Syndrome de Lynch par délétion constitutionnelle du gène EPCAM : une entité particulière
Globalement, les syndromes de Lynch liés à une délétion constitutionnelle du gène EPCAM pourraient être associés à une moindre augmentation du risque de cancer de l’endomètre que les syndromes de Lynch liés à une mutation constitutionnelle du gène MSH2 ou MSH6 alors que le risque de cancer colorectal semble identique à celui des patients avec mutations constitutionnelles des gènes MLH1 ou MSH2. Il est possible que l’amplitude du risque soit fonction des caractéristiques exactes de la délétion et de sa proximité par rapport au promoteur du gène MSH2. Cette observation, si elle est confirmée, pourrait conduire à moduler, à l’avenir, les recommandations de prise en charge de ces patientes.
Le gène EPCAM (EPithelial Cell Adhesion Molecule), également appelé TACSTD1, est localisé en amont (5’) du gène MSH2, sur le bras court du chromosome 2. Récemment, certains syndromes de Lynch ont été rattachés à une délétion constitutionnelle hétérozygote de la partie 5’ du gène EPCAM [1,2]. Cette délétion a pour conséquence un défaut d’expression de l’allèle du gène MSH2 situé en 3’ de ce gène en rapport avec une hyperméthylation de son promoteur et la synthèse d’un transcrit de fusion EPCAM/MSH2.
Le défaut d’expression de l’allèle codant pour MSH2 n’est observé que dans les cellules qui expriment normalement la protéine EPCAM [2]. Cette altération constitutionnelle se traduit donc par un défaut d’expression de la protéine MSH2 en mosaïque, c’est-à-dire, restreint aux cellules et tissus qui expriment physiologiquement la protéine EPCAM. Ce mécanisme particulier suggère que l’expression clinique des syndromes de Lynch associés à cette altération pourrait être différente de celle des syndromes de Lynch associés aux mutations « classiques » des gènes du système MMR : MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2.
L’objectif du travail de Kempers et al. récemment publié dans le Lancet Oncology consistait à évaluer les risques tumoraux des sujets porteurs d’une délétion constitutionnelle du gène EPCAM (n’intéressant pas le gène MSH2) (194 individus issus de 41 familles) et à les comparer aux risques observés chez les individus porteurs de mutations constitutionnelles du gène MSH2 (143 individus issus de 32 familles),MSH6 (160 individus issus de 26 familles), MLH1 (128 individus issus de 26 familles) ou d’une délétion constitutionnelle intéressant à la fois la partie 3’du gène EPCAM et une partie du gène MSH2 (42 individus issus de 7 familles [3].
Les individus avec délétion de EPCAM correspondaient à 105 cas issus de 16 familles porteuses de la mutation fondatrice hollandaise (c.859-1462_*1999del), à 42 cas issus de 2 familles suisses porteuses d’une même mutation et à 42 cas porteurs de diverses délétions issus de 23 familles : allemandes (9 familles) ; hongroises (5 familles) ; américaines (4 familles) ; britannique (1 famille) ; canadienne (1 famille) ; hollandaise (1 famille) et de Hong Kong (2 familles). Dans tous les cas, la délétion du gène EPCAM n’intéressait pas le promoteur, ni la séquence codante du gène MSH2.
Pour les patients des différents groupes, les informations suivantes étaient systématiquement colligées : sexe, année de naissance, année du décès et, le cas échéant, année du diagnostic tumoral et caractéristiques anatomocliniques et moléculaires de la tumeur : localisation ; statuts des microsatellites, profil d’expression des protéines du système MMR et méthylation du promoteur du gène MSH2.
Pour chaque patient, la durée du suivi correspondait à la durée entre l’année de naissance et la date du diagnostic de cancer, du dernier contact ou du décès. Les risques cumulés de cancer colorectal et de cancer de l’endomètre en fonction des âges étaient représentés sur la forme de courbes de Kaplan-Meier, et la comparaison des risques en fonction des groupes était réalisée au moyen du test du log-rank.
Les résultats concernant les risques de cancer colorectal et de l’endomètre ainsi que les âges au diagnostic sont rapportés dans les tableaux 1 et 2.
Tableau 1. Risques tumoraux associés aux syndromes de Lynch liés aux délétions constitutionnelles du gène EPCAM et aux délétions combinées EPCAM/MSH2 | ||
EPCAM | EPCAM-MSH2 | |
Effectif • Familles • Patients « mutés » • Femmes « mutées » | • 41 • 194 • 92 | • 07 • 42 • 15 |
CANCER COLORECTAL • Individus atteints • Âge moyen au dg • Risque cumulé | • 93 (48 %) • 43 ans (12 ; 18-79) • 75 % (65-85) | • 18 (43 %) • 41 ans (10 ; 21-58) • 69 % (47-91) |
CANCER ENDOMÈTRE • Femmes atteintes • Âge moyen au dg • Risque cumulé | • 03 (03 %) • 49 ans (7 ; 43-56) • 12 % (00-27) | • 05 (33 %) • 42 ans (6 ; 33-51) • 55 % (20-90) |
Tableau 2. Risques tumoraux associés aux syndromes de Lynch liés aux mutations constitutionnelles des gènes MSH2, MSH6 et MLH1 | |||
MSH2 | MSH6 | MLH1 | |
Effectif • Familles • Patients « mutés » | • 32 • 143 | • 26 • 160 | • 26 • 128 |
CANCER COLORECTAL • Individus atteints • Âge moyen au dg • Risque cumulé | • 60 (42 %) • 44 ans (11 ; 19-65) • 77 % (64-90) | • 45 (28 %) • 54 ans (11 ; 32-79) • 50 % (38-62) | • 65 (53 %) • 44 ans (11 ; 22-78) • 79 % (68-90) |
CANCER ENDOMÈTRE • Femmes « mutées » • Âge moyen au dg • Risque cumulé | • 78 • 20 (26 %) • 47 ans (7 ; 33-61) • 51 % (33-69) | • 87 • 20 (23 %) • 50 ans (12 ; 28-72) • 34 % (20-48) | • 67 • 11 (16 %) • 52 ans (6 ; 46-64) • 33 % (15-51) |
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Un cancer colorectal était diagnostiqué chez 93 des 194 individus avec délétion constitutionnelle du gène EPCAM, et le risque cumulé à 70 ans était évalué à 75 % (IC 95 % : 65 %-85 %). Il n’était pas différent de celui des individus avec délétion constitutionnelle EPCAM/MSH2 ou mutation constitutionnelle des gènes MLH1 ou MSH2, mais significativement plus élevé que celui des individus avec mutation du gène MSH6. L’âge médian au diagnostic était de 43 ans (extrêmes : 18-79), non différent de celui des individus avec délétion constitutionnelle EPCAM/MSH2 ou mutation constitutionnelle des gènes MLH1 ou MSH2, mais significativement plus jeune que celui des individus avec mutation du gène MSH6 (p < 0,0001 ; ANOVAs).
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Un cancer de l’endomètre était diagnostiqué chez 3 des 92 femmes avec délétion constitutionnelle du gène EPCAM, et le risque cumulé à 70 ans était évalué à 12 % (IC 95 % :0%-27 %). Il n’était pas différent de celui des femmes avec mutation constitutionnelle du gène MLH1, mais significativement plus faible que celui des femmes porteuses d’autres altérations constitutionnelles (mutation des gènes MSH2 ou MSH6 et délétion des gènes EPCAM et MSH2). Ces cancers étaient diagnostiqués aux âges de 43 ans, 47 ans et 56 ans, soit un âge médian de 49 ans, non différent statistiquement de celui des femmes des autres groupes atteintes de cancer de l’endomètre. De façon intéressante, les délétions du gène EPCAM chez les femmes atteintes d’un cancer de l’endomètre s’étendaient « à proximité du promoteur du gène MSH2 » (plus précisément à moins de 2,5 kb du promoteur de ce gène).
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Un cancer du duodénum était diagnostiqué chez 3 individus avec délétion de EPCAM (aux âges de 52 ans, 54 ans et à un âge non précisé dans un cas) et chez aucun des individus des autres groupes. Pour ces 3 cas, il existait une instabilité des microsatellites au niveau tumoral associée à un défaut d’expression de la protéine MSH2 et à une hyperméthylation du promoteur de ce gène. Un cancer du pancréas était diagnostiqué chez 4 individus avec délétion de EPCAM (aux âges de 46 ans, 51 ans, 65 ans et à un âge non précisé dans un cas) et chez 1 individu des autres groupes.
Au total, cette étude est la première à évaluer spécifiquement les risques tumoraux associés aux syndromes de Lynch liés aux délétions constitutionnelles du gène EPCAM. Elle suggère que le risque de cancer de l’endomètre chez les femmes atteintes serait plus faible dans ce contexte et conditionné par la taille et de la localisation de la délétion causale. Cette situation pourrait être le reflet d’une moindre expression du gène EPCAM dans le tissu endométrial conduisant à une relative conservation de l’expression de l’allèle du gène MSH2 situé en cis de l’allèle muté de EPCAM (même haplotype). L’observation d’un risque « restreint » aux femmes dont la délétion s’étend à proximité du promoteur du gène MSH2 pourrait s’expliquer par un plus grand impact de ces délétions sur l’expression de MSH2, peut-être lié à la perte de site(s) de régulation de l’activité du promoteur (enhancer).
Cette étude suggère également une majoration du risque de cancer du duodénum et de cancer du pancréas associée aux délétions constitutionnelles du gène EPCAM, plus importante que chez les sujets porteurs de mutations constitutionnelles d’un autre type, mais ceci devra être précisé. Ces données pourraient conduire, à l’avenir, à moduler les recommandations de dépistage et de prise en charge des femmes porteuses de ces délétions. L’interprétation des résultats de l’étude de Kempers et al. doit être prudente en raison d’un certain nombre de limites méthodologiques : i) effectifs relativement restreints ; ii) prise en compte des cas index pour l’évaluation des risques tumoraux constituant un biais de sélection responsable d’une surévaluation globale des risques ; iii) inclusion d’un grand nombre d’individus porteurs des mutations à effet fondateur hollandaise et suisse (55 % et 19 % des femmes incluses étaient issues d’une famille hollandaise et de 2 familles suisses respectivement), ce qui peut introduire un biais lié à la présence d’éventuels facteurs génétiques modificateurs des risques tumoraux associés à ces mutations.
Références