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26 mars 2012
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Bevacizumab, vers une utilisation raisonnée

Le risque d’EIF reste faible lors de l’utilisation du bevacizumab, mais doit toujours être mis en balance avec le bénéfice en survie espéré. En cas de cancer colorectal métastatique, le rapport bénéfice/risque demeure favorable hors cas particuliers.

L’anticorps anti-VEGF bevacizumab (Avastin®) est utilisé dans le traitement de nombreux cancers tels que les cancers colorectaux, bronchiques, mammaires, rénaux et les glioblastomes. En raison de l’implication du VEGF dans l’angiogenèse physiologique et les fonctions vasculaires, son inhibition par le bevacizumab peut être associée à la survenue d’une hypertension artérielle (HTA), de troubles de la cicatrisation, d’hémorragies, d’événements thromboemboliques ou de perforations digestives dont l’évolution peut être potentiellement sévère. Si un certain nombre d’événements indésirables fatals ont été rapportés chez des patients traités par bevacizumab, le rôle causal de cet antiangiogénique dans la survenue de ces événements n’est pas clairement établi. Une méta-analyse a donc été conduite [1] afin de déterminer l’éventuelle association entre l’utilisation du bevacizumab pour cancer et le risque de décès.

Patients et méthodes :

Il s’agit d’une méta-analyse de tous les essais randomisés contrôlés publiés entre 1996 et 2010 ayant comparé une combinaison de chimiothérapie plus bevacizumab à une chimiothérapie seule. Les sources suivantes ont été utilisées : PubMed, EMBASE, Web of Science database, ainsi que les abstracts de l’ASCO.

Le critère principal de jugement était la survenue d’événements indésirables fatals (EIF) liés aux traitements définis comme une toxicité grade 5 selon les critères NCI-CTC v2 ou v3.

Résultats :

  • Au total, 16 essais contrôlés randomisés (4 phases II, 12 phases III) regroupant 10217 patients ont été retenus pour l’analyse (bevacizumab, n = 5589 ; contrôles, n = 4 628). Ces essais incluaient les localisations tumorales suivantes : colorectale (n = 5), bronchique (n = 4), sein (n = 3), rénale (n = 2), pancréatique (n = 1) et prostatique (n = 1).
  • 148 EIF ont été rapportés au total chez les 5 580 patients traités par bevacizumab (incidence de 2,5 % selon le test d’hétérogénéité).
  • Chez les 10 217 patients, le risque relatif (RR) d’EIF était de1,46 (IC 95 % : 1,09-1,94 ; p = 0,01) en cas de traitement par bevacizumab comparé au groupe contrôle. Il était de 1,43 (IC 95 % : 1,07-1,91 ; p = 0,02) après exclusion des 4 essais effectués pour tumeurs bronchiques (arrêt par la suite du traitement par bevacizumab dans cette indication en raison du risque élevé d’hémoptysie).
  • Lorsque la dose-intensité de bevacizumab était équivalente à 5 mg/kg par semaine (8 essais), le risque d’EIF était significativement augmenté, avec un RR de 2,55 (IC 95 % : 1,44-4,53 ; p = 0,001) alors qu’il ne l’était pas à la dose de 2,5 mg/kg par semaine (4 essais) avec, alors, un RR de 1,36 (IC 95 % : 0,87-2,12 ; p = 0,17). Cependant, les taux d’EIF n’étaient pas statistiquement différents entre les deux doses (p = 0,16), probablement par manque de puissance statistique.
  • L’analyse selon la localisation tumorale montrait que les RR d’EIF les plus élevés étaient observés lors des cancers prostatiques (3,85 ; IC 95 % :1,58-9,37) et bronchiques (2,12 ; IC 95 % : 0,78-5,78) et les plus faibles lors des cancers du rein (1,11 ; IC95 % :0,29-4,2) et du sein (0,69 ; IC 95 % : 0,30-1,62) mais ces variations n’étaient pas statistiquement différentes (p = 0,13). Le RR pour les cancers colorectaux n’est pas précisé dans l’article mais aucune des études prises séparément dans cette localisation n’était associée à un RR statistiquement augmenté (Tableau 1).
  • L’analyse selon le type de chimiothérapie associée au bevacizumab montrait, quant à elle, que les schémas à base de platines ou de taxanes étaient associés à un RR d’EIF significativement plus élevé que les autres types de chimiothérapies (RR de 3,49 vs 0,85 ; p = 0,045).
  • Enfin, une analyse des EIF a été menée selon que les événements indésirables étaient spécifiquement responsables du décès (n = 67/148 ; 45,3 %, désignés comme EIF spécifiques) ou non. Ces EIF spécifiques étaient les suivants : hémorragie (23,5 %) ; neutropénie (12,2 %) ; perforation digestive (7,1 %) ; embolie pulmonaire (5,1 %) ; et AVC (5,1 %). Comparé au groupe contrôle, le bevacizumab était associé à un RR d’EIF spécifique plus élevé (1,79 ; IC 95 % : 1,12-2,87 ; p = 0,02). Les EIF spécifiquement associés au bevacizumab les plus fréquents étaient les hémorragies (1,3 % vs 0,3 %) suivies des perforations digestives (1,2 % vs 0,2 %). Seul le RR d’hémorragie était significativement plus élevé avec le bevacizumab comparé au groupe contrôle (2,77 ; IC : 1,07-7,16 ; p = 0,04).
Tableau 1. Risque relatif d’événements indésirables fatals associés au bevacizumab vs contrôle dans les cancers colorectaux métastatiques
Références Nombre d’événements / Nombre de patients RR (IC 95 %) p
Bevacizumab Contrôle
Hurwitz 2004 [2] 1/393 0/397 3,03 (0,12-74,17) 0,5
Kabbinavar 2005 [3] 4/100 7/104 0,59 (0,18-1,97) 0,39
Saltz 2008 [4] 14/675 10/694 1,44 (0,64-3,22) 0,38
Kabbinavar 2003 [5] 2/67 1/35 1,05 (0,10-11,13) 0,97
Giantonio 2007 [6] 4/521 0/285 4,93 (0,27-91,26) 0,28

Commentaires : Cette méta-analyse montre que l’adjonction du bevacizumab à une chimiothérapie conventionnelle est associée à une augmentation significative du risque d’EIF. Compte tenu du faible risque absolu de décès lié au traitement, l’utilisation du bevacizumab doit prendre en compte le rapport bénéfice/risque en considérant le bénéfice de survie démontré ou non dans chacune des localisations tumorales.

Dans les cancers colorectaux, ce risque d’EIF n’est pas augmenté de manière significative. La dose-intensité habituellement utilisée (2,5 mg/kg par semaine) moins toxique et le bénéfice en survie orientent favorablement, hors cas particuliers, le rapport bénéfice/risque. Les risques d’hémorragie et de perforations digestives liés au bevacizumab sont cependant bien retrouvés dans ce travail et doivent nous conduire à la prudence, au respect des précautions d’emploi et à l’information des patients.

Références
[1] Ranpura V, Hapani S, Wu S. Treatment related mortality with bevacizumab in cancer patients: a meta-analysis. JAMA 2011;305(5):487-94.
[2] Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny W, et al. Bevacizumab plus irinotecan, fluorouracil, and leucovorin for metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2004;350:2335-423.
[3] Kabbinavar FF, Schulz J, McCleod M, et al. Addition of bevacizumab to bolus fluorouracil and leucovorin in first-line metastatic colorectal cancer: results of a randomized phase II trial. J Clin Oncol 2005;23:3697-705.
[4] Saltz LB, Clarke S, Diaz-Rubio E, et al. Bevacizumab in combination with oxaliplatin-based chemotherapy as first-line therapy in metastatic colorectal cancer: a randomized phase III study. J Clin Oncol 2008;26:2013-9.
[5] Kabbinavar F, Hurwitz HI, Fehrenbacher L, et al. Phase II, randomized trial comparing bevacizumab plus fluorouracil (FU)/leucovorin (LV) with FU/LV alone in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2003;21:60-5.
[6] Giantonio BJ, Catalano PJ, Meropol NJ, et al. Bevacizumab in combination with oxaliplatin, fluorouracil, and leucovorin (FOLFOX4) for previously treated metastatic colorectal cancer: results from the Eastern Cooperative Oncology Group Study E3200. J Clin Oncol 2007;25:1539-44.