mortalité était équivalente qu’il y ait ou non une splénectomie. Le nombre de ganglions prélevés était identique dans les 2 groupes, avec des taux de survie à 5 ans identiques dans les 2 groupes.
Au total, les données de la littérature permettent de recommander la réalisation d’un curage D2 sans splénopancréatectomie caudale, devant emporter au minimum 25 ganglions afin d’obtenir un staging ganglionnaire suffisant. La réalisation d’une splénopancréatectomie caudale de principe n’est donc pas recommandée.
Rétablissement de la continuité digestive
Le rétablissement de la continuité digestive dépend essentiellement du geste de résection réalisée. Plusieurs options sont cependant discutables.
Après gastrectomie distale
Après gastrectomie des 4/5, la continuité digestive peut être rétablie en réalisant une anastomose gastroduodénale (Billroth I), une anastomose gastro-jéjunale termino-latérale sur une anse en oméga (Billroth II) ou une anastomose gastro-jéjunale sur anse en Y.
La reconstruction par anastomose gastroduodénale selon Billroth I est la seule à rétablir un circuit digestif physiologique. Elle garde de nos jours peu d’indications car la localisation même de l’anastomose rend une fistule à ce niveau particulièrement grave, retardant la réalimentation et aggravant la dénutrition. La reconstruction par anastomose gastro-jéjunale selon Billroth II ou sur anse montée en Y selon Roux est, quant à elle, quasiment toujours réalisable et fistulise rarement [58].
Deux études ayant comparé les reconstructions selon Billroth I et selon Billroth II ont montré une morbidité moindre en cas de montage de Billroth II, sans différence significative en termes de survie et de résultats fonctionnels [59,60]. Cependant, il était noté dans l’une des deux études un taux de récidive plus élevé au niveau du pédicule hépatique dans le groupe Billroth I, suggérant également un avantage en termes de résection carcinologique au montage Billroth II [59].
Sept études ont comparé l’anse en Y aux montages de Billroth I et Billroth II [60-65]. Plusieurs études rapportaient de façon concordante de meilleurs résultats fonctionnels [62,64] et endoscopiques [60-62,64,65] en termes de reflux duodénogastrique et duodéno-gastro-oesophagien en faveur de l’anse en Y, sans différence de morbidité postopératoire. L’étude la plus récente, ayant comparé l’anse en Y et le montage Billroth II avec le recul le plus important (12 à 21 ans), ne retrouvait pas de différence de morbidité postopératoire entre les 2 groupes, mais les résultats fonctionnels étaient très nettement en faveur de l’anse en Y [64].
Il est donc recommandé de rétablir la continuité digestive après gastrectomie distale en réalisant une anastomose gastro-jéjunale sur anse en Y. À défaut, le montage Billroth II semble devoir être préféré au Billroth I en termes de morbidité postopératoire afin de ne pas compromettre les marges carcinologiques.
Après gastrectomie totale
Après gastrectomie totale, la continuité digestive peut être rétablie par une anastomose oesojéjunale sur anse en Y (selon Roux), en utilisant une anse grêle interposée pédiculée avec ou sans réservoir.
La multitude de montages proposée suggère qu’aucun n’est totalement satisfaisant. Les études randomisées comparatives ayant évalué les bénéfices potentiels des différents montages en termes de qualité de vie sont peu nombreuses, ont comparé des montages souvent différents (mélange des techniques d’interposition et de réservoirs), avec des critères de jugements variables, de petits effectifs et des durées de suivi souvent courtes. La plupart des patients inclus dans ces essais étaient porteurs d’un cancer gastrique avancé ; or, la récidive tumorale constitue un événement majeur altérant la qualité de vie. Ce phénomène explique probablement, en partie, pourquoi la qualité de vie à long terme a finalement tendance à s’améliorer quel que soit le montage [66,67]. L’ensemble de ces éléments explique le faible niveau de preuve sur l’intérêt d’un type de rétablissement de continuité par rapport à un autre après gastrectomie totale.
L’anse montée en Y est de réalisation la plus rapide et la plus simple. Tout au plus, l’adjonction d’un réservoir à une anse montée en Y permettrait des prises alimentaires unitaires plus importantes qu’en l’absence de réservoir, notamment dans les premières années, mais sans avantage démontré sur la reprise pondérale des patients. Le bénéfice sur la qualité de vie à long terme est suggéré par plusieurs études et notamment la plus récente [68]. L’intérêt du réservoir iléocæcal serait identique, en permettant une prise alimentaire unitaire plus importante et en évitant le reflux biliaire grâce à la présence de la valvule iléocæcale [69]. Il a l’inconvénient d’ajouter une anastomose colique au geste opératoire. Toutefois, il n’existe pas d’études randomisées chez l’homme ayant évalué ce procédé.
La réalisation d’une anse en Y selon Roux, éventuellement associée à un réservoir, est donc certainement plus simple de réalisation, avec des résultats fonctionnels similaires aux autres montages, faisant recommander cette technique après gastrectomie totale.
Place de la laparoscopie
La laparoscopie a été introduite dans la prise en charge des cancers de l’estomac dans le but de diminuer la morbidité postopératoire, la durée de séjour et d’accélérer le retour à la vie active. Les premiers travaux sont issus de centres experts, notamment japonais. Une méta-analyse récente, ayant inclus 6 essais randomisés, a étudié la place de la laparoscopie dans la prise en charge des cancers de l’estomac relevant d’une gastrectomie distale, comparativement à la voie ouverte [70]. En cas d’abord mini-invasif, la morbidité postopératoire était inférieure, les pertes sanguines inférieures, la durée opératoire supérieure, mais le nombre de ganglions prélevés était inférieur comparativement à la voie ouverte. Les populations d’étude étaient principalement asiatiques, de faible effectif, avec des suivis courts, et comportaient des patients porteurs de petites tumeurs, expliquant probablement l’absence d’impact négatif sur la survie du curage réalisé, ces éléments pouvant limiter la transposition de ces résultats aux patients habituellement pris en charge en Occident. Par ailleurs, aucun essai randomisé n’a étudié l’impact de l’abord laparoscopique chez les patients devant bénéficier d’une gastrectomie totale pour cancer en termes de morbi-mortalité postopératoire et de survie.
Ainsi, malgré le nombre d’études sur le sujet, la place de la laparoscopie dans la prise en charge des cancers de l’estomac reste débattue et ne peut être recommandée en routine à ce jour.
Place de la chimio hyperthermie intrapéritonéale
La récidive locorégionale et la carcinose péritonéale sont des causes fréquentes d’échec du traitement des cancers de l’estomac. Cela a conduit à développer le concept de chimiothérapie périopératoire au cours des années 80 [71] et de mener les premières études pharmacologiques de chimiothérapie intrapéritonéale après résection gastrique à visée curative [72].
Développement de la chimiothérapie intrapéritonéale (CIP) et de la chimio hyperthermie intrapéritonéale (CHIP)
Les études ont été faites de manière quasi exclusive en Asie. En 1988, Koga et al. ont publié les résultats d’une étude avec contrôle historique et ceux d’une étude randomisée. Bien que de puissance insuffisante, cette étude montrait une survie globale à 3 ans plus importante dans le groupe gastrectomie plus CHIP comparé au groupe gastrectomie seul [73]. Par la suite, Fujimura et al. ont confirmé l’intérêt de la chimiothérapie périopératoire et le bénéfice probable de l’hyperthermie dans une étude randomisée utilisant la mitomycine C et le cisplatine [74]. Les études randomisées ultérieures étaient de puissance insuffisante pour confirmer l’amélioration de survie globale en rapport avec la CHIP. Elles montraient toutefois une réduction du taux de décès en rapport avec une récidive péritonéale [75]. À partir du milieu des années 90, les auteurs japonais se sont intéressés à la CHIP adjuvante à la chirurgie. Il existait une amélioration de survie à 5 ans dans le groupe des patients présentant une tumeur envahissant la séreuse (50 % dans le groupe chirurgie plus CHIP contre 30 % dans le groupe chirurgie seule) [76] ou dans le groupe des patients ayant un envahissement ganglionnaire [77], même si les différences n’étaient pas significatives, probablement en rapport avec un manque de puissance de ces études. Une étude ultérieure, randomisant 141 patients ayant un cancer gastrique avec une atteinte macroscopique de la séreuse, a montré un intérêt à la CHIP dans cette indication en termes de réduction du taux de récidive péritonéale [78].
La plus importante étude randomisée a testé l’intérêt de la CIP postopératoire précoce chez 248 patients opérés d’un cancer de l’estomac en Corée. Cette étude était négative pour les patients porteurs d’un cancer de l’estomac stade III bien qu’il existait une différence de survie globale à 5 ans en faveur du groupe expérimental (49 % versus 18 % ; p = 0,11) [79]. Une analyse ultérieure réalisée avec un suivi plus long mettait en évidence une amélioration significative de la survie pour le sous-groupe des patients ayant un cancer de l’estomac de stade III avec une atteinte de la séreuse (survie à 5 ans, 52 % versus 25 %) et pour le sous-groupe des patients ayant un cancer de l’estomac stade IV pour lequel toute la maladie avait pu être réséquée au moment de l’intervention (survie à 5 ans, 28 % versus 5 %) [80].
La seule étude randomisée ayant été menée sur une population occidentale a montré l’absence d’efficacité de la CIP différée d’un mois par rapport à la chirurgie du cancer de l’estomac [81]. Une des explications possibles est que la chirurgie gastrique favoriserait la dissémination péritonéale de cellules cancéreuses, en particulier chez les patients ayant un envahissement de la séreuse et/ou un envahissement ganglionnaire. La CIP ou la CHIP pourrait donc avoir un intérêt en situation adjuvante à condition d’être faite avant la survenue des adhérences postopératoires et avant la survenue du phénomène de colonisation en profondeur du péritoine par les cellules cancéreuses.
Morbidité de la CIP ou de la CHIP après chirurgie
Les progrès techniques et la meilleure prise en charge périopératoire des cancers de l’estomac ont permis de limiter la morbidité postopératoire. Les méthodes de chimiothérapie intrapéritonéale réalisées en postopératoire précoce s’accompagnent d’une augmentation de la morbidité globale (et en particulier du taux d’abcès intra abdominaux et du taux d’hémorragie) et de la mortalité postopératoire [82].
La morbidité associée à une chirurgie de cytoréduction suivie d’une CHIP se situe entre 25 et 41% [83-85] avec un taux de fistule anastomotique qui varie entre 3 et 17 % [86], mais peu de données sont disponibles après gastrectomie.
Une étude rétrospective récente de 37 patients, ayant eu une gastrectomie associée à une CHIP (pouvant faire partie du traitement d’une carcinose d’une autre origine que gastrique), a retrouvé une morbidité postopératoire de 45 %, avec un taux de fistule anastomotique de 8,5 % mais sans complication anastomotique au niveau de l’estomac ou de l’oesophage, et une mortalité postopératoire nulle [87].
Une méta-analyse ayant porté sur l’utilisation de la CHIP en situation adjuvante, après gastrectomie pour cancer de l’estomac localement avancé non métastatique, a montré qu’elle n’augmentait pas la morbidité globale (notamment le taux de fistule anastomotique), ni la mortalité postopératoire mais était associée à une augmentation du taux d’abcès intra-abdominaux et de neutropénies [88].
Cependant, les résultats des principales séries de traitement des carcinoses péritonéales sont limités par les faibles effectifs de patients présentant un cancer de l’estomac, le taux de résection gastrique variant de 7 à 14 % [89-91].
Résultats de la CHIP
Il est nécessaire de distinguer deux situations, dans lesquelles la CHIP est utilisée en situation adjuvante à la chirurgie ou dans les cas de carcinose péritonéale macroscopique.
Quelques études permettent de faire une évaluation de l’intérêt de la CHIP en situation adjuvante. Elles sont peu nombreuses, ont des effectifs limités et sont hétérogènes en ce qui concerne les modalités de la chimiothérapie intrapéritonéale, la durée de l’exposition, les drogues utilisées et l’association avec une hyperthermie. Elles ont fait l’objet d’une méta-analyse [88] qui était en faveur d’une amélioration de la survie globale dans le groupe CHIP.
Ces résultats ne sont probablement pas extrapolables aux cancers gastriques avec carcinose péritonéale macroscopique dans la mesure où la chimiothérapie administrée par voie intrapéritonéale a une pénétration sur seulement 1 ou 2 millimètres, ce qui rend son utilisation discutable en cas de carcinose d’origine gastrique importante et diffuse. Par ailleurs, l’extension des cancers de l’estomac se fait aussi par voie lymphatique et hématogène, ce qui pousse à privilégier une chimiothérapie systémique. Le risque accru d’abcès intrapéritonéal postopératoire et de neutropénie doit également être pris en compte. Il n’y a par ailleurs aucune étude concernant la qualité de vie des patients après gastrectomie et CHIP. D’une manière générale, comme dans les autres indications de CHIP, le patient doit être informé de la possibilité d’une altération majeure de qualité de vie pour une durée de 3 à 6 mois, en fonction de l’étendue de la résection viscérale [92]. Finalement, il faut insister sur le fait que la majorité des études d’évaluation de la CIP ou de la CHIP ont été réalisées en Asie. Comme toujours en matière de cancer de l’estomac, il n’est pas certain que les résultats soient extrapolables aux pays occidentaux.
Indications de la CHIP dans les cancers de l’estomac en 2011
L’histoire naturelle des cancers de l’estomac montre que les récidives locorégionales et péritonéales sont une cause fréquente d’échec du traitement initial. Les données pharmacologiques sur la CIP sont en faveur d’une efficacité en cas de maladie résiduelle microscopique ou de carcinose limitée et résécable en totalité.
Les études de phases II et III, réalisées pour la plupart en Asie, sont hétérogènes en ce qui concerne les critères de sélection des patients, les drogues utilisées, les modalités d’administration intrapéritonéale et l’association avec une hyperthermie. Une méta-analyse récente suggère un effet positif de la CHIP adjuvante dans les cancers gastriques résécables qui atteignent la séreuse. Une telle attitude peut aussi être discutée pour des cancers de l’estomac avec une carcinose péritonéale péri gastrique, limitée, résécable en totalité. Dans les cas de cancers de l’estomac avec carcinose macroscopique importante et diffuse, l’absence de bénéfice démontré et l’augmentation de la morbidité postopératoire ne justifient pas la réalisation d’une chirurgie de cytoréduction associée à une CHIP. Des études multicentriques internationales sont en cours, principalement dans les cancers de l’estomac avec atteinte de la séreuse et/ou avec envahissement ganglionnaire, pour évaluer l’intérêt de la CHIP adjuvante en complément de la chimiothérapie périopératoire qui a fait la preuve de son efficacité pour les tumeurs non métastatiques.
Place de la chirurgie palliative
Cette situation concerne environ 25 % des patients [93]. Les critères de jugement à considérer sont dans ce cas la qualité de vie, la survie sans symptôme et la survie sans hospitalisation. Une étude prospective [13] a suggéré que la chirurgie palliative pouvait prolonger la médiane de survie, comparativement à l’abstention chirurgicale. Des études prospectives, plus récentes, ont montré que la mortalité hospitalière n’était pas aggravée par la chirurgie, contrairement à la morbidité et à la durée d’hospitalisation [13,15,94,95], ce d’autant que l’âge était supérieur à 70 ans et que plus d’un organe était atteint.
Les recommandations de la SFCD-ACHBT sont donc, en situation palliative, c’est-à-dire pour les patients présentant un cancer gastrique stade IV, de pouvoir envisager une gastrectomie après concertation pluridisciplinaire, chez des patients sélectionnés présentant une tumeur symptomatique et chez lesquels on retrouve au plus deux critères de gravité : âge dépassant 70 ans, métastases hépatiques, métastases ganglionnaires à distance, métastases péritonéales et résection R2. La dérivation gastro-jéjunale palliative doit donc être discutée dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire, l’autre alternative étant la prothèse endoscopique.
À retenir
- La prise en charge des cancers de l’estomac repose sur la chirurgie dont les critères de qualité ont été définis par la SFCD-ACHBT, labellisés par l’INCa-HAS [1].
- La résection R0 doit être l’objectif principal, nécessitant des marges de sécurité minimales et un élargissement aux organes de voisinage en cas d’envahissement.
- Les marges de sécurité sont de 5-6 cm au-dessus de la tumeur et 2-3 cm en dessous.
- Pour les tumeurs distales, une gastrectomie des 4/5 avec anastomose gastro-jéjunale sur anse en Y est recommandée.
- Pour les tumeurs du corps de l’estomac ou proximales, une gastrectomie totale avec anastomose oesojéjunale sur anse en Y est recommandée.
- Un curage de type D2 sans splénopancréatectomie caudale est recommandé.
- La CHIP est en cours d’évaluation en situation adjuvante pour les tumeurs avec atteinte de la séreuse ou en cas de carcinose localisée résécable en totalité.