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2 mai 2011
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Cancer épidermoïde du canal anal : non à la chimiothérapie néoadjuvante !

Les données de cette étude suggèrent que, comme pour les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou, et du col de l’utérus, une séquence thérapeutique longue serait associée à une diminution du taux de contrôle tumoral chez les malades atteints de carcinomes du canal anal. Ceci plaide en faveur de l’évaluation de schémas de traitement courts et « intensifiés » chez ces malades dans le cadre d’études prospectives randomisées.

La radiothérapie ou la radiochimiothérapie concomitante correspondent au traitement de première ligne du carcinome épidermoïde du canal anal, la radiothérapie étant administrée en deux séquences successives. Au cours des dernières années, différentes modalités de radiochimiothérapie ont été évaluées, de même que l’intérêt d’une chimiothérapie néoadjuvante (ou chimiothérapie d’induction). La durée totale du traitement est variable en fonction de la modalité retenue. Ben-Josef et al. ont tenté d’évaluer l’impact de ce paramètre sur le taux de contrôle tumoral et la survie [1] puisqu’un tel impact a été démontré dans le contexte du traitement des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou, et du col de l’utérus.

Le travail rapporté ici a porté sur 937 malades inclus dans 2 vastes essais randomisés conduits par le RTOG (Radio-Therapy Ocology Group), RTOG87-04 et RTOG98-11, dont les plans expérimentaux sont schématisés par les figures 1 et 2 [2,3].Au total, la chimiothérapie associée à la radiothérapie correspondait à une association de 5-FU et de Mitomycine C pour 472 patients (groupe 1), à une association de 5-FU et de Cisplatine pour 320 patients (groupe 2) et à une monothérapie par 5-FU pour 145 patients (groupe 3). Les malades du groupe 2 (bras expérimental de l’essai RTOG 98-11) recevaient une chimiothérapie néoadjuvante associant 5-FU et Cisplatine.

Il n’existait pas de différence significative entre ces 3 groupes pour l’âge au diagnostic, le sex ratio, l’état général évalué par l’indice de Karnofsky, le type histologique et le degré de différenciation tumorale. Pour les malades du groupe 3, la proportion de tumeurs de stades T3/T4 (versus stades T1/T2) et la proportion de stades N0 (versus stades Nx/N1/N2/N3) étaient significativement plus élevées que pour les malades des 2 autres groupes.

La durée totale du traitement était significativement supérieure chez les malades du groupe 2 (chimiothérapie néoadjuvante ; durée médiane : 101 jours) que chez les malades des groupes 1 et 3 (durées médianes du traitement de 45 jours et 39 jours respectivement); la dose totale délivrée à la tumeur et la durée d’administration de la radiothérapie étaient significativement plus faibles chez les malades du groupe 3 mais il n’existait pas de différence significative entre les groupes pour l’« intensité » de la radiothérapie (dose totale délivrée à la tumeur primitive/durée du traitement).

Figure 1 : Plan expérimental de l’essai RTOG 87-04 [2] 

Figure 2 : Plan expérimental de l’essai RTOG 98-01 [3]

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de la durée de la radiothérapie, de l’intensité de la radiothérapie et de la durée totale du traitement sur les paramètres suivant déterminés rétrospectivement à partir des données collectées de façon prospective : taux de colostomie (pour échec du contrôle tumoral et/ou complication du traitement); taux d’échec de contrôle tumoral local (non réponse au traitement ou récidive) ; taux d’échec locorégional (tumeur primitive et/ou aires ganglionnaires) ; survie sans colostomie ; temps jusqu’à récidive tumorale ; survie sans récidive et survie globale.

L’analyse était réalisée à l’issue d’une durée médiane de suivi de 3,2 ans, 2,6 ans et 8,7 ans pour les malades des groupes 1, 2 et 3 respectivement.

En analyse multivariée, les paramètres suivants avaient un impact significatif sur le taux d’échec local : la durée totale du traitement (> 53 jours versus ≤ 53 jours) ; la modalité thérapeutique (RT + 5-FU versus RT + 5-FU + MMC) ; l’âge ; l’état général (indice de Karnofsky 60, 70, 80 versus 90 ou 100) ; le stade tumoral (T3/T4 versus T1/T2) ; le statut ganglionnaire (Nx/N1/N2/N3 versus N0) et la dose totale de radiothérapie délivrée à la tumeur (Tableau 1).

Tableau 1. Facteurs associés à la rechute locorégionale (analyse multivariée)
Variable Hazard Ratio (IC 95 %) p
Durée totale du traitement • ≤ 53 jours • > 53 jours • 1,00 • 1,96 (1,34-2,87) 0,006
Modalité thérapeutique • RT + 5-FU + Mitomycine • RT + 5-FU + Cisplatine • RT + 5-FU • 1,00 • 1,02 (0,68-1,53) • 2,44 (1,69-3,51) 0,9220 < 0,0001
Âge (variable continue) • 0,98 (0,97-0,995) 0,0067
Indice de Karnofsky • 90, 100 • 60, 70, 80 • 1,00 • 1,64 (1,18-2,26) 0,0030
Stade tumoral • T1/T2 • T3/T4 • 1,00 • 1,96 (1,459-2,635) < 0,0001
Status ganglionnaire • N0 • Nx, N1, N2, N3 • 1,00 • 1,62 (1,20-2,19) 0,0018
Dose totale à la tumeur (Gy) • 0,98* (0,96-0,995) 0,0119
RT = Radiothérapie ; 5-FU = 5-Fluoro-uracile. * Une augmentation de la dose de 1 Gy est associée à une diminution de 2 % du taux d’échec de contrôle locorégional

En revanche, la durée et l’intensité de la radiothérapie n’avaient pas d’impact sur le contrôle local après ajustement sur les autres paramètres. Il faut noter qu’il existait une corrélation entre les paramètres « durée totale du traitement > 53 jours » et la « modalité thérapeutique RT+ 5-FU + Cisplatine » puisque seuls les malades de ce groupe recevaient une chimiothérapie néoadjuvante responsable de l’allongement de la durée de la séquence thérapeutique. Il est peu vraisemblable que le type de chimiothérapie rende compte de la diminution du taux de contrôle tumoral observée dans ce groupe dans la mesure où l’essai britannique ACTII a démontré une activité équivalente des combinaisons 5-FU + Cisplatine et 5-FU + Mitomycine C en association à la radiothérapie pour le traitement des carcinomes épidermoïdes du canal anal [4].

L’âge, l’état général, le stade tumoral, le statut ganglionnaire et la dose totale de radiothérapie délivrée à la tumeur avaient également un impact significatif et indépendant sur la survie globale, alors qu’il n’y avait pas d’impact de la durée totale du traitement, de la durée de la radiothérapie et de l’intensité de la radiothérapie sur ce paramètre (Tableau 2).

Tableau 2. Facteurs associés à la survie globale (analyse multivariée)
Variable Hazard Ratio (IC 95 %) p
Durée totale du traitement • ≤ 53 jours • > 53 jours • 1,00 • 1,09 (0,84-1,40) 0,5219
Âge (variable continue) • 1,03 (1,02-1,04) < 0,0001
Sexe • Femmes • Hommes • 1,00 • 1,79 (1,42-2,26)  
Indice de Karnofsky • 90, 100 • 60, 70, 80 • 1,00 • 1,67 (1,29-2,17) < 0,001
Stade tumoral • T1/T2 • T3/T4 • 1,00 • 1,49 (1,18-1,87) 0,0007
Status ganglionnaire • N0 • Nx, N1, N2, N3 • 1,00 • 1,90 (1,47-2,46) < 0,001
Dose totale à la tumeur (Gy) • 0,97* (0,96-0,99) 0,001
RT = Radiothérapie ; 5-FU = 5-Fluorouracile ; * Une augmentation de la dose de 1 Gy est associée à une diminution de 3 % du risque de décès

Au total, ces données indiquent qu’un traitement long serait associé à une diminution du taux de contrôle tumoral et à une augmentation du risque de colostomie chez les malades atteints d’un carcinome du canal anal. Elles sont en défaveur de la chimiothérapie néoadjuvante et plaident en faveur de l’évaluation de schémas de radiochimiothérapie « courts » et intensifiés dans le cadre d’essais prospectifs et randomisés.

Références

[1] Ben-Josef E, Moghan M, Ajani JA, et al. Impact of overall treatment time on survival and local control in patients with anal cancer: a pooled data analysis of radiation therapy oncology group trials 87-04 and 98-11. J Clin Oncol 2010;28:5061-6.

[2] Flam M, John M, Pajak TF, et al. Role of mitomycin in combination with fluorouracil and radiotherapy, and of salvage chemoradiation in the definitive non surgical treatment of epidermoid carcinoma of the anal canal: results of a phase III randomized intergroup study.J Clin Oncol 1996;14:2527-39.

[3] Ajani JA, Winter KA, Gunderson LL, et al. Fuorouracil, mitomycin, and radiotherapy vs fluorouracil, cisplatin, and radiotherapy for carcinoma of the anal cancer: a randomized controlled trial. JAMA2008;299:1914-21.

[4] James R, Wan S, Glynne-Jones R, et al. A randomized trial of chemoradiation using mitomycin or cisplatin, with or without maintenance cispatin/5FU in squamous cell carcinoma of the anus (ACTII). J Clin Oncol 2009;27:1