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Conférences Thématiques
26 avril 2011
Digestif
Olivier Pellerin, Samhe Awad, Marc Sapoval, Julien Taïeb

Traitements endovasculaires du carcinome hépatocellulaire

Transarterial treatment approaches of hepatocellular carcinoma

Olivier Pellerin1, Samhe Awad1, Marc Sapoval1, Julien Taïeb2
1. Service de Radiologie Interventionnelle
2. Service d’Hépatogastroentérologie
Hôpital Européen Georges Pompidou, 20-40, rue Leblanc, F-75908 Paris Cedex 15 – Olivier.pellerin@egp.aphp.fr

 

Résumé

À côté de la chimioembolisation intra-artérielle hépatique régionale, différentes approches de traitement endovasculaire du carcinome hépatocellulaire sont en cours d’évaluation : chimioembolisation hypersélective ; chimioembolisation par microsphères chargeables ; radioembolisation. Cet article vise à décrire les différentes techniques et à préciser la place de la chimioembolisation dans la stratégie thérapeutique du carcinome hépatocellulaire ainsi que les principaux champs d’investigation clinique pour les techniques plus innovantes.

Mots-clés : Carcinome hépatocellulaire, Chimioembolisation, Radioembolisation

 

Abstract

Transarterial regional chemoembolisation is one of the therapeutic options in the palliative treatment of advanced hepatocellular carcinoma. Several other transarterial approaches are under investigation including selective transarterial chemoembolization, embolization with drug-eluting beads, and radioembolisation. The aim of this article is to describe the technical aspects of these techniques and to indicate their indication and/or clinical fields of investigation.

La chimioembolisation intra-artérielle hépatique fait partie de l’arsenal thérapeutique du carcinome hépatocellulaire. D’autres techniques de traitement endovasculaire sont possibles et en cours d’évaluation. L’objectif de cet article est de décrire brièvement ces différentes techniques modérément invasives et de préciser leur place actuelle dans la stratégie thérapeutique et les champs d’investigation clinique pour les modalités plus innovantes.

Keywords:Hepatocellular carcinoma, Chemoembolization, Radioembolization

 

Chimioembolisations intra-artérielles hépatiques

Chimioembolisation intra-artérielle hépatique régionale

Cette technique consiste à cathétériser par voie artérielle transcutanée le tronc de l’artère hépatique propre et à y injecter, de façon non-sélective, une préparation extemporanée faite d’une émulsion de Lipiodol® et d’un agent cytotoxique. Le Lipiodol® est un agent de contraste huileux ayant une affinité particulière pour le carcinome hépatocellulaire. Sa viscosité élevée lui confère des propriétés vaso-occlusives temporaires permettant un ralentissement circulatoire et une augmentation du temps de contact entre l’agent cytotoxique et la cible tumorale. De plus, son affinité pour le carcinome hépatocellulaire permet de réaliser un marquage précis des zones tumorales sous la forme d’hyperdensités spontanées au scanner. Ce marquage permet d’assurer le suivi tumoral, et le degré de rétention du Lipiodol® est un facteur prédictif de réponse au traitement. La chimiothérapie est actuellement basée sur l’utilisation d’une anthracycline (doxorubicine, theprubicine) depuis le retrait du cisplatine. La procédure de chimioembolisation est complétée par l’injection d’un agent d’embolisation. Les principaux emboles utilisés sont le gelfoam, gélatine résorbable en 48 h à 2 semaines, et des sphères non-résorbables (polyvinyl alcool, trisacryl, hydrogels). Actuellement, le choix de l’agent d’embolisation se porte principalement sur les microsphères. Elles présentent l’avantage d’être calibrées (de 100 à 1 200 μm). Leur injection est plus reproductible et moins aléatoire que celle du gelfoam.

Cependant, il n’existe pas de consensus concernant le choix de la taille de l’agent d’embolisation à utiliser. Plus l’embole est petit, plus l’ischémie induite est élevée, ce qui permet d’espérer une augmentation du taux de nécrose tumorale au prix d’une élévation de la morbidité (abcès ; nécrose biliaire). Les contre-indications de la chimioembolisation sont la thrombose porte, un flux portal hépatofuge, une dilatation des voies biliaires intrahépatiques globale ou segmentaire intéressant le territoire à emboliser ; une anastomose ou une fistule biliodigestive ; une cirrhose sévère (stade B8 ou C de la classification de Child-Pugh) ; une altération franche de l’état général ; la présence d’une dissémination tumorale extrahépatique.

En pratique, la chimioembolisation artérielle hépatique régionale est le traitement de référence des CHC non-curables compliquant une cirrhose de stade A voire B7 de la classification de Child-Pugh en l’absence de thrombose porte, de flux porte hépatofuge, d’anastomose biliodigestive et de métastase extrahépatique [1-3]. La médiane de survie est de 12 à 20 mois. Aucune différence n’a été mise en évidence ni entre la chimioembolisation et l’embolisation sans chimiothérapie et ni entre les différents agents de chimiothérapie utilisés.

Des essais sont actuellement en cours pour évaluer l’intérêt : a) de son association, soit au sunitinib (SUTENT®) (essai intergroupe PRODIGE – AFEF : PROGIGE 16 – SATURNE), soit au sorafenib (NEXAVAR®) (essai SPACE) ; et b) d’un traitement adjuvant par brivanib post-chimioembolisation dans cette indication.

Elle est par ailleurs considérée comme une option possible à titre de traitement pré-transplantation en vue de diminuer le nombre de patients sortant de la liste d’attente [4]. Cette indication doit être systématiquement discutée avec le centre de transplantation et s’inscrire dans la définition d’une stratégie thérapeutique globale. Sa place en situation adjuvante après traitement à visée curative d’un petit carcinome hépatocellulaire par résection ou destruction percutanée mérite d’être évaluée dans le cadre d’essais thérapeutiques.

Enfin, l’essai RTF-2 évalue l’efficacité et la tolérance d’une association de chimioembolisation et de radiothérapie externe conformationnelle comme traitement néoadjuvant avant résection chirurgicale de carcinomes hépatocellulaires de grande taille (> 5 cm) [5].

 

Chimioembolisation hypersélective

Elle diffère de la chimioembolisation régionale par le cathétérisme hypersélectif d’un ou de plusieurs pédicule(s) vasculaire(s) à destinée tumorale. Cette technique permet de traiter sélectivement les nodules tumoraux en préservant le parenchyme sain adjacent et d’obtenir un taux de nécrose tumorale supérieur à celui obtenu avec la chimioembolisation régionale. Elle n’est envisageable que pour les lésions n’ayant qu’un seul ou un nombre restreint de pédicule(s) nourricier(s), de localisation plutôt périphérique que centro-hépatique et de taille inférieure à 10 cm. Ses indications potentielles sont différentes de celles de la chimioembolisation intra-artérielle hépatique régionale puisqu’elle pourrait être « curative » pour un certain nombre de lésions bien sélectionnées. Son évaluation est en cours et elle doit être réservée dans l’immédiat aux patients non-candidats à la chirurgie et au traitement percutané pour des raisons de contre indication ou de non-faisabilité : CHC unique ou segmentaire avec cirrhose sévère (stades B et C de Child-Pugh) ; hypertension portale sévère ; limitations techniques du traitement percutané (taille ≥ 4-5 cm ; guidage impossible ; localisation défavorable…).

 

Chimioembolisation régionale ou hypersélective par microsphères chargeables (DC Beads™, HepaSphere®)

Les microsphères chargeables sont des microparticules d’embolisation ayant la particularité de pouvoir re-larguer un agent de chimiothérapie une fois placées dans le système vasculaire hépatique

Ces microparticules sont biocompatibles, non-résorbables, calibrées (entre 100 et 900 μm). Le chargement de la chimiothérapie sur les microparticules s’effectue par l’établissement de liaisons covalentes entre la bille et le cytotoxique. Elles sont chargeables jusqu’à la dose de 37,5 mg de doxorubicine par millilitre de billes. Le relargage de la chimiothérapie se fait par gradient de concentration entre le système vasculaire et la tumeur. Ces microsphères présentent l’avantage d’une meilleure standardisation de la procédure et d’une pharmacocinétique de la chimiothérapie contrôlée et durable, avec un faible passage systémique [6]. L’évaluation de cette technique se poursuit. Les résultats disponibles sont mitigés. En effet, en dépit d’une meilleure biodisponibilité attendue du cytotoxique au niveau du site tumoral, il n’a pas été observé de supériorité de cette technique par rapport à la chimioembolisation conventionnelle en termes de réponse tumorale et de survie [7].

 

Radiothérapies interstitielles intra-artérielles

Lipiocis® (131I-Lipiodol®)

Le Lipiocis® est obtenu en substituant les atomes d’iode 53 du Lipiodol® par des atomes d’iode 131 radioactif.

Son injection intra-artérielle hépatique permet de réaliser une irradiation interne sélective en raison d’une affinité particulière pour le carcinome hépatocellulaire. Ce traitement a été utilisé pour le traitement palliatif des carcinomes hépatocellulaires évolués en cas de contre-indication à la chimioembolisation en raison d’une thrombose portale. Cette technique est progressivement abandonnée en raison de son coût, de la nécessité d’infrastructures lourdes pour assurer une radioprotection satisfaisante (chambres plombées), d’une efficacité médiocre et d’une possible toxicité pulmonaire gravissime. Elle n’est pas référencée dans le Thésaurus National de Cancérologie Digestive dans cette situation qui relève éventuellement d’un traitement par sorafenib (NEXAVAR®). Elle pourrait être intéressante en traitement adjuvant après résection ou destruction percutanée [8,9] et est en cours d’évaluation dans cette indication (essai ANRS HC06 LIPIOCIS®).

 

Radioembolisation

La radioembolisation consiste en l’administration intra-artérielle hépatique de microsphères chargées d’Yttrium 90 (Y90) qui provoque à la fois une irradiation « interne » et une embolisation.

Ces particules soumises aux conditions hémodynamiques des carcinomes hépatocellulaires suivent l’hémo-détournement tumoral et viennent se loger dans la néovascularisation tumorale.

Elles ont un diamètre d’environ 30 μm et un pouvoir d’embolisation faible. Le rayonnement b- émit par l’Y 90 contenu dans les microsphères est délivré directement à la tumeur et provoque sa destruction. La demi-vie de l’Y 90 est de 64,2 heures. Le rayonnement b- est un rayonnement fortement énergétique (2 200 Kev) et de faible pénétration tissulaire (2,5 mm) préservant le parenchyme péritumoral. La dose moyenne absorbée par la tumeur est de l’ordre de 120 Gys. La mise enoeuvre est beaucoup plus facile que celle du Lipiocis® dans la mesure où il n’y a pas de nécessité d’isoler les malades en chambre plombée à l’issue de la procédure.

Actuellement, le radio-thérapeutique est produit et commercialisé par les sociétés Sirtex Medical Limited, (Lane Cove, Australie) et MDS Nordion (Ottawa Canada). L’évaluation est en cours principalement dans le traitement du carcinome hépatocellulaire non-accessible à une résection ou à une destruction percutanée, en cas d’atteinte unilobaire ou bilobaire mais sans atteinte hépatique diffuse ni dissémination extrahépatique, chez des sujets à l’état général conservé (ECOG ≤ 2) atteints de cirrhose de stade A ou B6 de Child-Pugh avec des résultats prometteurs [10]. Si la thrombose portale complète constitue, comme pour la chimioembolisation, une contre-indication absolue, une thrombose partielle est compatible avec une radioembolisation réalisée de façon super-sélective. Son intérêt comme traitement d’attente avant transplantation hépatique a également été évalué comparativement à la chimioembolisation [11].

Ces dernières années ont été marquées par un regain d’intérêt pour la chimioembolisation intra-artérielle hépatique régionale dans le traitement du carcinome hépatocellulaire grâce à une meilleure définition des indications et surtout à une meilleure sélection des patients susceptibles d’en bénéficier. De nombreux travaux de recherche clinique sont en cours afin de tenter d’optimiser les résultats dans l’indication classique de CHC évolué sur cirrhose de stade A de Child-Pugh (association aux biothérapies, combinaison avec des techniques de destruction percutanée…) et d’explorer d’autres indications (traitement néoadjuvant ou adjuvant à une résection ou à une destruction percutanée ; traitement d’attente avant transplantation hépatique…).

Par ailleurs, les matériels et les techniques de cathétérisme hypersélectif se sont largement améliorés et de nouveaux concepts d’emboles chargés sont apparus (chimiothérapie à relargage progressif, radioembolisation) qui permettent d’élargir l’arsenal thérapeutique du carcinome hépatocellulaire et d’appréhender de nouvelles indications. Ces nouvelles techniques sont actuellement en cours d’évaluation et leur utilisation n’est envisageable que dans le cadre d’essais thérapeutiques visant à évaluer leurs performances et leurs places par rapport à la chimioembolisation conventionnelle et au sein de stratégies thérapeutiques globales et complexes intégrant les autres possibilités thérapeutiques.