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7 octobre 2011
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Cancers colorectaux de stade II : MMR, KRAS, BRAF remis sur le tapis ! Résultats de l’étude biologique de l’essai QUASAR

L’étude biologique satellite de l’essai QUASAR confirme la réduction significative du risque de récidive tumorale associée au phénotype dMMR après exérèse des cancers colorectaux et indique une majoration de ce risque associée à la présence d’une mutation de KRAS, en particulier pour les cancers du rectum. Elle suggère que la chimiothérapie adjuvante par 5-FU pourrait avoir un bénéfice quel que soit le phénotype moléculaire, y compris pour les tumeurs de type dMMR. Ces données, en contradiction avec celles de Sargent et al. [3], méritent d’être réévaluées grâce à une compilation de toutes les données publiées compte tenu des faibles effectifs et d’une puissance statistique insuffisante pour répondre, de façon fiable, à cette question.

Les résultats d’une étude biologique « satellite » de l’essai britannique QUASAR (QUick And Simple And Reliable) ont été récemment publiés dans le Journal of Clinical Oncology [1]. Il s’agissait d’évaluer la signification pronostique et l’impact sur l’efficacité de la chimiothérapie adjuvante des paramètres suivants : défaillance du système MMR (phénotype dMMR), mutations somatiques de KRAS et BRAF.
On rappelle que l’essai QUASAR visait à évaluer l’impact d’une chimiothérapie adjuvante à base de 5-Fluorouracile (5-FU) après résection d’un cancer colorectal de stade II pour 92% des malades inclus. En pratique, 1622 malades ont été randomisés dans le bras chimiothérapie ; 1617 dans le bras « observationnel » [2]. La chimiothérapie correspondait à du 5-FU (modulé par de l’acide folinique) administré par voie IV bolus selon un schéma hebdomadaire (30 semaines consécutives) ou 5 jours consécutifs toutes les 4semaines (6 cycles). Elle était associée à une réduction significative du risque de récidive et à une amélioration significative de la survie.

 

Patients et méthodes

L’évaluation de fonctionnalité du système MMR était réalisée indirectement par l’étude immunohistochimique de l’expression des protéines MLH1 et MSH2 selon la technique du tissue microarray. Elle était réalisable à partir de 1913 échantillons tumoraux. Les tumeurs caractérisées par un défaut d’expression nucléaire de l’une ou de l’autre de ces 2 protéines (alors qu’il existait un témoin interne positif : épithélium colique non tumoral adjacent et lymphocytes du stroma) étaient considérées comme « défaillantes » pour le système MMR (phénotype dMMR, MMR deficient). Par opposition, le phénotype des tumeurs au niveau desquelles l’expression des protéines MLH1 et MSH2 était conservée était de type pMMR (MMR proficient).
La recherche des mutations de KRAS et de la mutation V600EdeBRAF était réalisée au moyen d’une technique standardisée (PCR et pyroséquençage) après extraction de l’ADN à partir du tissu tumoral obtenu par macrodissection à partir de lames blanches. L’évaluation des statuts KRAS BRAF était réalisable pour 1 583 et 1584 échantillons tumoraux respectivement.

Résultats

Données analytiques

  • La fréquence des différents phénotypes (dMMR versus pMMR ; KRAS muté versus KRAS sauvage ; BRAF muté versus BRAF sauvage) pour l’ensemble de l’effectif et en fonction de la localisation tumorale est rapportée dans le tableau 1.
  • Le phénotype dMMR était significativement associé à une localisation colique proximale ; un stade II ; un faible degré de différenciation tumorale ; une composante colloïde muqueuse ; un nombre de ganglions examinés ≥ 12 ; et le sexe féminin. Par ailleurs, les tumeurs de phénotype dMMR avaient une plus faible probabilité d’avoir une mutation de KRAS (20 % versus 37 %pour les tumeurs de phénotype pMMR) et une plus forte probabilité d’avoir une mutation de BRAF (37 % versus 05% pour les tumeurs de phénotype pMMR).
  • Il n’existait pas de corrélation entre la présence d’une mutation de KRAS et la localisation tumorale, le stade ou le sexe. Les tumeurs avec mutation de KRAS avaient une moindre probabilité d’être de phénotype dMMR (7 % versus 14% pour les tumeurs KRAS « sauvages ») et étaient exceptionnellement associées à une mutation de BRAF (1 % versus 11% pour les tumeurs KRAS « sauvages »).
  • Les mutations de BRAF étaient significativement associées à une localisation colique proximale ; au stade III ; au stade pT4 ; à un faible degré de différenciation tumorale ; à la présence d’un contingent colloïde muqueux ; à un nombre de ganglions examinés ≥ 12 et plus fréquentes chez les femmes et chez les sujets les plus âgés.
Tableau 1. Fréquence des différents phénotypes en fonction de la localisation tumorale
Phénotype Côlon proximal Colon distal Rectum Total
dMMR (versus pMMR) 26 % 3 % 1 % 11 %
KRAS muté (versus KRAS sauvage) 40 % 28 % 36 % 34 %
BRAF muté (versus BRAF sauvage) 17 % 2 % 2 % 8 %
Côlon proximal : en amont de l’angle colique gauche.
Côlon distal : en aval de l’angle colique gauche.

Risques de récidive tumorale en fonction du phénotype MMR et du statut KRAS et BRAF

Ils sont indiqués dans le tableau 2.

Tableau 2. Pourcentages de récidives tumorales en fonction du phénotype tumoral
Phénotype Risque de récidive tumorale
dMMR (versus pMMR) 11 % versus 26 % ;
RR = 0,53 (IC 95 % :0,40-0,70 ; p < 0,001)
KRAS muté (versus KRAS sauvage) 28 % versus 21 % ;
RR = 1,40 (IC 95 % :1,12-1,74 ; p = 0,002)
BRAF muté (versus BRAF sauvage) 19 % versus 24 % ;
RR = 0,84 (IC 95 % :0,57-1,23 ; p = 0,4)

Les résultats peuvent se résumer de la manière suivante :

  • Moindre risque de récidive tumorale pour l’ensemble des tumeurs de phénotype dMMR que pour les tumeurs de phénotype pMMR (11 % versus 26 %) et pour les seules tumeurs de stade II (08 % versus 21 %).
  • Risque plus accru de récidive tumorale pour l’ensemble des tumeurs avec mutation de KRAS que pour les tumeurs KRAS « sauvages » (28 % versus 21 %), plus marqué pour les cancers du rectum (RR = 2,32 ; IC 95 % : 1,56-3,46 ; p<0,001) et chez les hommes.
  • Absence d’impact du statut de BRAF sur le risque de récidive tumorale.

3. Bénéfice de la chimiothérapie
Il existait un bénéfice de la chimiothérapie adjuvante s’exprimant par une réduction significative du risque de récidive tumorale de 22 % chez les malades traités par chimiothérapie adjuvante versus 26 % chez les malades traités par chirurgie exclusive, soit un RR de 0,79 (IC 95 % : 0,69-0,91 ; p = 0,001).
Ce bénéfice n’était pas associé significativement aux statuts MMR (dMMR versus pMMR), KRAS (KRAS muté versus KRAS sauvage) et BRAF (BRAF muté versus BRAF sauvage) des tumeurs.

Commentaires

  • En pratique, il est donc important de retenir la signification pronostique favorable du statut dMMR qui est associé à une diminution de près de 50% du risque de récidive tumorale des cancers colorectaux opérés à visée curative et le pronostic particulièrement favorable des cancers de phénotype dMMR de stade II (risque de récidive de 8 % seulement). Ces données sont cohérentes avec celles publiées antérieurement.
  • L’interprétation des données relatives à l’impact du statut dMMR sur l’efficacité de la chimiothérapie adjuvante est plus délicate. Les auteurs suggèrent que le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante à base de 5-FU est indépendant de ce paramètre et que ce traitement pourrait bénéficier également aux patients opérés d’un cancer colorectal de stade II et de phénotype dMMR. Ceci est en contradiction avec les données publiées récemment par Sargent et al. [3] qui concluaient au caractère délétère de la chimiothérapie dans ce contexte. Cette discordance pourrait s’expliquer par les faibles effectifs de malades porteurs de tumeurs répondant à ces caractéristiques inclus dans ces études et par une puissance statistique ne permettant de répondre, de façon fiable, à cette question : 167 malades dans l’étude QUASAR (dont 89 traités par chimiothérapie adjuvante – 5 récidives tumorales – et 78 traités par chirurgie exclusive – 8 récidives tumorales) ; 102 malades dans l’analyse poolée de Sargent et al. (dont 47 traités par chimiothérapie adjuvante et 47 traités par chirurgie exclusive). Ces données plaident en faveur d’une nouvelle analyse poolée intégrant les données de l’étude QUASAR.
  • L’augmentation significative du risque relatif de récidive associée à la présence d’une mutation de KRAS, en particulier pour les cancers du rectum rapportés par les auteurs, mérite également d’être soulignée.

Références

[1] Hutchins G, Southward K, Handley K, et al. Value of mismatch repair, KRAS, and BRAF mutations in predicting recurrence and benefits from chemotherapy in colorectal cancer. J Clin Oncol 2011;29:1261-70.
[2] QUASAR Collaborative Group: QUASAR: A randomised study of adjuvant chemotherapy versus observation including 3.239 colorectal cancer patients. Lancet 2007;370:2020-9.
[3] Sargent DJ, Marsoni S, Monges G, et al. Defective mismatch repair as a predictive marker for lack of efficacy of fluorouracilbased adjuvant therapy in colon cancer. J Clin Oncol 2010;28:3219-26.