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13 octobre 2011
Digestif
Rosine Guimbaud, Cécile Gandy, Olivier Bouché

Apport des thérapies ciblées dans le traitement des cancers de l’estomac avancés

Targeted therapies in the treatment of gastric cancer advanced

Rosine Guimbaud1, Cécile Gandy1, Olivier Bouché2
1. CHU Toulouse, Unité d’Oncologie Digestive, Hôpital Rangueil, 1, avenue du Professeur J. Poulhès, TSA 50032, F-Toulouse Cedex 9
2. CHU Reims, Service de Gastroentérologie et de Cancérologie Digestive, avenue du Général Koenig, F-51092 Reims Cedex Guimbaud.Rosine@claudiusregaud.fr

 

Résumé

Les cancers gastriques restent de mauvais pronostic avec une médiane de survie ne dépassant pas 1 an malgré les associations de chimiothérapies cytotoxiques. Ils bénéficient encore très peu de l’avènement des thérapies ciblées. À l’heure actuelle, seul le trastuzumab (anticorps anti-HER2) a obtenu une autorisation de mise sur le marché en 1re ligne métastatique ou avancée, en association avec le cisplatine et du 5FU (ou ses analogues) après avoir démontré une amélioration de la survie globale dans le sous-groupe des patients surexprimant HER2. Ciblant la même voie, le lapatinib est en cours d’étude. L’autre grande voie étudiée est celle de l’angiogenèse. Néanmoins, les récents résultats de l’étude de phase III évaluant le bevacizumab se sont avérés négatifs (mais avec une population probablement trop hétérogène). D’autres pistes sont explorées avec des résultats encourageants et des études de phase III en cours, notamment pour des inhibiteurs de EGFR (cetuximab, panitumumab), des inhibiteurs de mTOR (everolimus) ou encore des inhibiteurs de MET.

Mots-clés : Cancer gastrique, Thérapies ciblées, Trastuzumab, Cetuximab, Bevacizumab

Abstract

Gastric cancer is characterized by an unfavorable prognosis with an overall median survival inferior to one year despite chemotherapy treatments. Targeted therapies are the major way of research now. Currently, trastuzumab, an anti HER2 antibody, is the only one approved. Indeed, a phase III study has demonstrated its efficacy in association with cisplatine and 5FU in advanced or metastatic gastric cancer with over-expression of HER2. Now, other agents targeted this pathway are tested, as lapatinib. Regarding the angiogenesis inhibitors, the addition of bevacizumab to standard chemotherapy (cisplatin and 5FU) is quite daunting with a large phase III negative study (but the population was probably too heterogenous). There are fortunately some promising phase II studies (and ongoing phases III), with Epidermal Growth Factor Receptors inhibitors (cetuximab, panitumumab), mTOR inhibitors (everolimus) or MET inhibitors.

Keywords:Gastric cancer, Targeted therapies, Trastuzumab, Cetuximab, Bevacizumab

 

Introduction

Le pronostic des cancers gastriques avancés traités par chimiothérapie reste mauvais. À l’ère des cytotoxiques, la médiane de survie de 1 an n’a jamais été atteinte dans les essais de phase III occidentaux [1]. Ces résultats ont réorienté les recherches vers des biothérapies dites « ciblées » visant des événements cellulaires jouant un rôle majeur dans la cancérogenèse, comme la prolifération initiée par des récepteurs tyrosine-kinase (RTK) de facteur de croissance et comme l’angiogenèse. Le trastuzumab (anticorps anti-HER2) est la première, et pour l’instant la seule, à avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette pathologie alors que l’anticorps anti-VEGF (bevacizumab), seule autre thérapie ciblée dont des résultats d’un essai de phase III sont disponibles, a échoué à démontrer une efficacité.

Cependant, plusieurs autres biothérapies ciblées, aux données précliniques encourageantes, sont en cours de développement : inhibiteurs conjoints de HER2 et EGFR (lapatinib), anticorps anti-EGFR (cetuximab, panitumumab) ou inhibiteurs RTK d’EGFR (gefitinib, erlotinib), inhibiteurs de mTOR, protéasome (bortezomib), inhibiteurs de HGF/c-Met…

 

Inhibiteurs de HER2 : une phase  III et une AMM pour le trastuzumab

Le récepteur HER2 a été le second membre de la famille des récepteurs HER à être identifié après EGFR (ou HER1). Son activation (par homo ou hétérodimérisation) induit une autophosphorylation.

L’amplification de HER2 (c-erbB-2/neu) a été décrite initialement dans des lignées cellulaires de cancer du sein en 1985, puis dans des lignées cellulaires de cancers gastriques en 1986. Actuellement, on estime que la surexpression de HER2 varie de 6 à 35 % dans les cancers gastriques humains.

Le trastuzumab est un anticorps monoclonal humanisé recombinant de la classe des IgG1 dirigé contre HER2. Il a initialement démontré une efficacité majeure dans le sous-groupe des cancers du sein surexprimant HER2.

Dans le cancer de l’estomac, une étude de phase III (essai ToGA) a évalué l’association du trastuzumab à une chimiothérapie associant « cisplatine » et « 5FU ou capécitabine » (CF) en première ligne de traitement des cancers gastriques [(ou de la jonction oesogastrique (JOG)] avancés ou métastatiques surexprimant HER2 [2]. Le taux de positivité de HER2 (défini comme IHC3+ et/ou FISH+) a été de 22 % sur 3 807 patients initialement « screenés ». Ce taux était plus élevé pour les cardias (33 %) et les formes intestinales (32 % vs 6 % pour les types diffus) [3]. Parmi ces patients, 584 répondant aux critères d’inclusion ont été inclus dans l’étude ToGA. Dans cette population, l’adjonction du trastuzumab à la chimiothérapie CF a montré une efficacité supérieure à celle de la chimiothérapie seule. La survie globale, critère principal, était significativement améliorée avec une médiane de survie globale de 13,8 mois dans le bras trastuzumab + CF vs 11,1 mois dans le bras CF (p = 0,0046) (Fig. 1). Le risque de décès était réduit de 26 % (HR : 0,74 ; IC 95 % : [0,60-0,91]). Les autres critères de jugement (survie sans progression et taux de réponse) étaient également améliorés dans le bras avec trastuzumab. Les résultats de l’analyse en sous-groupes ont conduit à réaliser une analyse post-hoc afin d’identifier le sous-groupe de patients qui bénéficiait le plus du trastuzumab en fonction du statut HER2. Dans cette analyse, les effets positifs du traitement par trastuzumab étaient limités au sous-groupe de patients IHC2+/FISH+ et IHC3+ qui représente 16 % de la population qui avait été « screenée » pour l’étude. Dans cette population, l’amélioration de la survie globale était encore plus importante avec des médianes de survie globale respectives de 11,8 vs 16 mois dans les bras CF et CF+ trastuzumab (Fig. 2). Il était étonnant de constater que la médiane de survie de 11,1 mois du bras de référence était supérieure à celle précédemment observée dans d’autres essais de polychimiothérapie [1], alors que la surexpression HER2 était un facteur présumé de mauvais pronostic [4]. Trois hypothèses pourraient expliquer ce résultat : la plus forte proportion d’administration d’une seconde ligne de chimiothérapie (40 % dans l’essai ToGA) ; la forte proportion de patients asiatiques dont les cancers gastriques sont probablement un peu moins agressifs (55 %) ; et la faible proportion de cancers de type diffus qui sont reconnus de plus mauvais pronostic que les cancers du type intestinal.

Figure 1. Essai TOGA / Résultats : Survie globale

Figure 2. Essai TOGA / Résultats en survie globale du sous-groupe IHC2+/FISH+ ou IHC3+

Sur les données de l’étude ToGA, l’extension de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du trastuzumab, en association au cisplatine et au 5FU ou la capécitabine, a donc été obtenue en première ligne chez les patients avec adénocarcinome métastatique gastrique ou de la JOG avec surexpression de HER2 (IHC3+ ou IHC2+ et FISH+). L’association CF – trastuzumab s’impose donc comme nouveau standard de chimiothérapie dans ce sous-groupe de cancers gastriques. La recherche de surexpression de HER2 doit donc être demandée chez les malades aptes à recevoir ce traitement. L’analyse du statut HER2 doit être effectuée à partir d’un bloc tumoral conservé en paraffine avec fixation initiale classique par formol.

Le liquide de Bouin ne doit pas être utilisé. Les deux méthodes recommandées actuellement pour l’évaluation de l’expression HER2 sont l’immunohistochimie (IHC) et l’hybridation in situ (HIS) sur coupes fixées et incluses en paraffine. L’HIS peut reposer elle-même sur deux techniques : la FISH ou la CISH en fonction du type de sonde utilisé. Comme dans le cancer du sein, le statut HER2 doit être évalué d’abord en IHC puis, plus ou moins, par HIS pour les cas ambigus 2+ en IHC. La technique d’IHC est suffisante pour déterminer le statut HER2 des tumeurs gastriques dans environ 90 % des cas. Le profil de surexpression requis pour une indication de trastuzumab est défini par IHC2+ confirmé par un résultat HIS+ ou par IHC3+.

Plusieurs autres molécules ciblant HER2 sont en cours de développement [5]:

  • Le lapatinib est un inhibiteur oral de tyrosine-kinase de EGFR (HER1) et HER2 déjà démontré efficace dans les cancers du sein avancés résistant au trastuzumab. Suite à des données précliniques favorables, le lapatinib est développé dans les cancers gastriques. Malgré des résultats d’essais de phase II mitigés [6-8], des études de phase III sont en cours en première ligne (étude LOGIC, en association avec une association Capécitabine/Oxaliplatine) et deuxième ligne thérapeutique (en association avec le paclitaxel).
  • Le pertuzumab est un nouveau type d’anticorps qui inhibe la dimérisation de HER2 (1re étape de son activation) avec les autres récepteurs de la famille HER (HER1, HER3 et HER4). L’association trastuzumab-pertuzumab semble synergique compte tenu de leur mécanisme d’action différent, avec une activité déjà démontrée dans le cancer du sein.
  • Enfin, des nouvelles formulations du trastuzumab sont en cours d’évaluation (dans le cancer du sein) : anticorps injectable par voie sous-cutanée ou anticorps lié à un cytotoxique.

 

Antiangiogéniques (bevacizumab) : de phase II encourageantes à une phase III négative…

Plusieurs études de phase II avaient montré des résultats encourageants de l’addition du bevacizumab (Ac anti-VEGF) à la chimiothérapie, avec des taux de réponse objective de 59 % à 67 %, des médianes de survie sans progression entre 8,3 et 12 mois et des médianes de survie globale entre 12,3 et 16,2 mois.

Le seul essai de phase III (AVAGAST) disponible (résultats communiqués à l’ASCO en juin 2010) [9] a cependant échoué à démonter une efficacité du bevacizumab en addition à la chimiothérapie en situation de cancer oesogastrique avancé. Il s’agit d’une étude internationale « intercontinentale » ayant randomisé 774 malades en 1re ligne de traitement d’un cancer gastrique entre chimio (capécitabine-cisplatine) + bevacizumab (7,5 mg/kg/3 semaines) et chimio + placebo avec, pour objectif principal, une amélioration de la survie globale. La moitié des malades étaient asiatiques, 30 % européens et 20 % américains. Les taux de réponses (38 % versus 29 %) et les médianes de survie sans progression (6,7 vs 5,3 mois HR = 0,80) étaient significativement en faveur du bras bevacizumab mais pas la survie globale (12 vs 10 mois, HR = 0,87)… La forte proportion de patients asiatiques est suspectée d’être en partie « responsable » de ce résultat. On dit depuis longtemps que les cancers gastriques asiatiques sont des maladies différentes des cancers gastriques « occidentaux » ; leur prise en charge globale est, elle aussi, différente (avec notamment un recours plus fréquent aux chimiothérapies de deuxième ligne, par exemple)… une preuve de plus dans cette étude où l’analyse en sous-groupe montre clairement une meilleure survie (quel que soit le bras de traitement) pour les malades asiatiques et la plus faible différence de survie entre les bras « avec bevacizumab » et « sans bevacizumab » (respectivement 13,9 vs 12,1 mois). Alors que pour les Européens et les Américains (Amérique du Sud essentiellement), la différence de survie était toujours clairement en faveur du bras bevacizumab : respectivement 11,1 vs 6,8 mois et 11,5 vs 6,8 mois… (Fig. 3).

Ces résultats négatifs ne permettent donc pas de valider le bevacizumab dans le traitement du cancer gastrique ; cependant, on regrettera le manque de puissance de l’étude et l’hétérogénéité de population. La question reste ouverte à l’évaluation… au moins pour les malades « occidentaux ».

Figure 3. Essai AVAGAST / Résultats : survie globale

Parmi les autres thérapies antiangiogènes, des inhibiteurs de tyrosine-kinase « multicibles », incluant la cible VEGF-R, ont fait l’objet d’études de phase II en monothérapie (sunitinib) ou en association avec des cytotoxiques (sorafenib). Cependant, aucune étude de phase III n’est actuellement disponible.

 

Inhibiteurs de EGFR (erlotinib, cetuximab, panitumumab) : des phases II disponibles et quelques phases III en cours

Le récepteur au facteur de croissance épidermique (EGFR ou HER1) est surexprimé dans plus de la moitié des cas de cancer gastrique. Les mutations tumorales somatiques des oncogènes KRAS et BRAF sont peu fréquentes parmi les cancers oesogastriques avancés.

Les résultats, majoritairement préliminaires, de plusieurs essais de phase II ont été rapportés. Les inhibiteurs de tyrosine-kinase (gefitinib, erlotinib) semblent surtout actifs sur les cancers proximaux [10,11] mais, globalement, les résultats sont pour l’instant peu convaincants dans le cadre du cancer gastrique ; il semble que les réponses s’observent plutôt pour les cancers oesophagiens de type épidermoïde.

Les résultats de huit études de phase II évaluant l’anticorps chimérique cetuximab sont prometteurs, avec des taux de réponse objective entre 41 % et 69 %, des médianes de survie sans progression entre 5 et 11 mois et des médianes de survie globale entre 8,7 et 16,0 mois [12-19]. Ces résultats ont justifié la réalisation d’une large étude internationale de phase III (EXPAND) évaluant un schéma 5FU (oral)- Platine à la même chimiothérapie associée au cetuximab. Le recrutement de cet essai international est maintenant clos et il faudra encore patienter au minimum 2 ans avant d’en avoir les résultats. Par ailleurs, un essai de phase II FFCD-FRENCH va évaluer l’association du cetuximab à la chimiothérapie LV5FU2-cisplatine en situation périopératoire. L’autre anticorps anti-EGFR, l’Ac humain panitumumab (entièrement humanisé, de type IgG2) est, lui aussi, évalué en phases II randomisées, en association à une chimiothérapie de type ECX (versus ECX seul ; essai NEOPACX) ou de type FOLFOX (essai MEGA) ou, en phase II/III, dans l’essai REAL3 (EOX +/- panitumumab).

 

Autres biothérapies ciblées : des essais de phases II et/ou III sont en cours :

  • Le ciblage de la voie mTOR est en cours d’évaluation après les résultats obtenus dans un essai de phase I testant le RAD001 (évérolimus) dans les cancers gastriques [20]. Le recrutement de la phase III (étude GRANITE : everolimus vs placebo en 2e ou 3e ligne) est clos mais les résultats ne sont pas encore disponibles.
  • La voie de signalisation médiée par le facteur de croissance hépatocytaire (HGF) est une autre cible thérapeutique prometteuse. En effet, la surexpression ou l’expression aberrante du HGF et de son RTK c-Met a été rapportée dans de nombreux cancers dont le cancer gastrique [21,22]. Un inhibiteur multicible MET/VEGFR2 (GSK089) et un anticorps monoclonal humain (AMG102) sont en cours d’évaluation (AMG102 : essai MEGA).

 

D’autres pistes semblent abandonnées, au moins pour l’instant :

  • Un vaccin anti-gastrine (G17DT) avait démontré une efficacité en phase II [23]. Cependant, aucune phase III n’a fait suite à notre connaissance.
  • Un essai de phase III, déjà ancien, évaluant un inhibiteur des métalloprotéinases, le marimastat, s’est avéré décevant même si une étude de sous-groupe suggérait un faible bénéfice pour les patients prétraités par chimiothérapie [24].

 

Des voies de recherche dont le développement clinique reste encore précoce sont ouvertes :

  • Le gène suppresseur RUNX3 possède un rôle-clé dans la voie de signalisation TGF-bêta antiproliférative et pro-apoptotique [25]. La réactivation de l’anti-oncogène RUNX3 par des molécules inhibitrices des histones déacétylases est une autre voie de recherche prometteuse.

Le développement des thérapies ciblées dans le cancer gastrique se fait dans de multiples voies, potentiellement impliquées dans la carcinogenèse gastrique. Ces essais, s’ils permettent d’identifier des effets cliniques, devront nous faire revenir à une recherche en transfert plus pertinente des cibles réellement impliquées pour affiner nos connaissances moléculaires et, à terme, mieux cibler les différents types de cancers gastriques accessibles aux différentes thérapies ciblées. Pour l’heure, seul le sous-groupe des cancers surexprimant HER2, bénéficie d’une « thérapie ciblée ». Gageons que demain le choix thérapeutique s’élargisse et les sous-groupes de malades sensibles à de telles thérapeutiques se multiplient.4.