Métastases osseuses des tumeurs solides : les biothérapies à l’assaut des biphosphonates
Le dénosumab, anticorps monoclonal humain anti-RANKL, semble au moins aussi efficace que l’acide zolédronique pour retarder la survenue de complications osseuses (événements squelettiques) chez les malades avec métastases osseuses de cancers solides ou atteints de myélome.
Il a l’avantage d’une administration sous-cutanée et n’a pas de toxicité rénale. Il peut être administré sans adaptation posologique chez l’insuffisant rénal. Il est susceptible d’induire, comme les biphosphonates et avec une fréquence identique et faible, une ostéonécrose mandibulaire.
Les métastases osseuses sont généralement sources de douleurs et sont associées à un risque de complications graves (fractures pathologiques et compression médullaire ; hypercalcémie) susceptibles de grever la qualité de vie. Il a été démontré que les biphosphonates et, en particulier, l’acide zolédronique sont capables de retarder l’apparition des complications osseuses de telle sorte qu’ils sont fréquemment prescrits dans ce contexte.
Il s’agit d’analogues structurels du pyrophosphate ayant une forte affinité pour l’os minéralisé. Ils sont responsables d’une inhibition de l’activité ostéoclastique mais leur mécanisme d’action reste imprécis. Leur administration est intraveineuse ou orale. Ils sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale sévère (clearance de la créatinine ≤ 30 ml/mn) et imposent une surveillance régulière de la fonction rénale.
L’amélioration des connaissances relatives à la physiopathologie du remodelage osseux a conduit à attribuer à la protéine RANKL (Receptor Activator of Nuclear Factor-kB Ligand) un rôle-clé dans l’ostéoclastogenèse.
RANK est une protéine transmembranaire exprimée sous forme clivable par les ostéoclastes et leurs précurseurs dont la liaison avec son ligand RANKL, active de multiples voies de signalisation intracellulaires et conduit à l’expression de gènes impliqués dans la différenciation, l’activité et la survie des ostéoclastes. Ceci conduit in fine à une augmentation de la résorption osseuse.
Le dénosumab correspond à un anticorps monoclonal IgG2 humain qui cible le RANKL avec une forte affinité et l’empêche d’interagir avec son récepteur RANK. Il est commercialisé sous le nom de PROLIA® et est indiqué en cas d’ostéoporose post-ménopausique chez les femmes à risque élevé de fracture ainsi que dans le traitement de la perte osseuse associée à un traitement « hormono-ablatif » chez les hommes atteints de cancer de la prostate à risque élevé de fractures, sous la forme d’une injection sous-cutanée tous les 6 mois. Sa capacité à réduire la résorption osseuse a conduit à évaluer son intérêt pour retarder ou réduire la fréquence des complications osseuses chez les malades atteints de cancers avancés avec localisations secondaires osseuses ou de myélome.
L’objectif principal du travail de Henry et al. que nous rapportons était de comparer l’efficacité du dénosumab à celle de l’acide zolédronique pour retarder le premier « événement squelettique » (fracture, compression médullaire, chirurgie ou radiothérapie) chez des malades atteints de métastases osseuses de cancers solides ou de myélome [1].
Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude randomisée multicentrique internationale (321 centres participants) ayant inclus, de juin 2006 à mai 2008, 1 776 patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules (39 % de l’effectif), d’un myélome (10 % de l’effectif) ou d’un autre type tumoral à l’exclusion des cancers du sein et de la prostate (51 % de l’effectif). Les patients inclus avaient au moins une métastase osseuse documentée radiologiquement, un état général conservé (OMS ≤ 2) et une clairance de la créatinine ≥ 30 ml/min.
Un traitement IV antérieur par biphosphonate, une radiothérapie ou une chirurgie osseuse indiquée/programmée à court terme et une intervention dentaire / stomatologique récente avec cicatrisation muqueuse non acquise correspondaient à des critères d’exclusion.
Au total, 890 patients ont été traités par acide zolédronique (4 mg administrés en perfusion IV de 15 min en l’absence d’insuffisance rénale ; dose réduite en cas d’altération de la fonction rénale) + placebo (injection sous-cutanée) toutes les 4 semaines ; 886 ont été traités par dénosumab (injection sous-cutanée de 120 mg) + placebo (perfusion IV de 15 min) toutes les 4 semaines. Une supplémentation en calcium (≥ 500 mg) et en vitamine D (≥ 400 UI) était recommandée dans les 2 groupes. Les « événements squelettiques » étaient définis par une fracture pathologique, une compression médullaire, la nécessité d’une chirurgie (pour traiter ou prévenir une fracture ou une compression médullaire jugée imminente) et/ou d’une radiothérapie (à visée antalgique ou pour traiter/prévenir une fracture ou une compression médullaire).
Le diagnostic de fracture était confirmé par une évaluation radiologique centralisée impliquant au moins 2 radiologues experts (examens réalisés en cas de suspicion clinique et de façon systématique toutes les 12 semaines). Une évaluation biologique de l’impact de traitement sur le remodelage osseux était réalisée par la mesure initiale et après 13 semaines de traitement du rapport uNTX/Cr (N-télopeptide urinaire/créatinine) et de la concentration plasmatique des phosphatases alcalines osseuses.
Résultats
La durée médiane de participation à l’étude était approximativement de 7 mois dans les 2 groupes ; le nombre médian de doses administrées était de 7 pour l’acide zolédronique et le dénosumab. Au moment de l’analyse (soit 34 mois après le début des inclusions), environ 20% des malades inclus étaient toujours en cours de traitement. Le décès, le retrait du consentement et une progression de la maladie correspondaient aux principales causes de sortie d’étude (35 % ; 15 % et 13% des cas respectivement).
Le dénosumab n’était pas inférieur à l’acide zolédronique (HR = 0,84 ; IC 95 % : 0,71-0,98 ; p = 0,0007 ; test de non infériorité) et tendait même à être supérieur à celui-ci pour la durée médiane de survenue du premier « événement squelettique ». En effet, la durée médiane de survenue du premier événement était de 20,6 mois chez les malades traités par le dénosumab et de 16,3 mois chez les malades traités par l’acide zolédronique (p = 0,06). Par ailleurs, le nombre total d’« événements squelettiques » était inférieur dans le groupe dénosumab (392 versus 436) mais la différence entre les deux groupes n’était pas statistiquement significative (RR = 0,90 ; IC 95 % : 0,77-1,04 ; p = 0,14).
Les marqueurs biologiques permettaient de conclure à une réduction plus marquée de la résorption osseuse avec le dénosumab qu’avec l’acide zolédronique : réduction médiane significativement plus importante du rapport uNTx/cr (76 % versus 65 % ; p < 0,001) et du taux plasmatique des phosphatases alcalines osseuses (37 % versus 29 %) 13 semaines après l’institution du traitement.
Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes pour la survie globale ou la survie sans progression.
Il n’existait pas de différence significative entre les deux groupes pour la fréquence globale des effets secondaires indésirables (Tableau 1). L’hypocalcémie était cependant significativement plus fréquente chez les malades traités par le dénosumab. Elle était rarement symptomatique et n’a justifié l’administration IV de calcium que dans une minorité des cas.
La fréquence des réactions aiguës (survenant au cours de 3 premiers jours suivant l’administration de la première dose) était significativement plus élevée chez les malades traités par acide zolédronique (14,5 % versus 6,9 % ; p < 0,001). L’ostéonécrose mandibulaire survenait avec une fréquence faible et identique dans les 2 groupes.
Tableau 1. Effets secondaires indésirables des traitements | ||
Toxicité | Acide zolédronique | Dénosumab |
Réactions « aiguës » | ||
• Total • Hyperthermie • Asthénie • Arthralgies |
14,5 % 5,9 % 2,1 % 1,9 % |
6,9 % 0,5 % 1,0 % 0,7 % |
Hypocalcémie | ||
• tous grades • grades 3-4 • administration de Ca2+ IV au cours de l’étude |
5,8 % 1,0 % 2,7 % |
10,8 % 2,3 % 5,7 % |
Ostéonécrose mandibulaire (incidence cumulée) | ||
• à 1 an • à 2 ans • à 3 ans |
0,6 % 0,9 % 1,3 % |
0,5 % 1,1 % 1,1 % |
Une réduction initiale de la dose d’acide zolédronique était nécessaire chez 17,3 % des malades en raison d’une altération de la fonction rénale caractérisée par une clearance ≤ 60 ml/min. Malgré cette adaptation posologique, le traitement a dû être suspendu chez 78 patients de ce groupe, soit 8,9% de l’effectif (344 doses non administrées), pour altération de la fonction rénale.
Au total, le dénosumab semble aussi efficace que l’acide zolédronique pour retarder la survenue de complications osseuses chez les malades avec métastases osseuses de cancers solides ou myélome.
Il a l’avantage d’une administration sous-cutanée et n’a pas de toxicité rénale. Il peut être administré sans adaptation posologique chez l’insuffisant rénal. Il est susceptible d’induire, comme les biphosphonates et avec une fréquence identique et faible, une ostéonécrose mandibulaire.