Infiltration lymphocytaire des tumeurs colorectales : le « must » des facteurs pronostiques ?
- Les patients développant une récidive présentent, d’emblée, une tumeur avec faible densité de CD8 infiltrant quel que soit le stade T au moment de la résection tumorale.
- Le score immunitaire défini par la densité intratumorale en cellules immunitaires cytotoxiques CD8 et mémoires CD45RO possède une valeur pronostique majeure chez les patients opérés d’un cancer colorectal.
Ce score immunitaire pourrait ainsi permettre d’identifier les patients à risque de rechute, après chirurgie de la tumeur primitive, qui pourraient bénéficier d’une chimiothérapie adjuvante en particulier dans les stades de stade TNM I ou II
La recherche de facteurs pronostiques déterminants représente un objectif majeur en oncologie colorectale afin de déterminer et de tenter de prévenir, au mieux, les risques de rechute après chirurgie de la tumeur primitive. Outre les facteurs de mauvais pronostic clinique (présentation occlusive ou perforative), le stade de la classification TNM, les signes histopathologiques péjoratifs (différenciation faible, engainements périnerveux, emboles vasculaires, nombre de ganglions retrouvés faible, ratio ganglions envahis sur ganglions retrouvés élevé), des critères moléculaires ou génétiques ont été recherchés mais, seuls, le statut microsatellitaire et certaines signatures génomiques, encore difficiles à déterminer en routine, se sont révélés contributifs à des fins pronostiques.
L’équipe française de J. Galon et F. Pagès étudie, depuis plusieurs années, le rôle de l’infiltration lymphocytaire dans les cancers colorectaux. Leurs observations initiales ont montré qu’une densité péri et centro-tumorale importante de cellules immunitaires (lymphocytes T CD8+ mémoires) était corrélée à un stade pathologique moins avancé, à une diminution de l’apparition précoce de métastases ainsi qu’à une augmentation de la survie globale [1]. Le type, la densité de l’infiltrat mais également sa localisation (centre de la tumeur et front d’invasion tumoral) se révélèrent, dans ces travaux, présenter une valeur pronostique forte [2]. Par la suite, ces études ont mené à l’établissement d’un « score immunitaire » basé sur la densité de lymphocytes T cytotoxiques CD8+ et T mémoires CD45RO+ au centre de la tumeur et au niveau du front d’invasion tumoral.
Cinq groupes de tumeurs ont été définis de Im0 à Im4 de la manière suivante :
- Tumeurs Im0 : peu de CD8 et CD45RO au centre et au niveau du front d’invasion tumoral (front d’invasion tumoral : CD8loCD45lo, centre de la tumeur : CD8loCD45lo) ;
- Tumeurs Im1 : un des deux marqueurs fortement exprimé dans une des deux régions ;
- Tumeurs Im2 : 2 densités importantes (un seul marqueur est exprimé dans deux zones, ou les deux dans une seule zone) ;
- Tumeurs Im3 : un marqueur est fortement exprimé dans les deux zones, le second dans une seule zone ;
- Tumeurs Im4 : forte infiltration CD8 et CD45RO dans les 2 zones (front d’invasion tumoral : CD8hiCD45hi, centre de la tumeur : CD8hiCD45hi) [3].
- Chez des patients de stade TNM précoce I ou II, ce score immunitaire possède une valeur pronostique : les patients Im0 ayant un risque de rechute plus important et une survie globale plus faible, tandis que les patients Im4 ayant une forte densité en cellules immunitaires ont une survie globale plus importante et un risque de rechute plus faible [3].
Les objectifs du travail de Mlecnik et al. [4] rapporté ici ont été d’évaluer :
- la relation entre l’infiltration lymphocytaire et l’extension tumorale ainsi que le risque de rechute ;
- la valeur prédictive du score immunitaire chez tous les patients atteints de cancers colorectaux quel que soit le stade.
Méthodes et patients
599 patients opérés d’une tumeur colorectale de stades I à IV, de 1990 à 2004, ont été inclus dans cette étude en 2 cohortes indépendantes de 415 (cohorte 1) et 184 patients (cohorte 2), la deuxième cohorte permettant ainsi de valider les résultats obtenus avec la première.
L’évaluation clinique et histopathologique a été menée selon le système de classification AJCC/UICC-TNM. L’infiltration des tumeurs par différentes cellules immunitaires a été analysée selon 2 méthodes (Tissue Microarray, permettant l’analyse de l’expression de différents gènes sur un même tissu, et immunohistochimie) et, ce, à la fois dans les régions centro et péritumorales. L’analyse des populations lymphocytaires T cytotoxiques (CD8) et mémoires (CD45RO) a permis de classer les tumeurs selon leur score immunitaire (Im0 à Im4).
Résultats
- La répartition des tumeurs de la 1re cohorte a été la suivante : 9 % Im0 ; 12 % Im1 ; 27 % Im2 ; 22 % Im3 ; 30 % Im4.
- Seuls les paramètres T, N et la perforation intestinale inaugurale ont démontré une valeur pronostique.
- Le score immunitaire Im4 était associé à un faible risque de rechute et une survie sans progression à 5 ans de 85,4 % (HR : 0,19 ; 95% CI 0,08 à 0,44 ; p < 0,001), tandis que le score immunitaire Im0 était associé à un fort risque de rechute (survie sans progression de 31,6% à 5 ans).
- L’analyse univariée a retrouvé une association significative du score immunitaire à des différences de survies sans rechute, spécifique liée au cancer et globale, les patients Im 3 et 4 présentant un allongement de ces différents paramètres (HR 0,64 ; HR 0,60 ; HR 0,70 respectivement, p < 0,005 dans les trois cas).
- La deuxième cohorte a permis de confirmer ces résultats.
- L’analyse de la performance prédictive de chaque marqueur en fonction du temps a été abordée à l’aide de courbe ROC. Dans ce cadre, le score immunitaire apparaît comme le meilleur facteur prédictif avant les facteurs clinicohistopathologiques usuels. En analyse multivariée (TNM et score immunitaire), seul le score immunitaire reste significativement associé à la survie sans récidive, à la survie spécifique liée au cancer et à la survie globale (HR : 0,64 ; 0,63 ; 0,71 respectivement ; p < 0,001 dans les trois cas). Dans un modèle combinant le score immunitaire au stade T, N, à l’âge, au sexe, au nombre de ganglions, au grade histologique, au caractère colloïde muqueux, à l’occlusion, et à la perforation intestinale. Dans ce modèle, seul le score immunitaire et la perforation intestinale restent des facteurs prédictifs.
- Afin de mieux comprendre la valeur de ces résultats, la réaction immunitaire in situ a été évaluée à chaque stade histopathologique. Une corrélation inverse entre la densité en cellules immunitaires et le stade de la tumeur (stade T) a été mise en évidence. La densité cellulaire de lymphocytes T CD8, mémoires (CD45RO+) et cytotoxiques (GZMB+) au centre de la tumeur diminue graduellement avec l’extension de la tumeur (stade T). Une diminution de cette infiltration est également observée en cas d’envahissement ganglionnaire (N) et de développement de métastase (M). L’infiltration CD8 diminue de 50 % entre le stade I et le stade IV (classification TNM). Cette infiltration est observée chez les patients qui ne vont pas rechuter, tandis que la densité de CD8+ intratumoral est faible au moment de la résection de la tumeur chez les patients qui vont développer une récidive quel que soit le stade de la maladie.
Références
[1] Pages F, Berger A, Camus M, et al. Effector memory T cells, early metastasis, and survival in colorectal cancer. N Engl J Med 2005;353:2654-66.
[2] Galon J, Costes A, Sanchez-Cabo F, et al. Type, density, and location of immune cells within human colorectal tumors predict clinical outcome. Science 2006;313:1960-4.
[3] Pages F, Kirilovsky A, Mlecnik B, et al. In situ cytotoxic and memory T cells predict outcome in patients with early-stage colorectal cancer. J Clin Oncol 2009;27:5944-51.
[4] Mlecnik B, Tosolini M, Kirilovsky A, et al. Histopathologic-based prognostic factors of colorectal cancers are associated with the state of the local immune reaction. J Clin Oncol 2011;29:610-8.