
Résection muqueuse endoscopique : quand, comment, pourquoi ?
Pierre Henri Deprez
Cliniques universitaires Saint-Luc, Service de Gastroentérologie, Université catholique de Louvain, Avenue Hippocrate 10, B-1200 Brussels, Belgium pdeprez@uclouvain.be
Résumé
Le traitement des cancers intramuqueux et de la dysplasie de haut grade dans l’œsophage de Barrett est, de nos jours, l’apanage de l’endoscopie. Le traitement endoscopique doit veiller à appliquer les mêmes standards que ceux de la chirurgie, à savoir une exérèse en bloc à visée curative R0. Les méthodes de mucosectomie classiques peuvent être utilisées dans la majorité des lésions néoplasiques ou dysplasiques. La dissection sous-muqueuse trouve ses indications dans les lésions de plus de 15-20 mm ou celles ne se soulevant pas après injection sous-muqueuse du fait d’antécédents d’ulcères, de résections muqueuses incomplètes ou de récidive tumorale.
Par rapport aux techniques d’ablation thermique, de thérapie photodynamique ou de radiofréquence, les mucosectomies apportent la possibilité d’une analyse histopathologique des pièces réséquées pour déterminer la profondeur de l’envahissement tumoral et le caractère radical de l’exérèse. De plus, cette procédure permet le recours à la chirurgie pour les patients aptes à supporter l’intervention, dans le cas de résection incomplète ou de lésion envahissant la sous-muqueuse profonde. Des études seront encore nécessaires pour préciser la place résiduelle de la chirurgie et des indications respectives de la résection partielle ou totale du Barrett par endoscopie. Le rôle probablement complémentaire des techniques ablatives (plus superficielles mais grevées de moins de complications) et des mucosectomies (plus profondes, avec moindre risque de récidives, mais avec plus de risque de complications) commence à être défendu par les centres experts.
Introduction
Les cancers superficiels de l’œsophage et de l’estomac sont traités de longue date, par endoscopie, au Japon et dans les pays asiatiques. La première publication date de 1984 et décrit une alternative au traitement chirurgical d ans l’estomac sous forme de résection endoscopique de la tumeur à l’anse diathermique [1]. Les premières séries de résection endoscopique dans l’œsophage ont été publiées au Japon dans les années 1990 [2-3], et ce n’est que 10 ans plus tard que les Occidentaux ont décrit les premiers résultats de mucosectomie [4-5]. Le traitement des cancers superficiels de l’œsophage a longtemps, en effet, été dominé par les techniques d’ablation (argon plasma, thérapie photodynamique). La mucosectomie doit cependant être considérée comme un gold standard puisqu’elle offre à la fois le traitement et un diagnostic d’extension anatomopathologique sur la pièce de résection. Le but doit en être une résection en bloc, à visée curative, à l’aide d’une des multiples méthodes endoscopiques [6-10].
Méthodes de résection
Les techniques les plus utilisées sont la mucosectomie par ligature élastique et l’aspiration section dans un capuchon transparent.
La ligature élastique a l’avantage de la simplicité d’apprentissage et d’exécution puisque la technique est similaire au traitement des varices œsophagiennes [11-13]. Elle ne nécessite théoriquement pas d’injection sous-muqueuse (bien qu’elle me paraisse encore recommandable à proximité des plis gastriques dans une éventuelle hernie hiatale). Elle a le désavantage d’une technique en « piece-meal » et avec un contrôle visuel limité en cas de saigne-ment. Les résultats obtenus en termes de taille de spécimen est quasi identique à la méthode d’aspiration-section dans un capuchon transparent [14]. Celle-ci a été développée par Inoue pour le traitement des cancers épidermoïdes œsophagiens [15]. La technique consiste à adapter un capuchon transparent au bout de l’endoscope conçu pour loger une anse diathermique monofil qui sectionne la muqueuse ou tumeur aspirée dans le capuchon. Elle offre une grande sécurité d’emploi dans l’œsophage pour autant qu’une injection sous-muqueuse à base de sérum physiologique ait été réalisée pour déterminer un plan de clivage entre muqueuse et musculeuse (Fig. 1).
1A Barrett avec adénocarcinome intramuqueux
1B Multiples spécimens après mucosectomie aspiration/section
1C Résultat après cicatrisation
Ces deux techniques sont couramment utilisées dans l’œsophage de Barrett pour les lésions planes.
La dissection sous-muqueuse endoscopique permet la résection de lésions plus grandes après qu’elles aient été marquées, puis incisées sur leur pourtour avant dissection à l’aide de différents couteaux endoscopiques [16-18]. Les avantages de cette technique sont principalement de réaliser une résection en bloc permettant une stadification histologique précise et diminuant le risque de récidive (de 35 à 5 % dans les séries japonaises de cancer œsophagien ou gastrique) et de permettre la résection de lésions plus adhérentes au plan profond et mal surélevée par l’injection sous-muqueuse. L’utilisation de cette technique dans l’œsophage de Barrett reste limitée tant au Japon que dans le monde occidental [19-20].
Le choix entre les méthodes de mucosectomie classique et de dissection sous-muqueuse dépend de la taille de la lésion et de l’expertise de l’endoscopiste. La dissection semble préférable dans les lésions de plus de 2 cm de diamètre dans le but de pratiquer une résection R0 en bloc.
Nous avons pu démontrer que la dissection sous-muqueuse était faisable au niveau du Barrett et qu’elle permettait d’augmenter le taux de marges latérales saines par rapport à la méthode d’aspiration-section, au prix d’un coût de matériel plus élevé et d’une durée de procédure doublée voire triplée (Fig. 2).
Figure 2 : Mucosectomie par la méthode de dissection sous-muqueuse d’un Barrett avec carcinome intramuqueux.
2B Aspect endoscopique montrant le muscle à nu après résection
Indications
Il est actuellement bien démontré sur de larges séries médicales et chirurgicales que le risque d’envahissement ganglionnaire en cas de néoplasie intra-épithéliale de haut grade et/ou carcinome intramuqueux sur œsophage de Barrett est proche de 0 % [21-23]. Si le traitement de référence est toujours la chirurgie, plusieurs équipes ont publié des résultats équivalents à la chirurgie, avec une morbidité moindre [24-25]. L’étude la plus récente est celle de Prasad et al. qui montre, sur une série rétrospective de 132 patients traités par EMR et 46 patients traités par œsophagectomie, que la survie est identique avec une morbidité moindre, au prix d’un plus haut taux de récidive dans le groupe endoscopique. Ces récidives ont toujours pris la for me d’un nodule intramuqueux et ont pu être traitées par endoscopie [26]. Il est à noter que les patients chirurgicaux étaient plus jeunes, présentaient un Barrett plus court (5,5 vs 7,3 cm) et moins de comorbidités. Le principal facteur prédictif de récidive était la persistance de muqueuse métaplasique de Barrett après traitement. La question essentielle est donc de savoir s’il faut uniquement réséquer la lésion néoplasique en proposant ensuite un suivi rapproché par endoscopie pour déceler les récidives (12 %) ou s’il faut réséquer ou éradiquer le Barrett en totalité. Plusieurs auteurs ont rapporté leurs résultats d’exérèse endoscopique totale de l’œsophage de Barrett en une ou multiples sessions de mucosectomie [27-30].
Nous proposons aussi cette méthode à nos patients, et avons publié nos résultats de mucosectomie séquentielle radicale totale [31] chez 53 patients en une à trois séances avec des taux de succès de plus de 94 % pour l’éradication complète de la dysplasie de haut grade et du carcinome intramuqueux. La récidive de la dysplasie de haut grade n’a été observée que chez 2 patients (6 %) et elle a pu être traitée avec succès par endoscopie. Ce taux est significativement inférieur au taux de 25 % observé dans la plupart des séries se limitant à la résection des lésions néoplasiques visibles. Après un suivi moyen de plus de 2 ans, l’éradication de la dysplasie a été maintenue chez tous les patients. Un suivi endoscopique annuel est nécessaire pour détecter les récidives éventuelles qui peuvent être traitées à un stade précoce. Le désavantage de ce type de prise en charge endoscopique qualifiée d’agressive est le taux de sténose œsophagienne de 33 % qui nécessite des séances de dilatation œsophagienne et, par-fois, la mise en place d’une prothèse œsophagienne.
L’alternative actuelle la plus séduisante à la résection endoscopique radicale du Barrett par mucosectomie, en particulier dans les œsophages de Barrett longs est d’associer mucosectomie et ablation. L’ablation peut être réalisée à l’argon plasma avec la thérapie photodynamique ou avec la radiofréquence. Ni Peters et al. avec l’argon [32], ni Prasad et al. [26] avec la thérapie photo-dynamique n’ont montré que l’ablation améliorait la survie ou diminuait le taux de récidive de néoplasie. Les résultats récents publiés avec la radiofréquence (systèmes HALO360 ou HALO90 de BÂRRX Medical, USA) semblent plus prometteurs avec un taux de rémission de néoplasie à 12 mois de plus de 90 %, bien que le taux de rémission de muqueuse métaplasique ne soit que de 53 % dans la série multicentrique américaine [33-34]. Reste à attendre les publications de suivi à plus long terme pour vérifier que l’efficacité de l’ablation est réelle et qu’elle n’est pas liée à du tissu métaplasique « enterré » sous le nouvel épithélium épidermoïde et qui serait alors source de récidive tumorale.
Conclusion
L’œsophage de Barrett constitue l’indication principale des mucosectomies du tube digestif supérieur dans nos pays du fait de son incidence élevée. La résection endoscopique concerne les lésions de dysplasie de haut grade et les cancers superficiels à faible risque d’atteinte ganglionnaire, soit les lésions planes intramuqueuses ou avec envahissement superficiel de la sous-muqueuse (sm1). Les méthodes les plus utilisées sont la résection à l’anse, l’aspiration/section dans un capuchon transparent, la technique de ligatures élastiques et la dissection sous-muqueuse endoscopique. Le traitement endoscopique doit veiller à appliquer les mêmes standards que ceux de la chirurgie, à savoir une exérèse en bloc à visée curative R0.
Les méthodes de mucosectomie classiques peuvent être utilisées dans la majorité des lésions néoplasiques ou dysplasiques. La dissection sous-muqueuse trouve ses indications dans les lésions de plus de 15-20 mm ou celles ne se soulevant pas après injection sous-muqueuse du fait d’antécédents d’ulcères, de résection muqueuses incomplètes ou de récidive tumorale.
Par rapport aux techniques d’ablation thermique, de thérapie photodynamique ou de radiofréquence, les mucosectomies apportent la possibilité d’une analyse histopathologique des pièces réséquées pour déterminer la profondeur de l’envahissement tumoral et le caractère radical de l’exérèse. De plus, cette procédure permet le recours à la chirurgie pour les patients aptes à supporter l’intervention, dans le cas de résection incomplète ou de lésion envahissant la sous-muqueuse profonde. Des études seront encore nécessaires pour préciser la place résiduelle de la chirurgie et des indications respectives de la résection partielle ou totale du Barrett par endoscopie. Le rôle probablement complémentaire des techniques ablatives (plus superficielles mais grevées de moins de complications) et des mucosectomies (plus profondes , avec moindre risque de récidive, mais avec plus de risque de complications) commence à être proposé par les centres experts.